Germaine n’osait parler, honteuse de sa jalousie, triste sans en savoir la cause.

Ils descendirent. Au bas de l’escalier, les femmes attendaient. Jacques versa la somme convenue. Mais la vieille réclama. Et le guide dut expliquer en balbutiant :

— La mère dit que c’est plus cher quand… quand on s’enferme… après…

Exaspéré Jacques leur jeta une pièce d’or. Puis il sortit. En passant devant la juive, Germaine la dévisagea d’un regard insolent, le regard d’une femme qui l’emporte sur sa rivale.

On rentra. Hadji précédait, muni de sa lanterne. Jacques suivait, et Germaine.

Elle marchait sans un mot. C’était fini de son bonheur. Jacques l’avait trahie, trahie par son désir, trahie dans ses baisers. Il avait eu, durant leur étreinte, des ardeurs étranges, comme un égarement d’homme qui ne sait plus ce qu’il fait. Et elle sentait nettement que cette surexcitation nerveuse ne s’adressait pas à elle, mais à la juive.

D’obscures idées l’envahirent. La vie lui enseignait un de ses plus douloureux mystères. Elle comprenait que la pensée de ceux qui nous aiment le mieux succombe indéfiniment. Le désir est chose de hasard. Il peut sommeiller près de l’être cher, et se ruer vers un indifférent, vers un inconnu.

Ainsi en était-il de Jacques, et souvent encore, il en serait de même, et sans qu’il cessât de l’aimer. Ses yeux se mouillèrent de larmes. Elle prévit l’inéluctable avenir où se rangent ceux qui n’ont pas confiance. Elle entrait, dès ce jour, dans l’innombrable foule des âmes inquiètes, soupçonneuses, maladives, les âmes déséquilibrées.

 

Le Secret des caresses

Elle arrêtait la caresse de mes mains et de mes lèvres et me disait doucement :

— Non, mon enfant, je ne vous aimerai pas, j’ai trop aimé, je n’ai plus de cœur… et puis, il me semble que je suis si vieille !

Je ne bougeais plus alors, et nous restions l’un près de l’autre en silence ; moi, épuisé de désirs, honteux de mes maladresses et de mon inexpérience d’adolescent, elle, rêveuse, grave, et si triste ! Oh ! si triste !

Cela durait un instant et, peu à peu, je me glissai de nouveau sur ses genoux et elle paraissait ne s’en point apercevoir. L’effleurement distrait de sa main à travers mes cheveux me tenait quelques minutes immobile et frémissant, mais sa chair était là sous mes yeux, sous ma bouche, et j’y retournais invinciblement comme à une joie dont on ne peut se rassasier. J’ouvrais son peignoir, j’en faisais glisser l’étoffe le long des bras, et la chair surgissait, les blanches épaules, la tiède et lourde poitrine. Oh ! le double mystère des seins ! Pour moi, presque enfant, cela représentait un idéal inaccessible, un de ces trésors que l’on ne possède jamais, alors même qu’on en est le maître. Et pour me convaincre de la réalité, je ne me lassais pas de baiser la douce gorge et d’y poser la tête en une torpeur délicieuse.

Et Mathilde s’éveillait de son rêve. Oui, je l’en voyais sortir lentement, comme on voit surgir de l’ombre une silhouette indécise. Il me semblait qu’à l’appel de mes baisers, son esprit revenait de régions lointaines, et se mêlait à son corps au point précis où ma bouche se posait. Un frisson me révélait le mariage secret de son désir et du mien. Ses bras se refermaient sur moi et je tressaillais d’angoisse et d’espoir en sentant son corps s’abandonner. Mais soudain, d’un geste, elle me repoussait, et calme, froide déjà :

— Non, mon ami, disait-elle, je ne veux pas, je ne peux pas… Pourquoi essayez-vous de me surprendre ?

Je l’aurais frappée, dans mon exaspération. Et je lui criais, comme un reproche :

— Vous l’aimez donc toujours, cet homme qui vous a quittée, qui vous a trahie ? Oh ! c’est lui, c’est lui que je vois au fond de vos regards, c’est son souvenir qui vous garde contre moi !

Elle ne cherchait pas à le nier.

— Peut-être avez-vous raison.