Tout de suite, consciente de sa beauté, sans pudeur, la juive se redressa, du dédain aux lèvres, la figure impassible. Et son corps apparut.
Germaine poussa un cri d’admiration. Elle était stupéfaite. La splendeur de cette chair l’éblouissait comme une chose surnaturelle qu’elle n’avait jamais imaginée. Elle se sentait en face d’un spectacle rare, unique peut-être. Et, loin d’en jouir, elle en éprouvait plutôt une sorte de malaise.
La danse commença, voluptueuse d’abord, puis lascive, poème des caresses et de l’extase qui s’achève en secousses bestiales. Les mains croisées derrière le cou, Slidja fermait à moitié ses yeux humides. Le buste ne bougeait pas. Les seins épanouis et gonflés de sève tressaillaient à peine. Les jambes fléchissaient doucement en courbes pleines et grasses. Et dans cette immobilité presque absolue, le ventre seul vivait, ondoyant, pervers, prometteur, lubrique, avide, inassouvi…
Germaine s’était rassise, pensive. D’involontaires comparaisons s’imposaient à elle et l’humiliaient. Son corps indécis s’évoquait à côté de ce corps impeccable, et sa poitrine d’enfant, et ses épaules pointues, et ses bras trop minces et ses jambes trop fines. Et aussi la science raffinée des gestes lui rappelait son ignorance dans la lutte d’amour, sa maladresse, sa passivité.
Elle souffrait. Elle souffrait surtout de ce que son mari pût, comme elle, constater son désavantage. Ne l’aimerait-il pas moins ? Elle eut l’idée de l’examiner. Ce fut un coup terrible. Jacques, penché en avant, regardait, les paupières fixes, les joues rouges. Et elle vit, sur ses tempes, les veines grossies.
Elle frissonna. Elle la reconnaissait si bien cette preuve irrécusable de désir, chez lui ! Chaque fois que se manifestait ce symptôme, elle se faisait toute petite, dans l’attente peureuse de l’imminente agression. Et maintenant ce désir s’éveillait pour une autre ! Auprès d’elle, Jacques désirait ! Certitude abominable, il désirait une autre femme, il désirait le baiser d’autres lèvres, le contact d’une autre chair, la tiédeur d’autres seins, le frémissement d’autres hanches ! Et c’étaient les lèvres et la chair et les seins et les hanches de cette créature magnifique qui se pâmait en face d’eux, qui s’offrait, toute nue, toute prête.
Sa raison s’égarait. Elle courut sur la juive, la bouscula, la chassa vers la sortie, en criant :
— Allez-vous en, allez-vous en, je ne veux pas qu’il vous voie…
Et elle la mit dehors. Et le guide et la vieille femme se retirèrent aussi. Et elle ferma la porte violemment.
Jacques, effrayé, ne comprenait pas. Elle le saisit au cou, l’attira contre elle, et bégaya d’une voix haletante :
— Prends-moi, Jacques, il faut que tu me prennes…
Il tenta de se dégager. Mais elle suffoquait, en sanglots :
— Oh ! mon Jacques, je sais tout… tu la désirais cette femme… Dès le début, elle t’a séduit… ne dis pas non… lui aurais-tu permis de se dévêtir, sans cela ? Et puis j’ai vu tes veines, là, gonflées… et ton air quand tu as envie de moi… Il faut que tu me prennes, Jacques, je suis si malheureuse… ton désir m’appartient… je le veux…
Il protesta :
— Ici, dans cette chambre, c’est impossible.
— Tu l’y as bien désirée, cette fille, gémit-elle, tu peux bien m’y désirer… à moins que tu ne m’aimes plus… Ah ! Jacques, dis-moi que tu m’aimes, que tu me trouves plus belle… prouve-le moi, je t’en prie.
Elle entrouvrit son corsage. Elle enleva ses jupes. Et peu à peu se dénudait son corps jeune, son corps à peine éclos, son corps frais et gracieux d’adolescente.
Il la prit. Elle se donna avec un emportement farouche, avec des râles et des crispations, comme pour le convaincre qu’elle disposait, elle aussi, des ivresses les plus compliquées.
Silencieusement elle se rhabilla. Lui, de mauvaise humeur, allait et venait.
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