L'information orale est dans ce cas bien plus utile.
Par contre le contenu -- je crois pouvoir l'affirmer -- offrira peu de difficultés aux ouvriers allemands. Après tout, seul est difficile le troisième chapitre, mais il l'est beaucoup moins pour les ouvriers dont il résume les conditions générales d'existence que pour les bourgeois « cultivés ». Dans les nombreux commentaires additifs que j'ai donnés ici, j'ai effectivement moins pensé aux ouvriers qu'à des lecteurs « cultivés »; à des gens, disons, comme Monsieur le Député von Eynern, Monsieur le Conseiller secret Heinrich von Sybel et autres Treitschke, en proie à la soif irrésistible de nous régaler sans cesse par écrit de leur atroce ignorance et de leur colossale incompréhension du socialisme -- l'une explique l'autre. Si Don Quichotte rompt des lances contre des moulins à vent, c'est de sa fonction et dans son rôle; mais nous ne pouvons permettre chose semblable à Sancho Pança.
Ce genre de lecteurs s'étonnera aussi de rencontrer dans une esquisse de l'histoire du développement du socialisme la cosmogonie de Kant et Laplace, les sciences modernes de la nature et Darwin, la philosophie classique allemande et Hegel. Or il se trouve que le socialisme scientifique est un produit essentiellement allemand, et il ne pouvait naître que dans la nation dont la philosophie classique avait maintenu vivante la tradition de la dialectique consciente: en Allemagne. La conception matérialiste de l'histoire et son application particulière à la lutte de classes moderne entre prolétariat et bourgeoisie n'était possible qu'au moyen de la dialectique. Mais si les maîtres d'école de la bourgeoisie allemande ont noyé les grands philosophes allemands et la dialectique dont ils étaient les représentants dans le bourbier d'un sinistre éclectisme, au point que nous sommes contraints de faire appel aux sciences modernes de la nature pour témoigner de la confirmation de la dialectique dans la réalité-nous, les socialistes allemands sommes fiers de ne pas descendre seulement de Saint Simon, de Fourier et d'Owen, mais aussi de Kant, de Fichte et de Hegel.
Londres, le 21 septembre 1882. Friedrich ENGELS.
PRÉFACE A LA QUATRIÈME ÉDITION ALLEMANDE
Ce que je supposais -- le contenu de cet ouvrage devait offrir peu de difficultés pour nos ouvriers allemands -- s'est vérifié. Tout au moins, depuis mars 1883, date de parution de la première édition, trois tirages d'en tout 10000 exemplaires ont été écoulés, et cela sous le règne de la défunte loi antisocialiste- ce qui constitue en même temps un nouvel exemple de l'impuissance des interdictions policières face à un mouvement comme celui du prolétariat moderne.
Depuis la première édition, diverses traductions en langues étrangères ont encore paru: une édition italienne de Pasquale Martignetti Il Socialismo utopico e il Socialismo scientifico, Bénévent 1883; une édition russe: Razvitie naucznago Socializma, Genève 1884; une édition danoise: Socialismens Udvikling fra Utopi til Videnskab, dans la « Socialistik Bibliothek », I. Bind, Copenhague 1885; une édition espagnole: Socialismo utopico y Socialismo cientifico, Madrid 1886; et une édition hollandaise: De Ontwikkeling van het Socialisme van Utopie tot Wetenschap, La Haye 1886.
La présente édition a subi diverses petites modifications: des additions de quelque importance n'ont été faites qu'en deux endroits: dans le premier chapitre à propos de Saint-Simon qui était tout de même un peu désavantagé par rapport à Fourier et Owen, et vers la fin du troisième chapitre à propos de la forme de production des «trusts » qui avait pris entre temps de l'importance.
Londres, le 12 mai 1891. Friedrich ENGELS.
INTRODUCTION A LA PREMIÈRE ÉDITION ANGLAISE
La présente brochure est, à l'origine, une partie d'un ensemble plus vaste. Vers 1875, le Dr E. Dühring, privat dozent à l'université de Berlin, annonça soudain et avec quelque bruit sa conversion au socialisme et offrit au public allemand non seulement une théorie socialiste minutieusement élaborée, mais aussi un projet complet de réorganisation pratique de la société; comme de juste, il tomba à bras raccourcis sur ses prédécesseurs; il fit surtout à Marx l'honneur de déverser sur lui les flots de sa colère.
Cela se passait à peu près au temps où les deux fractions du Parti socialiste allemand -- le groupe d'Eisenach et les lassalliens -- venaient d'opérer leur fusion et d'acquérir ainsi, non seulement un immense accroissement de forces mais ce qui était plus encore, la possibilité de mettre en jeu toute cette force contre l'ennemi commun. Le Parti socialiste était en train de devenir rapidement en Allemagne une puissance. Mais pour en faire une puissance la première condition était que l'unité nouvellement conquise ne fut pas menacée. Or le Dr Dühring se mit ouvertement à grouper autour de sa personne une secte, noyau d'un futur parti. Il devenait donc nécessaire de relever le gant qui nous était jeté et, bon gré mal gré, de mener le combat à son terme.
Or, bien qu'elle ne présentât pas trop de difficultés, c'était là une affaire de longue haleine. Nous autres Allemands, c'est bien connu, avons la manie terriblement pesante d'aller au fond des choses; nous sommes d'une profondeur radicale ou d'un radicalisme profond, comme il vous plaira de l'appeler. Chaque fois que l'un de nous expose ce qu'il considère comme une théorie nouvelle, il faut d'abord qu'il l'élabore pour en faire un système universel. Il lui faut prouver qu'à la fois les premiers principes de la logique et les lois fondamentales de l'univers n'ont existé de toute éternité à une fin autre que de conduire en dernière analyse à la doctrine qu'il vient de découvrir et qui en est le couronnement.
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