Kahn.
M. La Rouquette regarda ses deux collègues l’un après l’autre ; mais, les voyant solennels, il ne sourit même pas.
― Puis, continua M. Kahn comme répondant aux choses qu’il ne disait pas tout haut, Rougon a des ennuis, depuis que Marsy est ministre de l’intérieur. Ils n’ont jamais pu se souffrir... Rougon me disait que, sans son attachement à l’empereur, auquel il a déjà rendu tant de services, il serait depuis longtemps rentré dans la vie privée... Enfin, il n’est plus bien aux Tuileries, il sent la nécessité de faire peau neuve.
― Il agit en honnête homme, répéta M. Béjuin.
― Oui, dit M. La Rouquette d’un air fin, s’il veut se retirer, l’occasion est bonne... N’importe, ses amis seront désolés. Voyez donc le colonel là-haut, avec sa mine inquiète ; lui qui comptait si bien s’attacher son ruban rouge au cou, le 15 août prochain !... Et la jolie madame Bouchard qui avait juré que le digne monsieur Bouchard serait chef de division à l’Intérieur avant six mois ! Le petit d’Escorailles, l’enfant gâté de Rougon, devait mettre la nomination sous la serviette de monsieur Bouchard, le jour de la fête de madame... Tiens ! où sont-ils donc, le petit d’Escorailles et la jolie madame Bouchard ?
Ces messieurs les cherchèrent. Enfin ils les découvrirent au fond de la tribune, dont ils occupaient le premier banc, à l’ouverture de la séance. Ils s’étaient réfugiés là, dans l’ombre, derrière un vieux monsieur chauve ; et ils restaient bien tranquilles tous les deux, très-rouges.
A ce moment, le président achevait sa lecture. Il jeta ces derniers mots d’une voix un peu tombée, qui s’embarrassait dans la rudesse barbare de la phrase :
― Présentation d’un projet de loi ayant pour objet d’autoriser l’élévation du taux d’intérêt d’un emprunt autorisé par la loi du 9 juin 1853, et une imposition extraordinaire par le département de la Manche.
M. Kahn venait de courir à la rencontre d’un député qui entrait dans la salle. Il l’amena, en disant :
― Voici monsieur de Combelot... Il va nous donner des nouvelles.
M. de Combelot, un chambellan que le département des Landes avait nommé député sur un désir formel exprimé par l’empereur, s’inclina d’un air discret, en attendant qu’on le questionnât. C’était un grand bel homme, très-blanc de peau, avec une barbe d’un noir d’encre qui lui valait de vifs succès parmi les femmes.
― Eh bien ! interrogea M. Kahn, qu’est-ce qu’on dit au château ? Qu’est-ce que l’empereur a décidé ?
― Mon Dieu, répondit M. de Combelot en grasseyant, on dit bien des choses... L’empereur a la plus grande amitié pour monsieur le président du Conseil d’État. Il est certain que l’entrevue a été très-amicale... Oui, elle a été très-amicale.
Et il s’arrêta, après avoir pesé le mot, pour savoir s’il ne s’était pas trop avancé.
― Alors, la démission est retirée ? reprit M. Kahn, dont les yeux brillèrent.
― Je n’ai pas dit cela, reprit le chambellan très-inquiet. Je ne sais rien. Vous comprenez, ma situation est particulière...
Il n’acheva pas, il se contenta de sourire, et se hâta de monter à son banc. M. Kahn haussa les épaules, et s’adressant à M.
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