Il était de nouveau devant elle.
– C’est Zéléda, dit-il. J’ai vu son sac de voyage dans le couloir du premier. Elle aura pris le train de 20h 30, pour épargner la dépense d’une nuit d’hôtel. Comment n’ai-je pas prévu ! Elle est là depuis dix minutes, vingt minutes peut-être, sait-on ?… File !
Il trépignait d’impatience, bien que dans l’excès de son humiliation il essayât de se composer une attitude. Mais Mouchette lui répondit froidement :
– C’est ton tour d’être fou ! Que crains-tu ? C’est papa qui m’envoie. Je ne puis me sauver comme une voleuse, ce serait trop bête. D’ailleurs, la fenêtre de ta chambre donne sur la rue des Égraulettes ; elle me verra. Après trois jours d’absence, grimper sans mot dire, ça n’est pas naturel, ça. Nous a-t-elle entendus ? Tant mieux. On n’entend jamais rien de précis à travers la porte. Ne discute pas. Ris-lui au nez ! Quand elle viendra, nous lui dirons gentiment bonjour…
Il l’écoutait, convaincu. En un instant, sous les mains agiles de Mouchette, chaque objet reprit sa place accoutumée. Les coussins retrouvèrent leur rondeur élastique, les fauteuils tournèrent sagement le dos au mur, la pharmacie ferma ses portes, la lampe brilla tranquille, sous son bonhomme d’abat-jour vert. Lorsque Mlle Malorthy se rassit, les murs eux-mêmes mentaient.
– Attendons maintenant, dit-elle.
– Attendons, répéta Gallet.
Son regard fit une dernière fois le tour de la pièce, et il le reporta, rassuré, sur sa maîtresse. À distance respectueuse de l’homme de science dans l’exercice de son sacerdoce, la jeune malade, attentive, se tenait prête à recevoir l’oracle infaillible.
– Comment ose-t-elle croiser si haut les genoux ? remarqua seulement Gallet, perplexe.
À présent qu’elle s’était tue, il sentait bien qu’il avait été tout à l’heure sensible, moins aux raisons de sa maîtresse qu’à sa voix et à son accent.
« C’est enfantin, se répétait-il, enfantin. Sa présence ici peut se justifier cent fois !… »
Mais à la pensée de suivre bientôt la capricieuse enfant dans son mensonge, de tenir son rôle devant l’ennemie sceptique et sournoise, sa langue collait au palais. C’est alors que tout à coup, cherchant encore le regard de Mouchette, il ne le trouva plus. Les yeux perfides considéraient le mur au-dessus de lui, déjà mûrs d’un nouveau secret. Il eut le pressentiment, la certitude d’un malheur désormais inévitable. Son vice était là, devant lui, en pleine lumière, évident, éclatant, et il avait voulu près de lui ce témoin irrécusable ! Si la peur ne l’eût cloué sur place, il eût sans doute à ce moment, jeté Mouchette par la fenêtre. Il eût sauté dessus, comme on piétine une mèche allumée, près de la soute aux poudres. Mais il était trop tard. L’affreuse résignation du lâche le livrait sans défense à sa familière ennemie. Et, avant qu’elle eût prononcé une parole, il l’entendit (pourtant la voix qui rompit le silence fut claire et suave) :
– Crois-tu à l’enfer, mon chat ?
– C’est bien le moment de parler de bêtises, répondit-il, conciliant ; je t’en prie : garde au moins pour une meilleure occasion tes incompréhensibles plaisanteries.
– Ah ! là, là ! voyez-vous ! Non ! La crise est passée ; rassure-toi. Tu finiras par m’enrager avec tes airs d’attendre le bourreau. Que risques-tu maintenant ? Rien du tout.
– Je ne crains que toi, dit Gallet. Oui, tu n’es pas un compagnon très sûr… Elle dédaigna de répondre, et sourit. Puis, après un long silence, la même voix calme et suave redit encore :
– Réponds-moi tout de suite, mon chat : Crois-tu à l’enfer ?
– Bien sûr que non ! s’écria-t-il, exaspéré.
– Jure-le. Il se résigna.
– Oui, je le jure.
– Je savais bien, fit-elle.
1 comment