Tu ne crains pas l’enfer et tu crains ta femme ! Es-tu bête !
– Mouchette, tais-toi, supplia-t-il, ou va-t’en…
– Ou va-t’en ! Hein ? tu regrettes bien de l’avoir, tout à l’heure, retenue, Mouchette ? Elle y serait à présent, dans la mare aux grenouilles, sa chère petite bouche pleine de boue, bien muette… Ne pleure pas, gros bébé. Tu vois bien ; je parle tout bas, exprès. Vilain lâche d’homme ! Tu as peur d’elle, et tu n’as pas peur de moi ! Il supplia :
– Quel intérêt prends-tu à faire du mal ?
– Aucun, en vérité, aucun. Je ne te veux absolument aucun mal. Seulement pourquoi n’as-tu pas peur de moi ?
– Tu es une bonne fille, Mouchette.
– Sans doute ; une bonne fille. Avec elle, tu ne partageras que le plaisir. L’as-tu prouvé tout à l’heure, oui ou non ? Un enfant de Mouchette, fi donc !
– Il n’est pas de moi, s’écria-t-il, hors de lui.
– Supposons-le. Je ne te demande pas de le reconnaître.
– Non (ils parlaient bas), tu exigeais seulement de moi un acte que ma conscience réprouve.
– Nous parlerons de ta conscience dans un moment, répondit Mouchette. En refusant de me rendre service, tu as fini de m’ouvrir les yeux. N’attends pas que je te cherche querelle. Je ne t’aime ni pour ta beauté – regarde-toi – ni pour ta générosité ; sans reproche, tu es plutôt rat ! Qu’est-ce que j’aime donc en toi ? Ne me regarde pas avec ces yeux ronds ! Ton vice… Tu vas dire : c’est une phrase de roman ?… Si tu savais… ce que tu sauras bientôt…, tu comprendrais que j’étais justement tombée tout en bas, à ton niveau… Nous sommes au fond du même trou… Pour toi, je n’ai pas besoin de mentir… Non ! tu ne lis pas dans mon cœur ; tu crois que je me venge… Non ! mon petit. Mais je puis être aujourd’hui tout à fait, tout à fait sincère. Hé bien ! voilà le moment de parler ou jamais. Je te tiens dans l’angle du mur, mon pauvre chat, tu ne peux m’échapper. Je te défie même d’élever la voix… Ainsi !
Elle parlait elle-même si bas qu’il penchait machinalement la tête, d’un geste ingénu. L’éloquence familière, ce demi-silence, le pas tranquille de Zéléda au-dessus d’eux, la voix de Timoléon fredonnant à ses casseroles le refrain d’une chanson bête, achevaient de le rassurer. Toutefois, il n’osait pas encore lever les yeux vers le regard qu’il sentait posé sur lui… « Quel embêtement ! » songeait-il.
Mais le signe fatal était déjà écrit au mur. Mouchette respira fortement et reprit :
– Si je parle à présent, d’ailleurs, c’est pour toi, c’est pour ton bien… Vois : nous nous aimons depuis des semaines, et personne ne sait, personne… Mlle Germaine par-ci… M. le député par-là… hein ? Sommes-nous bien cachés ? bien clos ?
M. Gallet fait l’amour avec une fille de seize ans. Qui s’en doute ? Et ta femme elle-même ? Avoue-le, vieux scélérat, tu la trompes ici, à son nez, à sa moustache (elle en a !), c’est la moitié de ton bonheur. Je te connais. Tu n’aimes pas l’eau claire. Ainsi, dans ma fameuse mare de Vauroux, je vois des bêtes très drôles, très singulières ; ça ressemble un peu à des mille-pattes, mais plus longs… Un instant tu les verras flotter à la surface limpide de l’eau. Puis ils s’enfoncent tout à coup et, à leur place, monte un nuage de boue. Hé bien ! ils nous ressemblent. Entre les imbéciles et nous, il y a aussi ce petit nuage. Un secret. Un gros secret… Quand tu le sauras, comme on s’aimera !
Elle se rejeta aussitôt en arrière, riant d’un rire silencieux.
– Cocasse ! dit Gallet.
Elle fit du bout des lèvres une grimace enfantine, et le fixa un moment, d’un air inquiet. Puis son visage s’éclaira de nouveau :
– C’est vrai que je parle trop, avoua-t-elle ; par peur, au fond. Je parle pour ne rien dire. Si Zéléda entrait maintenant, serais-je seulement contente, ou fâchée ? Attends ! Attends ! Écoute-moi bien d’abord : Le papa, ce n’est pas toi.
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