Tarzan seigneur de la jungle
Edgar Rice Burroughs
TARZAN SEIGNEUR DE LA JUNGLE
1912
CHAPITRE PREMIER
TANTOR L’ÉLÉPHANT
Balançant sa trompe de droite et de gauche, suivant le rythme de sa marche, Tantor l’éléphant flânait dans l’ombre de la forêt immense. Il se savait tout puissant dans le royaume des bêtes. Dango, la hyène, Sheeta, la panthère, et même Numa, le puissant lion, s’esquivaient devant le pachyderme. Depuis cent ans, il régnait sur ce pays dont la terre avait toujours résonné sous les pas de ses ancêtres.
En paix, il vivait avec Dango la hyène, Sheeta la panthère et Numa le lion ! Seuls les hommes osaient lui faire la guerre, les hommes, ces créatures qui sont les ennemis de toutes les autres et même de leur propre espèce, les hommes, ces machines à haïr, les plus perfectionnées que la Nature ait créées.
Pendant les cent longues années de son existence, Tantor avait appris à connaître les hommes. Il y en avait de noirs, avec de longues lances et des flèches, et de blancs, avec des armes terribles qui portaient la mort à distance.
Les hommes blancs étaient les derniers venus et sans doute les pires de tous. Pourtant, Tantor ne haïssait pas les hommes, pas même les blancs. La haine, de même que l’envie et l’avarice, sont des passions exclusivement humaines. Les animaux les ignorent, de même qu’ils ignorent la peur, qui prend plutôt chez eux la forme d’une certaine circonspection prudente, comme celle dont fait preuve l’antilope lorsque, prête à s’enfuir à la moindre alerte, elle vient s’abreuver auprès du lion.
Tantor pratiquait cette circonspection à l’égard des hommes et les évitait soigneusement. Aussi, un témoin qui aurait aperçu l’énorme bête se promenant paresseusement sous le couvert des grands arbres, aurait refusé d’en croire le témoignage de ses yeux, car sur le dos rugueux de l’éléphant se prélassait une créature humaine !
Mais nul n’était là pour s’étonner de cet extraordinaire spectacle, et Tantor continuait à s’avancer, dans l’écrasante chaleur, tandis que Tarzan, Seigneur de la Jungle, sommeillait sur le dos de son monstrueux ami.
Une brise légère venait du Nord, n’apportant nul avertissement inquiétant à l’odorat de Tarzan. La paix régnait sur la jungle !
Dans la forêt, Fahd et Motlog, de la tribu des El-Hard, venaient de quitter le camp du cheik Ibn Jad, pour chasser. Ils s’étaient fait accompagner par des esclaves noirs. En silence, ils avançaient sur la trace fraîche de l’éléphant, les Arabes convoitant l’ivoire de la bête, les esclaves sa viande abondante et saine.
C’était Fejjuan, le grand esclave Galla, puissant guerrier d’ébène, chasseur fameux, qui servait de guide à la petite troupe.
Fejjuan, lui aussi, pensait avec appétit à la viande fraîche, mais il pensait aussi à El-Habash, l’oasis d’on il avait été enlevé alors qu’il était tout enfant. Il rêvait de revenir un jour dans son pays Galla. Peut-être El-Habash n’était-il plus très éloigné maintenant ? Pendant des mois, Ibn Jad s’était enfoncé vers le Sud et, maintenant, il obliquait vers l’Est depuis quelques jours. El-Habash devait être proche ! Si Fejjuan en avait été sûr, il n’aurait pas tardé davantage à secouer les chaînes de l’esclavage, et Ibn Jad aurait perdu incontinent son plus bel esclave Galla.
À deux étapes vers le Nord, à l’extrémité méridionale de l’Abyssinie, se trouvait le village de Fejjuan, tout près de la route tracée sur le plan que Ibn Jad étudiait depuis presque un an, c’est-à-dire depuis le jour où il s’était lancé dans une folle aventure, hypnotisé par les prédictions et les révélations d’un savant Sahar, magicien réputé. Malheureusement, Fejjuan ignorait à la fois l’emplacement exact du village de son père et les plans d’Ibn Jad.
Les feuilles des arbres se desséchaient de chaleur, au-dessus de la tête des chasseurs. Pendant ce temps, Tarzan et Tantor, assoupis, s’abandonnaient à cette fausse impression de sécurité qui est l’un des plus grands dangers de la jungle.
Fejjuan, le Galla, s’arrêta brusquement, et leva la main pour enjoindre le silence à ceux qui le suivaient. Devant lui, visible à travers le feuillage, s’érigeait la gigantesque silhouette de l’éléphant !
Alors, Fahd leva lentement son fusil. Il y eut un éclair, une bouffée de fumée, un barrissement surpris et l’éléphant disparut dans la forêt sans avoir été atteint.
Au moment où Tantor s’ébranlait pour fuir, Tarzan, brusquement réveillé par la détonation, venait de se dresser, sur le dos de l’animal, si bien que, Tantor passant précipitamment sous des branches basses, l’une d’elles atteignit au front Tarzan, qui roula à terre, évanoui sous la violence du coup.
Tantor, terrifié, ne songeait qu’à fuir et fonçait droit devant lui, renversant tout sur son passage, arbres et buissons, aussi aisément que s’il se fût agi de simples brins d’herbe. Il ne s’aperçut même pas qu’il avait perdu son ami, qui gisait maintenant, blessé et sans défense, à la merci de leur ennemi commun, l’homme. Tantor d’ailleurs ne pensait jamais à Tarzan comme à une créature humaine, à un Targani, c’est-à-dire un blanc, car l’approche des hommes blancs était synonyme de violence, de douleur, de trahison et de mort, tandis que Tarzan était escorté par l’amitié, la confiance et la paix. Aussi, parmi toutes les bêtes de la jungle, ce n’était qu’avec Tarzan que Tantor consentait à fraterniser.
« Là ! Tu l’as manqué ! s’exclama Fejjuan, désolé.
– Cheïtan (le Diable) a détourné la balle ! fit Fahd avec dépit. Mais allons voir. Peut-être la bête est-elle blessée ?
– Non ! Tu l’as manquée ! »
Les deux hommes s’avancèrent, suivis par le reste des chasseurs, à la recherche d’une trace sanglante. Soudain, Fahd s’immobilisa.
« Par Allah ! qu’est-ce que cela ! fit-il. J’ai tiré sur un éléphant et j’ai tué un homme ! »
Ses compagnons s’approchèrent.
« C’est un Infidèle et il est blanc de peau ! fit Motlog avec mépris.
– Probablement quelque païen sauvage de la forêt, dit un autre. Où donc ta balle l’a-t-elle atteint, Fahd ? »
Ils retournèrent le corps inerte de Tarzan.
« Je ne trouve pas trace de blessure ! fit Fejjuan, intrigué.
– Est-il mort ? Peut-être chassait-il l’éléphant, lui aussi, et a-t-il été foulé aux pieds par la bête ?
– Il vit ! annonça Fejjuan, qui avait posé son oreille sur la poitrine du géant. Il vit et je pense qu’il est simplement étourdi par un coup que l’éléphant lui aura sans doute assené sur la tête.
– Je vais l’achever ! déclara Fahd, tirant son poignard.
– Par Allah ! n’en fais rien, Fahd ! s’écria Motlog. Le cheik décidera ce qu’il faut faire du roumi. Tu es toujours trop pressé de répandre le sang !
– Ce n’est qu’un Infidèle, insista Fahd.
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