Veux-tu donc que nous nous embarrassions de son corps pour revenir au camp ?

– Il remue ! annonça Fejjuan. Tout à l’heure, il sera suffisamment rétabli pour nous accompagner sans aide… à condition qu’il le veuille ! Par Allah ! c’est un géant ! Quel homme !

– Attachons-le », dit Fahd.

Avec de solides courroies, les Arabes se hâtèrent de lier les poignets et les chevilles de l’homme évanoui. Ils avaient à peine terminé, lorsque Tarzan ouvrit les yeux et les dévisagea silencieusement. Il secoua la tête et sentit ses idées s’éclaircir. En même temps, il comprit en quelles mains il était tombé.

« Pourquoi m’avez-vous ligoté ? dit-il en arabe. Ôtez ces liens ! »

Fahd se mit à rire.

« Te prends-tu donc pour un grand cheik, Infidèle, pour donner des ordres à des Bédouins comme à des chiens ?

– Je suis Tarzan, répondit le fils de la jungle avec un tranquille orgueil.

– Tarzan ! » s’exclama Motlog.

Il entraîna Fahd à part.

« Allah a voulu, lui dit-il à voix basse, que nous offensions le plus puissant de tous les habitants de cette région ! Dans tous les villages où nous sommes allés en expédition, nous avons entendu invoquer son nom : « Lorsque Tarzan, le Seigneur de la Jungle, sera de retour, il vous punira d’avoir égorgé nos troupeaux et emmené nos hommes en esclavage ! » glapissaient les vieillards et les femmes !

– En ce cas, lorsque j’ai levé mon poignard sur lui, tu n’aurais pas dû retenir mon bras, Motlog, fit Fahd avec aigreur. Heureusement, il n’est pas trop tard ! »

Et il porta la main à sa ceinture.

« Arrête, s’exclama son compagnon. Suppose que l’un de ces esclaves réussisse à s’échapper ? Il ne manquerait pas d’aller répandre dans le pays le bruit que nous avons tué ce grand cheik ! Les tribus se soulèveraient toutes et nous ne reverrions jamais notre douar natal !

– Alors, conduisons-le à Ibn Jad et qu’il prenne lui-même cette responsabilité, proposa Fahd, soucieux.

– Par Allah ! tu parles sagement, répliqua Motlog. Le cheik fera ce qu’il voudra. Allons ! »

Et ils retournèrent auprès de Tarzan.

« Eh bien, qu’avez-vous décidé ? leur dit celui-ci avec impatience. Si vous avez quelque sagesse, vous allez couper ces liens et me conduire à votre cheik. Je désire lui parler.

– Nous ne sommes que de pauvres gens, répondit doucereusement Motlog. Ce n’est pas à nous de prendre une décision, et nous allons te conduire auprès de notre sage cheik. »

*

* *

Le cheik Ibn Jad était accroupi sur des coussins, à l’entrée de sa tente ; à ses côtés se trouvaient Tollog, son frère, et un jeune Bédouin nommé Zeyd, qui semblait trouver moins d’intérêt à la compagnie du cheik qu’à la proximité d’une tente dans laquelle, de temps à autre, il pouvait apercevoir la silhouette d’Ateja, la fille d’Ibn Jad.

Auprès de sa mère, Hirfa, qui confectionnait une sorte de délectable « méchoui » dans une marmite, la jeune fille était très affairée à coudre des sandales, mais parfois elle levait les yeux et lançait alors un regard sur Zeyd, puis en rougissant elle reprenait son travail.

« Nous avons fait un long détour, exposait le cheik, afin d’éviter les peuplades les plus belliqueuses de cette contrée. Maintenant, nous allons remonter vers le Nord et passer par le pays de El-Habash, pour atteindre l’endroit où le magicien nous a indiqué que nous pourrions trouver la ville de Nimmr où se trouve le trésor.

– Et crois-tu que nous trouverons facilement cette cité fabuleuse une fois que nous serons à El-Habash ? demanda Tollog, frère du cheik.

– Par Allah, oui. Tous les habitants du pays en ont entendu parler. Fejjuan lui-même, que nous avons enlevé alors qu’il n’était qu’un enfant, se souvient d’avoir entendu rapporter cette légende. Nous ferons des prisonniers parmi les Habashis et, avec l’aide d’Allah, nous trouverons bien le moyen de leur délier la langue et de leur arracher la vérité.

– Par Allah ! j’espère qu’il n’en sera pas comme pour le trésor qui gît sous le grand rocher d’El-Hovara, dans la plaine de Medaine Salih, dit Zeyd. Il est gardé par un effrit, et le téméraire qui oserait essayer de s’en emparer perdrait immédiatement la mémoire et deviendrait fou !

– Zeyd dit vrai, fit Tollog. J’ai entendu conter ce récit par un sage Magrebin.

– Par Allah ! s’exclama Ibn Jad, que nous importe ? Aucun génie ne garde les trésors de Nimmr ! Nous n’aurons affaire qu’aux Habashis, et nous en aurons raison avec quelques coups de fusil. Le trésor nous attend !

– Allah veuille que nous puissions nous en emparer aussi facilement que l’on peut se saisir du trésor de Geryeh ! fit Zeyd. On m’a dit que celui qui, le vendredi, priait dans les ruines du lever du soleil jusqu’à son coucher recevait une pluie de pièces d’or à minuit !

– Une fois que nous serons à Nimmr, toutes les difficultés seront surmontées, affirma Ibn Jad. Le magicien me l’a certifié.

– Il y a des magiciens qui mentent pour moins d’argent que tu n’en as donné à celui-là ! murmura Tollog.

– Qui vient là ? s’écria Ibn Jad à ce moment, en regardant du côté de la forêt à la lisière de laquelle était établi le camp.

– Ce sont Fahd et Motlog qui reviennent de la chasse, dit Tollog. Allah veuille qu’ils ramènent de l’ivoire et de la viande !

– Ils sont de retour trop tôt pour cela, marmotta Ibn Jad.

– En tout cas, ils ne reviennent pas les mains vides ! » s’écria Zeyd en désignant du doigt le géant blanc qui accompagnait les deux chasseurs.

Le petit groupe s’approcha de la tente du cheik et s’arrêta devant l’Arabe.

Ibn Jad avait caché son visage de son burnous déchiré et il n’exposait aux regards de Tarzan que deux petits yeux avides et rusés. Le fils de la jungle jeta un bref regard sur la figure de Tollog, bestiale et marquée de petite vérole, puis sur celle, plus plaisante, du jeune Zeyd.

« Lequel de vous est le cheik ? » fit Tarzan, d’un ton impérieux qui contrastait avec les liens qui lui enserraient toujours les poignets.

Ibn Jad laissa retomber le pan de son burnous.

« Par Allah, c’est moi ! dit-il. Et quel est ton nom, Infidèle ?

– On m’appelle Tarzan.

– Tarzan ? répéta Ibn Jad en réfléchissant. J’ai déjà entendu ce nom.

– Sans doute ! Il n’est inconnu d’aucun des marchands d’esclaves ! Pourquoi as-tu pénétré dans mon domaine, alors que tu sais que j’y interdis la traite des noirs ?

– Je ne suis pas venu pour faire la chasse aux esclaves ! protesta Ibn Jad en essayant de donner une expression de franchise à son ingrat visage. Nous sommes d’honnêtes commerçants et faisons seulement le négoce de l’ivoire !

– Tu mens par ta barbe, Musulman ! répliqua Tarzan. J’ai reconnu des esclaves Manuyema et Galla parmi tes gens, et, certes, ils ne sont pas ici de leur plein gré. D’ailleurs, n’ai-je pas vu tes hommes tirer sur un éléphant ? Est-ce là ce que tu appelles un pacifique commerce de l’ivoire ? Non ! c’est du braconnage, et Tarzan interdit ces pratiques sur ses domaines. Vous êtes des négriers et des braconniers !

– Par Allah ! c’est faux, nous sommes d’honnêtes marchands ! s’écria Ibn Jad effrayé par cette violence.