Congenial Horror
From this bizarre and livid sky
Tormented by your destiny,
Into your vacant spirit fly
What thoughts? respond, you libertine.
—Voracious in my appetite
For the uncertain and unknown,
I do not whine for paradise
As Ovid did, expelled from Rome.*
Skies torn apart like wind-swept sands,
You are the mirrors of my pride;
Your mourning clouds, so black and wide,
Are hearses that my dreams command,
And you reflect in flashing light
The Hell in which my heart delights.
83. Heautontimoroumenos*
for J.G.F.*
I’ll strike you without rage or hate
The way a butcher strikes his block,
The way that Moses smote the rock!*
So that your eyes may irrigate
Pour abreuver mon Saharah
Jaillir les eaux de la souffrance.
Mon désir gonflé d’espérance
Sur tes pleurs salés nagera
Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon cœur qu’ils soûleront
Tes chers sanglots retentiront
Comme un tambour qui bat la charge!
Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord?
Elle est dans ma voix, la criarde!
C’est tout mon sang, ce poison noir!
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde!
Je suis la plaie et le couteau!
Je suis le soufflet et la joue!
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau!
Je suis de mon cœur le vampire,
—Un de ces grands abandonnés
Au rire éternel condamnés
Et qui ne peuvent plus sourire!
My dry Sahara, I’ll allow
The tears to flow of your distress.
Desire, that hope embellishes,
Will swim along the overflow
As ships set out for voyaging,
And like a drum that beats the charge
In my infatuated heart
The echoes of your sobs will ring!
But am I not a false accord
Within the holy symphony,
Thanks to voracious Irony
Who gnaws on me and shakes me hard?
She’s in my voice, in all I do!
Her poison flows in all my veins!
I am the looking-glass of pain
Where she regards herself, the shrew!
I am the wound, and rapier!
I am the cheek, I am the slap!
I am the limbs, I am the rack,
The prisoner, the torturer!
I am my own blood’s epicure
—One of those great abandoned men
Who are eternally condemned
To laugh, but who can smile no more!*
84. L’Irrémédiable
I
Une Idée, une Forme, un
Etre Parti de l’azur et tombé
Dans un Styx bourbeux et plombé
Où nul œil du Ciel ne pénètre;
Un Ange, imprudent voyageur
Qu’a tenté l’amour du difforme,
Au fond d’un cauchemar énorme
Se débattant comme un nageur,
Et luttant, angoisses funèbres!
Contre un gigantesque remous
Qui va chantant comme les fous
Et pirouettant dans les ténèbres;
Un malheureux ensorcelé
Dans ses tâtonnements futiles,
Pour fuir d’un lieu plein de reptiles,
Cherchant la lumière et la clé;
Un damné descendant sans lampe,
Au bord d’un gouffre dont l’odeur
Trahit l’humide profondeur,
D’éternels escaliers sans rampe,
Où veillent des monstres visqueux
Dont les larges yeux de phospore
Font une nuit plus noire encore
Et ne rendent visibles qu’eux;
84. The Irremediable
I
A Being, a Form, an Idea
Having fallen from out of the blue
Into the Stygian slough*
Where no eye of the sky ever sees;
An impetuous Angel, allured
By the love of the twisted and mean,
In the depths of a nightmarish dream
Like a swimmer who struggles for shore,
Contending in wretched distress
With a whirlpool that swivels along
Singing a madman’s song,
Performing its dark pirouettes;
A bewildered man, miserably
Attempting a groping escape
Out of a place full of snakes,
Lacking the lamp and the key;
A damned soul fumbling down steps
Of an infinite stair without rails
At the edge of a gulf, with a smell
Betraying the clammy depths,
Where monsters watch below,
Whose eyeballs’ glowing light
Makes blacker still the night—
Themselves are all they show;
Un navire pris dans le pôle,
Comme en un piège de cristal,
Cherchant par quel détroit fatal
Il est tombé dans cette geôle;
—Emblèmes nets, tableau parfait
D’une fortune irrémédiable,
Qui donne à penser que le Diable
Fait toujours bien tout ce qu’il fait!
II
Tête-à-tête sombre et limpide
Qu’un cœur devenu son miroir!
Puits de Vérité, clair et noir,
Où tremble une étoile livide,
Un phare ironique, infernal,
Flambeau des grâces sataniques,
Soulagement et gloire uniques,
—La conscience dans le Mal!
85. L’Horloge
Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit: ‘Souviens-toi!
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible;
Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse;
Chaque instant te dévore un morceau de délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
An iced-in polar ship
Seized in a vice of glass,
Searching the fatal path
Of this imprisoning trip;
Pure emblems, a perfect tableau
Of an irremediable evil,
Which makes us think that the Devil
Does well what he chooses to do!
II
It’s a face-to-face sombre and clear
When a heart gives its own image back!
Well of Verity, limpid and black,
Where trembles a ghastly star,
An ironic beacon, from Hell,
Torch of Satanical graces,
And a glory in consolation,
—Evil aware of itself!
85. The Clock
The Clock! a sinister, impassive god
Whose threatening finger says to us: ‘Remember!
Soon in your anguished heart, as in a target,
Quivering shafts of Grief will plant themselves;
Vaporous Joy glides over the horizon
The way a sylphid flits into the wings;*
Each instant eats a piece of the delight
A man is granted for his earthly season.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote: Souviens-toi!—Rapide, avec sa voix
D’insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois,
Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!
Remember! Souviens-toi! prodigue! Esto memor!
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or!
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup! c’est la loi.
Le jour décroît; la nuit augmente; souviens-toi!
Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l’heure oû le divin Hasard,
Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh! la dernière auberge!),
Où tout te dira: Meurs, vieux lâche! il est trop tard!’
Three thousand and six hundred times an hour
The Second sighs, Remember!- Suddenly
That droning insect Now says: I am Past
And I have sucked your life into my nostril!
Esto memor! Remember! Souviens-toi!
(My metal throat speaks out in a every language)
Don’t let the minutes, prodigal, be wasted—
They are the ore you must refine for gold!
Remember, Time is greedy at the game
And wins on every roll! perfectly legal.
The day runs down; the night comes on; remember!
The water-clock bleeds into the abyss.
Soon sounds the hour when Chance the heavenly,
When Virtue the august, eternal virgin,
When even (oh! your last retreat) Repentance,
Will tell you: Die old coward! it’s too late!’
Tableaux parisiens
Parisian Scenes
86. Paysage
Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers, écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l’atelier qui chante et qui bavarde;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font réver d’éternité.
Il est doux, à travers les brumes, de voir naître
L’étoile dans l’azur, la lampe à la fenêtre,
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes,
Et quand viendra l’hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d’eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l’Idylle a de plus enfantin.
L’Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;
Car je serai plongé dans cette volupté
D’évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon cœur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.
86. Landscape
So as to write my eclogues* in the purest verse
I wish to lay me down, like the astrologers,
Next to the sky, and hear in reverie the hymns
Of all the neighbouring belfries, carried on the wind.
My two hands to my chin, up in my attic room,
I’ll see the atelier singing a babbled tune;
The chimney-pipes, the steeples, all the city’s masts,
The great, inspiring skies, magnificent and vast.
How sweet it is to see, across the misty gloom,
A star born in the blue, a lamp lit in a room,
Rivers of chimney smoke, rising in purplish streams,
The pale of glow of the moon, transfiguring the scene.
I will look out on springs and summers, autumn’s show,
And when the winter comes, in monotone of snow,
I’ll lock up all the doors and shutters neat and tight,
And build a fairy palace for myself at night.
Sol will dream of bright horizons in the blue
Where fountains weep in pools of alabaster hue,
Of kisses in the glades, where birds sing night and day,
Of all to make an idyll in a childish way.
Riot,* that rages vainly at my window glass,
Will never make me raise my forehead from my task,
Since I am plunged in this voluptuous delight—
Of conjuring the spring with all the poet’s might,
Of hauling forth a sun out of my heart, with care
Transmuting furious thoughts to gently breathing air.
87. Le Soleil
Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.
Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Éveille dans les champs les vers comme les roses;
Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir!
Quand, ainsi qu’un poëte, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.
88. A une mendiante rousse
Blanche fille aux cheveux roux,
Dont la robe par se trous
Laisse voir la pauvreté
Et la beauté,
87. The Sun
Through all the district’s length, where from the shacks
Hang shutters for concealing secret acts,
When shafts of sunlight strike with doubled heat
On towns and fields, on rooftops, on the wheat,
I practise my quaint swordsmanship alone,*
Stumbling on words as over paving stones,
Sniffing in corners all the risks of rhyme,
To find a verse I’d dreamt of a long time.
This foster-father, fighter of chlorosis,*
Wakes in the fields the worms as well as roses;
He sends our cares in vapour to the skies,
And fills our minds, with honey fills the hives,
Gives crippled men a new view of the world,
And makes them gay and gentle as young girls,
Commands the crops to grow, and nourishes
Them, in that heart that always flourishes!
When, poet-like, he comes to town awhile,
He lends a grace to things that are most vile,
And simply, like a king, he makes the rounds
Of all the hospitals, the palace grounds.
88. To a Red-Haired Beggar Girl
Pale girl with russet hair,*
Tatters in what you wear
Show us your poverty
And your beauty,
Pour moi, poète chétif,
Ton jeune corps maladif,
Plein de taches de rousseur,
A sa douceur.
Tu portes plus galamment
Qu’une reine de roman
Ses cothurnes de velours
Tes sabots lourds.
Au lieu d’un haillon trop court,
Qu’un superbe habit de cour
Traîne à plis bruyants et longs
Sur tes talons;
En place de bas troués,
Que pour les yeux des roués
Sur ta jambe un poignard d’or
Reluise encor;
Que des nœuds mal attachés
Dévoilent pour nos péchés
Tes deux beaux seins, radieux
Comme des yeux;
Que pour te déshabiller
Tes bras se fassent prier
Et chassent à coups mutins
Les doigts lutins;
Perles de la plus belle eau,
Sonnets de maître Belleau
Par tes galants mis aux fers
Sans cesse offerts,
Valetaille de rimeurs
Te dédiant leurs primeurs
Et contemplant ton soulier
Sous l’escalier,
For me, poor poet, in
The frail and freckled skin
Of your young flesh
Is a sweetness.
You move in shoes of wood
More gallantly than could
A velvct-buskined Queen
Playing a scene;
In place of rags for clothes
Let a majestic robe
Trail in its bustling pleats
Down to your feet;
Behind the holes in seams
Let a gold dagger gleam
Laid for the roue’s eye
Along your thigh;
Let loosened ribbons, then,
Unveil us for our sins
Two breasts as undisguised
And bright as eyes;
As for your other charms,
Let your resistant arms
Frustrate with saucy blows
The groping rogues;
Pearls of a lustrous glow,
Sonnets penned by Belleau,*
Suitors at your command
Constantly send,
Menial rhymsters, too,
Dedicate works to you;
Seeing your slipper there
Under the stair,
Maint page épris du hasard,
Maint seigneur et maint Ronsard
Épieraient pour le déduit
Ton frais réduit!
Tu compterais dans tes lits
Plus de baisers que de lis
Et rangerais sous tes lois
Plus d’un Valois!
—Cependant tu vas gueusant
Quelque vieux débris gisant
Au seuil de quelque Véfour
De carrefour;
Tu vas lorgnant en dessous
Des bijoux de vingt-neuf sous
Dont je ne puis, oh! pardon!
Te faire don.
Va donc, sans autre ornement,
Parfum, perles, diamant,
Que ta maigre nudité,
Ô ma beauté!
89. Le Cygne
A Victor Hugo
I
Andromaque, je pense à vous! Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L’immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,
Pages and noble lords,
Would-be Ronsards* galore,
Spy for the secret sweets
Of your retreat!
Lilies, in your alcove,
Count less than making love—
You’d hold to lovers’ law
Several Valois!*
—Meanwhile, you beg to eat
Stale bread and tainted meat
Thrown from an alley door—
Backstreet Véfour—*
And covet secretly
The cheapest jewellery
Which I (forgive me!) can’t
Place in your hand.
Go then, a starveling girl
With no perfume or pearls,
Only your nudity
O my beauty!
89. The Swan
for Victor Hugo*
I
Andromache,* I think of you—this meagre stream,
This melancholy mirror where had once shone forth
The giant majesty of all your widowhood,
This fraudulent Simois,* fed by bitter tears,
A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville
Change plus vite, hélas! que le cœur d’un mortel);
Je ne vois qu’en esprit tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,
Les herbes, les gros blocs verdis par l’eau des flaques,
Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.
Là s’étalait jadis une ménagerie;
Là je vis, un matin, à l’heure où sous les cicux
Froids et clairs le Travail s’éveille, où la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l’air silencieux,
Un cygne qui s’était évadé de sa cage,
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.
Près d’un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec
Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le cœur plein de son beau lac natal:
‘Eau, quand donc pleuvras-tu? quand tonneras-tu, foudre?’
Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,
Vers le ciel quelquefois, comme l’homme d’Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,
Comme s’il adressait des reproches à Dieu!
II
Paris change! mais rien dans ma mélancolie
N’a bougé! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Has quickened suddenly my fertile memory
As I was walking through the modern Carrousel.*
The old Paris is gone* (the form a city takes
More quickly shifts, alas, than does the mortal heart);
I picture in my head the busy camp of huts,
And heaps of rough-hewn columns, capitals and shafts,
The grass, the giant blocks made green by puddle-stain,
Reflected in the glaze, the jumbled bric-à-brac.
Once nearby was displayed a great menagerie,
And there I saw one day—the time when under skies
Cold and newly bright, Labour stirs awake
And sweepers push their storms into the silent air—
A swan, who had escaped from his captivity,
And scuffing his splayed feet along the paving stones,
He trailed his white array of feathers in the dirt.
Close by a dried out ditch the bird opened his beak,
Flapping excitedly, bathing his wings in dust,
And said, with heart possessed by lakes he once had loved:
‘Water, when will you rain? Thunder, when will you roar?’
I see this hapless creature, sad and fatal myth,
Stretching the hungry head on his convulsive neck,
Sometimes towards the sky, like the man in Ovid’s book—*
Towards the ironic sky, the sky of cruel blue,
As if he were a soul contesting with his God!
II
Paris may change, but in my melancholy mood
Nothing has budged! New palaces, blocks, scaffoldings,
Old neighbourhoods, are allegorical for me,
And my dear memories are heavier than stone.
Aussi devant ce Louvre une image m’opprime:
Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exilés, ridicule et sublime,
Et rongé d’un désir sans trêve! et puis à vous,
Andromaque, des bras d’un grand époux tombée,
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d’un tombeau vide en extase courbée;
Veuve d’Hector, hélas! et femme d’Hélénus!
Je pense à la négresse, amaigrie et phthisique,
Piétinant dans la boue, et cherchant, l’œil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard;
A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais, jamais! à ceux qui s’abreuvent de pleurs
Et tettent la Douleur comme une bonne louve!
Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs!
Ainsi dans la forêt où mon esprit s’exile
Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor!
Je pense aux matelots oubliés dans une île,
Aux captifs, aux vaincus!… à bien d’autres encor!
90. Les Sept Vieillards
A Victor Hugo
Fourmillante cité, cité pleine de rêves,
Où le spectre en plein jour raccroche le passant!
Les mystères partout coulent comme des sèves
Dans les canaux étroits du colosse puissant.
Un matin, cependant que dans la triste rue
Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,
Simulaient les deux quais d’une rivière accrue,
Et que, décor semblable à l’âme de l’acteur,
And so outside the Louvre an image gives me pause:
I think of my great swan, his gestures pained and mad,
Like other exiles, both ridiculous and sublime,
Gnawed by his endless longing! Then I think of you,
Fallen Andromache, torn from a husband’s arms,
Vile property beneath the haughty Pyrrhus’ hand,
Next to an empty tomb, head bowed in ecstasy,
Widow of Hector! O! and wife of Helenus!*
I think of a negress, thin and tubercular,
Treading in the mire, searching with haggard eye
For palm trees she recalls from splendid Africa,
Somewhere behind a giant barrier of fog;
Of all those who have lost something they may not find
Ever, ever again! who steep themselves in tears
And suck a bitter milk from that good she-wolf, grief!
Of orphans, skin and bones, dry and wasted blooms!
And likewise in the forest of my exiled soul
Old Memory sings out a full note of the horn!
I think of sailors left forgotten on an isle,
Of captives, the defeated … many others more!
90. The Seven Old Men
for Victor Hugo
City of swarming, city full of dreams
Where ghosts in daylight tug the stroller’s sleeve!
Mysteries everywhere run like the sap
That fills this great colossus’ conduits.
One morning, while along the sombre street
The houses, rendered taller by the mist,
Seemed to be towering wharves at riverside,
And while (our stage-set like the actor’s soul)
Un brouillard sale et jaune inondait tout l’espace,
Je suivais, raidissant mes nerfs comme un héros
Et discutant avec mon âme déjà lasse,
Le faubourg secoué par les lourds tombereaux.
Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l’aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,
M’apparut. On eût dit sa prunelle trempée
Dans le fiel; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe à longs poils, roide comme une épée,
Se projetait, pareille à celle de Judas.
Il n’était pas voûté, mais cassé, son échine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Si bien que son bâton, parachevant sa mine,
Lui donnait la tournure et le pas maladroit
D’un quadrupède infirme ou d’un juif à trois pattes.
Dans la neige et la boue il allait s’empêtrant,
Comme s’il écrasait des morts sous ses savates,
Hostile à l’univers plutôt qu’indifférent.
Son pareil le suivait: barbe, œil, dos, bâton, loques,
Nul trait ne distinguait, du même enfer venu,
Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques
Marchaient du même pas vers un but inconnu.
A quel complot infâme étais-je donc en butte,
Ou quel méchant hasard ainsi m’humiliait?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait!
Que celui-là qui rit de mon inquiétude,
Et qui n’est pas saisi d’un frisson fraternel,
Songe bien que malgré tant de décrépitude
Ces sept monstres hideux avaient l’air éternel!
A dirty yellow steam filled all the space,
I followed, with a hero’s iron nerve
To set against my spirit’s lassitude,
The district streets shaken by rumbling carts.
Then, an old man whose yellowed rags
Were imitations of the rainy sky,
At whose sight charity might have poured down,
Without the evil glitter in his eyes,
Appeared quite suddenly to me. I’d say
His eye was steeped in gall; his glance was sharp
As frost, his shaggy beard, stiff as a sword,
Stood out, and Judas* came into my mind.
You would not call him bent, but cut in two—
His spine made a right angle with his legs
So neatly that his cane, the final touch,
Gave him the figure and the clumsy step
Of some sick beast, or a three-legged Jew.
In snow and filth he made his heavy way,
As if his old shoes trampled on the dead
In hatred, not indifference to life.
His double followed: beard, eye, back, stick, rags,
No separate traits, and come from the same hell.
This second ancient man, baroque, grotesque,
Trod with the same step towards their unknown goal.
To what conspiracy was I exposed,
What wicked chance humiliated me?
For one by one I counted seven times
Multiples of this sinister old man!
Those who would laugh at my frenetic state,
Who are not seized by a fraternal chill,
Must ponder that, despite their feebleness,
These monsters smacked of all eternity!
Aurais-je, sans mourir, contemplé le huitième,
Sosie inexorable, ironique et fatal,
Dégoûtant Phénix, fils et père de lui-même?
—Mais je tournai le dos au cortège infernal.
Exaspéré comme un ivrogne qui voit double,
Je rentrai, je fermai ma porte, épouvanté,
Malade et morfondu, l’esprit fiévreux et trouble,
Blessé par le mystère et par l’absurdité!
Vainement ma raison voulait prendre la barre;
La tempête en jouant déroutait ses efforts,
Et mon âme dansait, dansait, vieille gabarre
Sans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords!
91. Les Petites Vieilles
A Victor Hugo
1
Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements,
Je guette, obéissant à mes humeurs fatales,
Des êtres singuliers, décrépits et charmants.
Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,
Éponine ou Laïs! Monstres brisés, bossus
Ou tordus, aimons-les! ce sont encor des âmes.
Sous des jupons troués ou sous de froids tissus
Ils rampent, flagellés par les bises iniques,
Frémissant au fracas roulant des omnibus,
Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,
Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus;
Could I still live and look upon the eighth
Relentless twin, fatal, disgusting freak,
Trick Phoenix,* son and father of himself?
—I turned my back on this parade from Hell.
Bedazzled, like a double-visioned drunk,
I staggered home and shut the door, aghast,
Shaking and sick, the spirit feverous,
Struck by this mystery, this absurdity!
Vainly my reason reached to clutch the helm;
The giddy tempest baffled every grasp,
And my soul danced in circles like a hull
Dismasted, on a monstrous shoreless sea!
91. The Little Old Women
for Victor Hugo
I
In sinuous coils of the old capitals
Where even horror weaves a magic spell,
Gripped by my fatal humours, I observe
Singular beings with appalling charms.
These dislocated wrecks were women once,
Were Eponine or Laïs!* hunchbacked freaks,
Though broken let us love them! they are souls.
Under cold rags, their shredded petticoats,
They creep, lashed by the merciless north wind,
Quake from the riot of an omnibus,
Clasp by their sides like relics of a saint
Embroidered bags of flowery design;
Ils trottent, tout pareils à des marionnettes;
Se traînent, comme font les animaux blessés,
Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes
Où se pend un Démon sans pitié! Tout cassés
Qu’ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille,
Luisants comme ces trous où l’eau dort dans la nuit;
Ils ont les yeux divins de la petite fille
Qui s’étonne et qui rit à tout ce qui reluit.
—Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles
Sont presque aussi petits que celui d’un enfant?
La Mort savante met dans ces bières pareilles
Un symbole d’un goût bizarre et captivant,
Et lorsque j’entrevois un fantôme débile
Traversant de Paris le fourmillant tableau,
Il me semble toujours que cet être fragile
S’en va tout doucement vers un nouveau berceau;
A moins que, méditant sur la géométrie,
Je ne cherche, à l’aspect de ces membres discords,
Combien de fois il faut que l’ouvrier varie
La forme de la boîte où l’on met tous ces corps.
—Ces yeux sont des puits faits d’un million de larmes,
Des creusets qu’un métal refroidi pailleta …
Ces yeux mystérieux ont d’invincibles charmes
Pour celui que l’austère Infortune allaita!
II
De Frascati défunt Vestale enamourée;
Prêtresse de Thalie, hélas! dont le souffleur
Enterré sait le nom; célèbre évaporée
Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,
They toddle, every bit like marionettes,
Or drag themselves like wounded animals,
Or dance against their will, poor little bells
That a remorseless demon rings! Worn out
They are, yet they have eyes piercing like drills,
Shining like pot-holes where the water sleeps;
Heavenly eyes, as of a little girl
Who laughs with joy at anything that shines.
—Have you observed that coffins of the old
Are nearly small enough to fit a child?
Death, in this similarity, sets up
An eerie symbol with a strange appeal,
And when I glimpse some feeble phantom there,
Part of the swarming tableau of the town,
It always seems to me this fragile soul
Is moving gently to her cradle bed;
Unless geometry occurs to me
In shapes of these contorted limbs, and I
Think how the workmen have to modify
The boxes where these bodies will be lain.
—These eyes are wells, made of a million tears,
Or crucibles where spangled metal cools …
These eyes of mystery have deathless charms
For those who suckle Tribulation’s breast!
II
Vestal of love,* from old Frascati’s rooms;*
Priestess of Thalia,* whose name only
The buried prompter knows; celebrity
Whom Tivoli* once shaded in its blooms,
Toutes m’enivrent! mais parmi ces êtres frêles
Il en est qui, faisant de la douleur un miel,
Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes:
Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu’au ciel!
L’une, par sa patrie au malheur exercée,
L’autre, que son époux surchargea de douleurs,
L’autre, par son enfant Madone transpercée,
Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs!
III
Ah! que j’en ai suivi de ces petites vieilles!
Une, entre autres, à l’heure où le soleil tombant
Ensanglante le ciel de blessures vermeilles,
Pensive, s’asseyait à l’écart sur un banc,
Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre,
Dont les soldats parfois inondent nos jardins,
Et qui, dans ces soirs d’or où l’on se sent revivre,
Versent quelque héroïsme au cœur des citadins.
Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle,
Humait avidement ce chant vif et guerrier;
Son œil parfois s’ouvrait comme l’œil d’un vieil aigle;
Son front de marbre avait l’air fait pour le laurier!
IV
Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes.
A travers le chaos des vivantes cités,
Mères au cœur saignant, courtisanes ou saintes
Dont autrefois les noms par tous étaient cités.
Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire,
Nul ne vous reconnaît! un ivrogne incivil
Vous insulte en passant d’un amour dérisoire;
Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil.
All make me drunk! but with these weaker souls
Are those, making a honey of their grief,
Who’ve said to Sacrifice, who lent them wings,
Lift me into the sky, great Hippogriffe!*
One by her homeland trained in misery,
Another whom her husband overtaxed,
One a Madonna martyred by her child—
Oh, each could make a river with her tears!
Ill
So many of these women I have stalked!
One among others, when the sun would fall
Steeping the sky in blood from ruby wounds,
Pensive, would settle on a bench alone
To listen to a concert, rich with brass,
With which the soldiers sometimes flood our parks
And pour, in evenings that revive the soul,
Such heroism in the townsmen’s hearts.
She, then, upright and proud, stirred by the cause,
Vigorously inhaled this warlike song;
Sometimes her eye gleamed like an eagle’s eye;
Fit for the laurel was her marble brow!
IV
So you trudge on, stoic, without complaint,
Through the chaotic city’s teeming waste,
Saints, courtesans, mothers of bleeding hearts,
Whose names, in times past, everyone had known.
You glorious ones, you who were full of grace,
Not one remembers you! some rowdy drunk
Insults you on the street with crude remarks;
A taunting child cuts capers at your heels.
Honteuses d’exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs;
Et nul ne vous salue, étranges destinées!
Débris d’humanité pour l’éternité mûrs!
Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,
L’œil inquiet, fixé sur vos pas incertains,
Tout comme si j’étais votre père, ô merveille!
Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins:
Je vois s’épanouir vos passions novices;
Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus;
Mon cœur multiplié jouit de tous vos vices!
Mon âme resplendit de toutes vos vertus!
Ruines! ma famille! ô cerveaux congénères!
Je vous fais chaque soir un solennel adieu!
Où serez-vous demain, Éves octogénaires,
Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu?
92. Les Aveugles
Contemple-les, mon âme; ils sont vraiment affreux!
Pareils aux mannequins; vaguement ridicules;
Terribles, singuliers, comme les somnambules;
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.
Leurs yeux, d’où la divine étincelle est partie,
Comme s’ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.
Ils traversent ainsi le noir illimité,
Ce frère du silence éternel. Ô cité!
Pendant qu’autour de nous tu chantes, ris et beugles,
O you ashamed of living, shrunken shades,
Fearful, with backs bent, how you hug the walls;
And no one greets you, strange and fated souls!
Debris of man, ripe for eternity!
But I, who from a distance mark your steps
With tenderness, and restless eye intent
As though I were your father, wondrous thought!
Unknown to you I taste a secret joy:
I see your novice passions blossoming;
Sombre or sunny, I see your lost days;
Heart multiplied, I share in all your vice!
With all your virtue shines my glowing soul!
Ruins! my family! my fellow-minds!
Each evening I will bid a grave adieu!
What of tomorrow, Eves of eighty years,
Pressed by the dreadful talon of the Lord?
92. The Blind
Consider them, my soul, they are a fright!
Like mannequins, vaguely ridiculous,
Peculiar, terrible somnambulists,
Beaming—who can say where—their eyes of night.
These orbs, in which a spark is never seen,
As if in looking far and wide stay raised
On high; they never seem to cast their gaze
Down to the street, head hung, as in a dream.
Thus they traverse the blackness of their days,
Kin to the silence of eternity.
O city! while you laugh and roar and play,
Éprise du plaisir jusqu’à l’atrocité,
Vois! je me traîne aussi! mais, plus qu’eux hébété,
Je dis: Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles?
93. A une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair … puis la nuit! — Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renâitre,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?
Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais!
94. Le Squelette laboureur
I
Dans les planches d’anatomie
Qui traînent sur ces quais poudreux
Où maint livre cadavéreux
Dort comme une antique momie,
Mad with your lusts to point of cruelty,
Look at me! dragging, dazed more than their kind.
What in the Skies can these men hope to find?
93. To a Woman Passing By
Around me roared the nearly deafening street.
Tall, slim, in mourning,* in majestic grief,
A woman passed me, with a splendid hand
Lifting and swinging her festoon and hem;
Nimble and stately, statuesque of leg.
I, shaking like an addict, from her eye,
Black sky, spawner of hurricanes, drank in
Sweetness that fascinates, pleasure that kills.
One lightning flash … then night! Sweet fugitive
Whose glance has made me suddenly reborn,
Will we not meet again this side of death?
Far from this place! too late! never perhaps!
Neither one knowing where the other goes,
O you I might have loved, as well you know!
94. Skeletons Digging
I
In anatomical designs*
That hang about these dusty quays
Where books’ cadavers lie and sleep
Like mummies of the ancient times,
Dessins auxquels la gravité
Et le savoir d’un vieil artiste,
Bien que le sujet en soit triste,
Ont communiqué la Beauté,
On voit, ce qui rend plus complètes
Ces mystérieuses horreurs,
Bêchant comme des laboureurs,
Des Écorchés et des Squelettes.
II
De ce terrain que vous fouillez,
Manants résignés et funèbres,
De tout l’effort de vos vertèbres,
Ou de vos muscles dépouillés,
Dites, quelle moisson étrange,
Forçats arrachés au charnier,
Tirez-vous, et de quel fermier
Avez-vous à remplir la grange?
Voulez-vous (d’un destin trop dur
Épouvantable et clair emblème!)
Montrer que dans la fosse même
Le sommeil promis n’est pas sûr;
Qu’envers nous le Néant est traître;
Que tout, même la Mort, nous ment,
Et que sempiternellement,
Hélas! il nous faudra peut-être
Dans quelque pays inconnu
Écorcher la terre revêche
Et pousser une lourde bêche
Sous notre pied sanglant et nu?
Drawings of which the gravity
And the engraver’s knowing hand,
Although the theme be less than grand,
Communicate an artistry,
One sees, which renders more intense
The horror and the mystery,
Like field-hands working wearily
Some skeletons and skinless men.
II
Out of the land you’re digging there,
Obedient and woeful drones,
With all the effort of your bones,
Of all your muscles, stripped and bare,
Say, what strange harvest do you farm,
Convicts from the charnel house,
And what contractor hired you out
To fill what farmer’s empty barn?
Do you (our dreadful fate seems clear
In your design) intend to show
That in the pit we may not know
The sleep we have been promised there;
Non-being will not keep its faith;
That even Death can tell a lie,
And that, Alas! eternally
It falls to us, perhaps, at death
In some anonymous retreat
To see the stubborn land is flayed
By pushing the reluctant spade
Under our bare and bleeding feet?
95. Le Crépuscule du soir
Voici le soir charmant, ami du criminel;
Il vient comme un complice, à pas de loup; le ciel
Se ferme lentement comme une grande alcôve,
Et l’homme impatient se change en bête fauve.
Ô soir, aimable soir, désiré par celui
Dont les bras, sans mentir, peuvent dire: Aujourd’hui
Nous avons travaillé! — C’est le soir qui soulage
Les esprits que dévore une douleur sauvage,
Le savant obstiné dont le front s’alourdit,
Et l’ouvrier courbé qui regagne son lit.
Cependant des démons malsains dans l’atmosphère
S’éveillent lourdement, comme des gens d’affaire,
Et cognent en volant les volets et l’auvent.
A travers les lueurs que tourmente le vent
La Prostitution s’allume dans les rues;
Comme une fourmilière elle ouvre ses issues;
Partout elle se fraye un occulte chemin,
Ainsi que l’ennemi qui tente un coup de main;
Elle remue au sein de la cité de fange
Comme un ver qui dérobe à l’Homme ce qu’il mange.
On entend çà et là les cuisines siffler,
Les théâtres glapir, les orchestres ronfler;
Les tables d’hôte, dont le jeu fait les délices,
S’emplissent de catins et d’escrocs, leurs complices,
Et les voleurs, qui n’ont ni trêve ni merci,
Vont bientôt commencer leur travail, eux aussi,
Et forcer doucement les portes et les caisses
Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses.
Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,
Et ferme ton oreille â ce rugissement.
C’est l’heure où les douleurs des malades s’aigrissent!
La sombre Nuit les prend à la gorge; ils finissent
95. Dusk
Sweet evening comes, friend of the criminal,
Like an accomplice with a light footfall;
The sky shuts on itself as though a tomb,
And man turns beast within his restless room.
O evening, night, so wished for by the one
Whose honest, weary arms can say: We’ve done
Our work today!—The night will bring relief
To spirits who consume themselves with grief,
The scholar who is bowed with heavy head,
The broken worker falling into bed.
Meanwhile, corrupting demons of the air
Slowly wake up like men of great affairs,
And, flying, bump our shutters and our eaves.
Against the glimmerings teased by the breeze
Old Prostitution blazes in the streets;
She opens out her nest-of-ants retreat;
Everywhere she clears the secret routes,
A stealthy force preparing for a coup;
She moves within this city made of mud,
A worm who steals from man his daily food.
One hears the hissing kitchens close at hand,
The playhouse screech, the blaring of a band.
The tables at the inns where gamesmen sport
Are full of swindlers, sluts, and all their sort.
Robbers who show no pity to their prey
Get ready for their nightly work-a-day
Of cracking safes and deftly forcing doors,
To live a few days more and dress their whores.
Collect yourself, my soul, in this grave time,
And shut out all this clamour from the slime.
This the time of sick men’s sharpest pain!
Black night will grab their throats; they cry in vain,
Leur destinée et vont vers le gouffre commun;
L’hôpital se remplit de leurs soupirs.—Plus d’un
Ne viendra plus chercher la soupe parfumée,
Au coin du feu, le soir, auprès d’une âme aimée.
Encore la plupart n’ont-ils jamais connu
La douceur du foyer et n’ont jamais vécu!
96. Le Jeu
Dans les fauteuils fanés des courtisanes vieilles,
Pâles, le sourcil peint, l’œil câlin et fatal,
Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles
Tomber un cliquetis de pierre et de métal;
Autour des verts tapis des visages sans lèvre,
Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent,
Et des doigts convulsés d’une infernale fièvre,
Fouillant la poche vide ou le sein palpitant;
Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres
Et d’énormes quinquets projetant leurs lueurs
Sur des fronts ténébreux de poëtes illustres
Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs;
Voilà le noir tableau qu’en un rêve nocturne
Je vis se dérouler sous mon œil clairvoyant.
Moi-même, dans un coin de l’antre taciturne,
Je me vis accoudé, froid, muet, enviant,
Enviant de ces gens la passion tenace,
De ces vieilles putains la funèbre gaieté,
Et tous gaillardement trafiquant à ma face,
L’un de son vieil honneur, l’autre de sa beauté!
And finish out their fate in common grave;
The hospital is filled with gasps.
1 comment