P…
Diane, en se retournant, aperçut Canzonette.
– Petite curieuse ! s’exclama-t-elle, c’est très laid ce que vous faites là, mademoiselle !
Mais le Petit Chaperon rouge, sans se troubler :
– C’était pour savoir si vous écriviez du mal de moi !
– Et qu’est-ce que tu aurais fait si j’avais écrit du mal de toi ?
– Je n’aurais pas remis la lettre à mon papa, bien sûr !
Diane ne put s’empêcher de rire et lui remit la lettre.
– Je puis donc compter sur toi ? demanda-t-elle.
– Comment ! si vous pouvez compter sur moi !…
Et, derrière Diane qui s’éloignait, elle lui tira la langue.
Sur le seuil de l’auberge, Diane, qui était remontée à cheval, se retourna.
– Surtout, n’oublie pas ma lettre !
Canzonette ne l’écoutait plus, mais cette recommandation quelqu’un l’entendit : c’était Tue-la-Mort, là-haut, dans sa chambre où il était rentré après sa promenade pour les pauvres… Cette voix-là, il y avait déjà quelque temps que Tue-la-Mort ne pouvait l’entendre sans tressaillir.
Il se dirigea vers sa fenêtre, souleva le rideau, regarda sur la route avec avidité. Il aperçut Diane qui s’éloignait. Il ne quitta sa fenêtre que lorsqu’il ne la vit plus.
Et cette chambre qui était habitée, depuis des jours, par une image funèbre, fut pleine de la vision ardemment vivante d’une silhouette cavalière…
Tue-la-Mort descendit dans la salle où il trouva Canzonette.
– Quelqu’un est venu me demander ? questionna-t-il d’un air qui affectait l’indifférence…
Mais Canzonette lui répondit d’une façon non moins dégagée :
– Je n’ai vu personne, papa !
Ce disant, elle cachait la lettre derrière son dos, car elle avait été surprise par l’arrivée de son père.
Celui-ci, qui savait qu’il y avait une lettre, la devina plus qu’il ne la vit. Il fit faire une pirouette à Canzonette.
– Et ça ? dit-il en s’emparant du pli.
– Oh ! ça !… c’est une lettre que l’on a apportée !
– Qui l’a apportée ?
– Peuh ! soupira Canzonette, personne !
– Comment, personne ?
Et Tue-la-Mort commençait de grossir sa voix, ce qui ne présageait rien de bon, surtout pour une petite fille à qui l’on a appris à ne jamais mentir.
– Euh ! fit-elle, c’est une lettre qui vient du château !
– Comment sais-tu qu’elle vient du château ?
– Parce qu’elle sent mauvais !…
– Qu’est-ce que tu dis ?
– Oh papa !… elle empeste le parfum de la demoiselle du château ! C’est honteux d’avoir des odeurs pareilles ! Ça devrait être défendu !… Du reste, la demoiselle du château, je la déteste !…
– Pourquoi ? demanda brutalement Tue-la-Mort qui n’était pas content du tout. Pourquoi la détestes-tu ?
– À cause de tes yeux quand tu la regardes !…
Alors Tue-la-Mort préféra ne pas continuer la conversation. Il rompit, comme on dit à la salle d’armes, alla s’installer à la table où tout à l’heure était assise Diane, et se mit en mesure de répondre à la « demoiselle du château ».
Cependant il avait eu tort de croire que les choses se passeraient aussi simplement. Canzonette vint s’asseoir à côté de lui et lui demanda avec une grande douceur :
– Qu’est-ce que tu lui réponds, mon papa ?…
Tue-la-Mort leva le nez de dessus son écritoire et il vit que son enfant avait ouvert son petit médaillon et regardait l’image qu’il renfermait.
Elle ne s’occupait plus de son père…
Tue-la-Mort ne se remit à écrire que quelques minutes plus tard :
Je crois bien, mademoiselle, qu’il me sera impossible…
Sur quoi Canzonette lui prit la plume d’entre les mains et, d’autorité, fit cette surcharge :
tout à fait… tout à fait impossible…
Tue-la-Mort ne la gronda point. Au contraire, il l’embrassa, mit la lettre dans son enveloppe et dit au Petit Chaperon rouge :
– Va la porter toi-même.
– J’allais te le demander, papa !…
Et elle partit en chantant et en sautant sur ses petites pattes, légère comme un oiseau…
III
Conseil de famille
Diane fut accueillie sur le seuil du château par son frère Maurice, qui la guettait.
C’était un assez joli garçon, de ce genre de bellâtres un peu fades et nonchalants qui plaisaient aux femmes sentimentales il y a encore vingt ans et qui sont obligés maintenant, pour maintenir leurs succès, de se livrer aux plus durs travaux : tennis, golf, boxe, fox-trot, etc. Complètement amoral, il n’avait pas peu contribué par sa conduite au cercle et ailleurs à la ruine des siens. Il avait trois ans de plus que Diane, qui en avait vingt-deux.
Diane de Mentana avait déjà raté trois mariages, non par sa faute, mais par celle de ses fiancés, qui ne s’étaient trouvés finalement ni assez maniables ni assez riches.
Elle n’avait jamais aimé qu’elle et son petit esclave Paolo. Celui-ci était un jeune homme de très bonne famille qui terminait, en principe, ses études de droit à Aix et qui avait été le condisciple de Maurice dans une institution de Nice.
Orphelin, possédant une modeste fortune, le jeune homme avait été heureux de trouver chez les Mentana un accueil qu’il appréciait davantage à chaque vacance, car chaque fois il devenait plus amoureux de Diane, laquelle ne faisait rien pour le lasser, tout en se plaisant à lui infliger les plus jolies tortures. Et plus il souffrait, plus il sentait qu’il l’aimait, avec cet entêtement fatal que l’on trouve surtout chez les enfants et chez les vieillards…
Il était, du reste, décidé à se tuer le jour où il lui aurait été prouvé qu’il avait subi tous ces maux en pure perte. Trois fois il avait cru toucher cette preuve-là, lorsque Diane avait failli se marier… trois fois, il avait cru ses amours sauvées et caressé à nouveau l’espoir de son propre mariage avec la jeune fille, mariage dont celle-ci ne voulait pas entendre parler.
– Nous serons de très heureux amants, lui disait-elle avec ce cynisme averti des demi-vierges qui calculent tout (ce qu’elles peuvent accorder avant, ce qu’il est nécessaire de réserver pour après), mais de grâce ne me parlez pas d’un époux, je le déteste d’avance !
– Et si je faisais fortune ? lui demandait Paolo que cette idée d’un pareil partage rendait fou, est-ce que vous m’épouseriez ?
Diane riait en l’entendant dire de pareilles niaiseries. Faire fortune ! Le pauvre enfant en était bien incapable. Il faisait des vers et s’y reprenait à deux fois pour passer ses examens. C’était un bon petit cœur à torturer. Là était son destin. Diane y tenait comme à sa chose. Avec quelle joie profonde elle assistait à ses révoltes brèves, à ses cris de haine qui étaient encore des cris d’amour. Trois fois, trois fois, il avait parlé de se tuer, se tuer pour elle, vraiment ! Elle l’aimait bien !
– Paolo est-il arrivé ? demanda-t-elle à son frère.
– Il s’agit bien de Paolo ! As-tu vu Tue-la-Mort ?…
– Non ! je n’ai pas vu Tue-la-Mort, mais je lui ai laissé un mot.
– Ah ! ce n’est pas la même chose ! grincha Maurice très contrarié, je t’avais dit de faire tout ton possible pour le voir.
– J’ai fait tout mon possible, sois-en persuadé !…
Ils pénétrèrent dans le château. C’était une vaste construction, aux lignes italiennes, pas trop vétustes, qui avait son histoire… Elle avait, paraît-il, jadis hébergé de force Mandrin, lors de l’une de ses grandes expéditions et plus tard les barbets des Alpes y avaient soutenu un véritable siège contre les troupes du gouvernement. Le présent comte de Mentana l’avait fait restaurer, dépensant de très grosses sommes dans la première période de sa splendeur, c’est-à-dire au lendemain d’un mariage qui lui avait apporté une jeune femme assez insignifiante et une fortune remarquable.
Depuis, la fortune avait disparu, la jeune femme était devenue une vieille madame qui du matin au soir faisait de la tapisserie et le château n’appartenait plus au comte qu’en principe seulement, à cause des hypothèques… Quant au maître de céans, c’était un philosophe que les revers n’atteignaient point, habitué qu’il était, depuis sa plus tendre enfance, à voir la Providence se charger de dénouer les crises financières de la famille par la mise en possession d’un héritage toujours très attendu ou par l’envoi d’un bon parti pour les garçons, à cause du nom, et même pour les filles, à cause de leur beauté.
Quand Diane et Maurice pénétrèrent dans le grand salon du rez-de-chaussée, le vieux Mentana, appuyé à la cheminée, fumait son éternel cigare, la comtesse réassortissait ses laines, assise devant son métier à tapisser, et Geneviève bâillait en feuilletant un magazine.
– Eh bien ? demanda simplement la comtesse.
– Eh bien ! j’ai été presque mise à la porte par cette petite diablesse de Canzonette qui ne peut pas me voir en peinture !
– Tout de même, si tu avais bien voulu, tu aurais pu insister, l’attendre peut-être, que sais-je, moi ? émit Maurice de fort mauvaise humeur. L’affaire est assez importante pour que tu prennes la peine d’y mettre un peu du tien !…
– J’ai laissé un mot à ton Tue-la-Mort pour lui dire que nous comptons absolument sur lui samedi…
– Et cela t’a suffi… Et là-dessus tu es accourue ici, très pressée !
– Pourquoi, très pressée ? releva Diane que les réflexions de son frère commençaient à impatienter.
– Eh ! mon Dieu ! parce que tu croyais y trouver ton Paolo ! voilà pourquoi tu as lâché mon Tue-la-Mort, mais Paolo n’est pas là et nous sommes bien avancés !
– Tu es tout à fait désagréable, Maurice ! déclara Diane en fouettant nerveusement sa botte du bout de sa cravache.
Ici le comte, qui n’avait pas encore dit un mot, intervint, et ôtant lentement son cigare de sa bouche, il prononça en le regardant avec une attention telle qu’il pouvait paraître découvrir cet objet pour la première fois :
– Diane aurait vu Tue-la-Mort que c’eût été le même prix. Il nous a déjà prêté soixante mille francs en troisième hypothèque, il ne donnera plus un sou !
– Il donnera ce que l’on voudra si Diane le lui demande elle-même, se récria Maurice.
– C’est ton avis ! fit Diane en haussant les épaules.
– Eh ! tu sais bien qu’il ne te refusera rien !
Ceci fut dit de telle sorte qu’il y eut un silence où chacun se regardait un peu interloqué.
– Ah çà ! Mais Tue-la-Mort est donc vraiment amoureux de Diane ? interrogea le comte, visiblement amusé de l’incident…
– Écoutes-tu Maurice ? fit Diane excédée.
– Ah ! le brigand ! pouffa le comte.
– Parfaitement ! appuya Maurice… ce brigand est amoureux de Diane comme un collégien, voilà la vérité…
Comme Geneviève, que l’on avait tout à fait oubliée dans son coin, éprouva, dans l’instant, le besoin de se faire remarquer par un rire assez drôle, on se souvint tout à coup qu’elle était là, mais ce fut pour la prier assez brusquement de s’en aller.
Elle quitta le salon de très mauvaise grâce, en claquant la porte et en protestant entre ses dents : « Je suis toujours de trop, moi ! »
Elle n’était pas absolument bien élevée. Mais il n’y allait point de sa faute. Au demeurant c’était une très bonne petite fille avec de grands yeux clairs et des cheveux blonds, pas compliquée du tout, qui enrageait de se voir toujours traitée comme si elle avait encore six ans et dont le défaut, par contre, était de se croire « une grande demoiselle »…
Soudain elle poussa un léger cri joyeux et descendit en courant le perron d’où elle venait d’apercevoir, pénétrant dans le parc, un jeune homme qui paraissait lui-même très pressé.
Un grand front aux tempes légèrement dénudées, « le front de poète », de très beaux yeux très doux qui devaient cependant donner un bel éclat dans la colère, une jolie peau dorée de Provençal, un sourire aux dents éclatantes, mais qui, en dépit de sa jeunesse, avait quelque chose de désabusé… une taille moyenne, une élégance naturelle… tel se présentait Paolo Geraldi.
– Ah ! mon petit Paolo ! s’écria Geneviève bien avant qu’elle l’eût rejoint… oui ! oui ! Diane va bien ! rassurez-vous !
Elle était maintenant près de lui, essoufflée d’avoir couru.
– Eh bien ! embrassez-moi au moins !… Vous savez bien que je ne compte pas ! je suis une petite fille, moi !
Paolo l’embrassa en riant sans même la regarder, tellement, en effet, elle avait peu d’importance.
– Ce n’est pas la peine de vous presser, déclara Geneviève. Il y a conseil de famille… On se dispute… On est dans la purée ! Maurice a pris la culotte au cercle à son dernier voyage à Nice, et papa s’est fait ratisser à la Bourse ! C’est ça la vie !…
– Ça n’a pas l’air de vous tourmenter beaucoup ? fit remarquer Paolo.
– Pourquoi me ferais-je de la bile ? Personne ne s’en fait ici !… Ah bien ! par exemple !… Dites donc, mon petit Paolo, ça va vos amours avec Diane ?
– Voulez-vous bien vous taire, mademoiselle !
– Oh ! moi, vous pouvez tout me dire… ça entre par une oreille, ça sort par l’autre !
– Alors ça n’est vraiment pas la peine, dit Paolo.
– Comme vous voudrez, mon cher !… Et puis, après tout, gardez vos histoires pour vous ! Vous avez bien raison !… C’est ça qui m’est égal, vous savez !
Elle se tut une seconde, le temps de souffler encore un peu, et précisa :
– C’est vrai que vous voulez toujours vous marier avec Diane ?
– Mon Dieu, oui ! soupira l’autre.
– Il y a vraiment des hommes qui sont à empailler !… exprima tout haut Geneviève avec une conviction touchante, mais comme, au fond, elle avait peur de lui faire de la peine, elle ajouta tout de suite :
– Je ne dis pas ça pour vous, bien entendu !
– Comme vous êtes aimable ! remercia Paolo.
Ils étaient arrivés sous les fenêtres du château. Dans le moment le comte disait :
– Après tout, s’il le faut, vendons le château et allons habiter le chalet !
– Ah ! non ! ça, jamais ! répliqua Diane.
La comtesse osa soupirer :
– Ce serait pourtant ce que nous aurions dû faire depuis longtemps. Il n’est pas si mal, ce chalet.
– Que Maurice en fasse sa garçonnière et n’en parlons plus ! jeta Diane en se dirigeant vers les fenêtres.
Maurice s’en fut à la jeune fille et l’arrêta.
Tu as écrit à Tue-la-Mort de venir samedi… tu peux être sûre qu’il viendra… mais c’est notre dernier délai ! Il faut l’avoir samedi !
– Ma parole, tu deviens fou !
– On te demande d’être aimable… ça n’est pas bien difficile…
Un domestique apportait une lettre que Canzonette venait de remettre, ou plutôt de jeter à Geneviève. Diane reconnut le papier de l’auberge.
– La réponse de Tue-la-Mort ! fit-elle et elle décacheta.
Quand elle eut fini de lire :
– Eh bien ! tu t’es trompé, dit-elle à son frère, il ne viendra pas !
Maurice jura.
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