Aussi commanda-t-il à Bertomieu, le cabaretier, une seconde bouteille de ce petit vin de coteau qui, tout en rafraîchissant la gorge, comme de l’eau de source, vous donne du cœur au ventre comme de la « grappa ».

Pendant ce temps, Tue-la-Mort passait devant l’église n’ayant lâché ni Canzonette ni son sac.

Sous le porche, le bon vieux curé du pays, l’abbé Cicion, s’entretenait avec une vieille dévote, laquelle se signa du reste en apercevant Tue-la-Mort.

– Je suis sûre, dit Canzonette, que monsieur le curé ne te refuserait pas, lui, ton argent pour les pauvres !…

– Tiens ! fit Tue-la-Mort ! c’est une idée !

Et il s’en fut avec Canzonette du côté du curé. La vieille dévote s’enfuit.

Tue-la-Mort n’était jamais allé à l’église d’Ena. Il avait sa religion à lui, doublée d’une superstition agissante dans les moments importants de la vie, qui lui permettaient de négliger sans remords les pratiques du vulgaire.

Le don de son sac d’écus aux pauvres était dans l’ordre après les événements qui venaient de se passer et à la veille de l’expédition qu’il préparait, expédition qui pouvait être interrompue par l’arrivée subite de l’abbé Pasquale. Cette façon de se rendre le destin propice vaut bien les libations antiques sur l’autel de pierre. Mais encore faut-il que l’on ne refuse point l’offrande.

– Le chien du maire n’en a pas voulu !… le bon Dieu en voudra peut-être ! prononça Tue-la-Mort en saluant le bon curé Cicion et en lui remettant le sac qu’il avait à la main… Le curé comprit tout de suite que l’aubergiste venait d’éprouver de la difficulté dans le placement de sa charité. Il ne repoussa point cependant ce mauvais argent. C’était un esprit tolérant comme on en trouve quelquefois dans le parvis, comme on en cherche souvent en vain entre les murs du municipe.

Une bonne pensée lave tout et chasse les mauvaises odeurs. Cet argent sentait la contrebande à plein nez.

– Je l’accepte, fit le saint homme, mais à une condition, c’est que le Petit Chaperon rouge ne vagabondera plus !

Canzonette ne fut pas la seule à baisser la tête en petite fille honteuse d’avoir mérité un si beau compliment. Tue-la-Mort en prit pour son grade comme on dit chez messieurs les gendarmés. Il roulait sa casquette poilue entre ses doigts d’un air embarrassé.

– Ce n’est point tout ! continua le prêtre en fixant Canzonette, je veux qu’elle aille régulièrement à l’école !

Ah bien ! elle en faisait une jolie figure, la petite à Tue-la-Mort. Une drôle d’idée qu’elle avait eue de venir trouver monsieur le curé !

Mais ce n’était pas encore fini.

– Enfin, il faut que cette enfant-là fasse sa première communion !

Cette fois Canzonette se sentit transportée. Elle ne regretta plus rien !…

– Quel bonheur ! s’écria-t-elle, j’aurai une belle robe blanche !

Le curé et le contrebandier sourirent. Maintenant on était des amis.

Tue-la-Mort se laissa pousser chez le bon Dieu. Il dut prendre de l’eau bénite que lui offrit Canzonette et le curé les laissa agenouillés l’un à côté de l’autre.

– Prie pour ta maman, Canzonette, soupira Tue-la-Mort, et demande au bon Dieu d’avoir pitié de ton papa !

II

Diane de Mentana

Dans l’après-midi de ce jour, une jeune femme frappait à l’huis de l’auberge du Petit-Chaperon-Rouge avec le pommeau de sa cravache. C’était Diane de Mentana.

Elle avait tout de l’héroïne de roman. Nous ne pouvons mieux la définir qu’avec cette phrase qui dit tout : le type, le genre, la façon, la fatalité et la beauté du monstre femelle qui doit tout ravager sur sa route…

Il y a de ces modèles classiques qui sont faits pour certaines situations tragiques et qui se trouvent à point pour remplir le rôle dont le destin, ce grand metteur en scène, a quelquefois besoin.

Du reste, le plus souvent, le type crée le rôle et il suffit de deux yeux noirs, d’un profil de médaille, d’une lèvre sensuelle et d’un menton volontaire pour que viennent se grouper autour du personnage tous les éléments d’une tempête éparse aux horizons.

Là-dessus, on accuse les belles lettres et même les mauvaises, et l’on crie à la convention. On a tort. Le seul auteur coupable est l’auteur de la nature.

Donc cette dame frappait l’huis avec le pommeau de sa cravache. Ce n’étaient point là des manières qui plaisaient à Canzonette.

Du reste, la belle Diane, de quelque façon qu’elle s’y prît, avait le don d’irriter le Petit Chaperon rouge.

– Qu’est-ce que vous voulez ? lui demanda l’enfant assez brusquement en entrouvrant la porte.

– Je désire dire un mot à ton papa !

– Papa n’est pas là !…

Et elle repoussa l’huis assez brutalement. Mais Diane s’y attendait. Elle avait pris ses précautions et elle fut dans la salle si vivement que Canzonette en resta tout interdite.

– Petite mal élevée ! gronda Diane. Je le dirai à ton papa ! Donne-moi ce qu’il faut pour écrire.

– Il n’y a pas d’encre ! déclara Canzonette.

– Tu as bien un crayon ?

– La mine est cassée !…

Diane haussa les épaules, presque amusée de la mauvaise volonté de l’enfant… Sur ces entrefaites, elle dénicha dans un coin un encrier où trempait une plume.

– Eh bien ! qu’est-ce que c’est que ça ? interrogea-t-elle.

– Il n’y a pas de papier ! repartit Canzonette.

Or, Diane ouvrit un buvard qui se trouvait à côté de l’encrier. Il y avait là du papier et une enveloppe. Elle s’assit et écrivit.

Pendant qu’elle écrivait, Canzonette, debout sur un tabouret, lisait par-dessus son épaule :

 

Terrible Tue-la-Mort ! on ne vous voit plus. Mon père et mon frère s’en plaignent. Nous allons chasser aux Quatre-Chemins samedi. On compte sur vous pour nous enseigner une bonne piste. Je signe : « La demoiselle du château », comme dit Canzonette. Réponse S. V.