Je suis son mortel ennemi et je réponds de mes hommes.

Père Ubu (se jetant sur lui pour l'embrasser):

--Oh! Oh! je vous aime beaucoup, Bordure.

Capitaine Bordure:

--Eh! vous empestez, Père Ubu. Vous ne vous lavez donc jamais?

Père Ubu:

--Rarement.

Mère Ubu:

--Jamais!

Père Ubu:

--Je vais te marcher sur les pieds.

Mère Ubu:

--Grosse merdre!

Père Ubu:

--Allez, Bordure, j'en ai fini avec vous. Mais par ma chandelle verte, je jure sur la Mère Ubu de vous faire duc de Lithuanie.

Mère Ubu:

--Mais...

Père Ubu:

--Tais-toi, ma douce enfant.

(Ils sortent.)

Scène V

PÈRE UBU, MÈRE UBU, UN MESSAGER

Père Ubu:

--Monsieur, que voulez-vous? fichez le camp, vous me fatiguez.

Le Messager:

--Monsieur, vous êtes appelé de par le roi.

(Il sort.)

Père Ubu:

--Oh! merdre, jarnicotonbleu, de par ma chandelle verte, je suis découvert, je vais être décapité! hélas! hélas!

Mère Ubu:

--Quel homme mou! et le temps presse.

Père Ubu:

--Oh! j'ai une idée: je dirai que c'est la Mère Ubu et Bordure.

Mère Ubu:

--Ah! gros P.U., si tu fais ça...

Père Ubu:

--Eh! j'y vais de ce pas.

(Il sort.)

Mère Ubu (courant après lui):

--Oh! Père Ubu, Père Ubu, je te donnerai de l'andouille.

(Elle sort.)

Père Ubu (dans la coulisse):

--Oh! merdre! tu en es une fière, d'andouille.

Scène VI

Le palais du roi.

LE ROI VENCESLAS, entouré de ses officiers; BORDURE; les fils du roi, BOLESLAS, LADISLAS & BOUGRELAS. Puis UBU.

Père Ubu (entrant):

--Oh! vous savez, ce n'est pas moi, c'est la mère Ubu et Bordure.

Le Roi:

--Qu'as-tu, Père Ubu?

Bordure:

--Il a trop bu.

Le Roi:

--Comme moi ce matin.

Père Ubu:

--Oui, je suis saoul, c'est parce que j'ai bu trop de vin de France.

Le Roi:

--Père Ubu, je tiens à récompenser tes nombreux services comme capitaine de dragons, et je te fais aujourd'hui comte de Sandomir.

Père Ubu:

--O monsieur Venceslas, je ne sais comment vous remercier.

Le Roi:

--Ne me remercie pas, Père Ubu, et trouve-toi demain matin à la grande revue.

Père Ubu:

--J'y serai, mais acceptez, de grâce, ce petit mirliton.

(Il présente au roi un mirliton.)

Le Roi:

--Que veux-tu à mon âge que je fasse d'un mirliton? Je le donnerai à Bougrelas.

Le jeune Bougrelas:

--Est-il bête, ce Père Ubu.

Père Ubu:

--Et maintenant je vais foutre le camp. (Il tombe en se retournant.) Oh! aïe! au secours! De par ma chandelle verte, je me suis rompu l'intestin et crevé la bouzine!

Le Roi (le relevant):

--Père Ubu, vous estes-vous fait mal?

Père Ubu:

--Oui certes, et je vais sûrement crever. Que deviendra la Mère Ubu?

Le Roi:

--Nous pourvoirons à son entretien.

Père Ubu:

--Vous avez bien de la bonté de reste. (Il sort.) Oui, mais, roi Venceslas, tu n'en seras pas moins massacré.

Scène VII

La maison d'Ubu.

GIRON, PILE, COTICE, PÈRE UBU, MÈRE UBU, Conjurés & Soldats, CAPITAINE BORDURE.

Père Ubu:

--Eh! mes bons amis, il est grand temps d'arrêter le plan de la conspiration. Que chacun donne son avis. Je vais d'abord donner le mien, si vous le permettez.

Capitaine Bordure:

--Parlez, Père Ubu.

Père Ubu:

--Eh bien, mes amis, je suis d'avis d'empoisonner simplement le roi en lui fourrant de l'arsenic dans son déjeuner. Quand il voudra le brouter il tombera mort, et ainsi je serai roi.

Tous:

--Fi, le sagouin!

Père Ubu:

--Eh quoi, cela ne vous plaît pas? Alors, que Bordure donne son avis.

Capitaine Bordure:

--Moi, je suis d'avis de lui ficher un grand coup d'épêe qui le fendra de la tête à la ceinture.

Tous:

--Oui! voilà qui est noble et vaillant.

Père Ubu:

--Et sil vous donne des coups de pied? Je me rappelle maintenant qu'il a pour les revues des souliers de fer qui font très mal. Si je savais, je filerais vous dénoncer pour me tirer de cette sale affaire, et je pense qu'il me donnerait aussi de la monnaie.

Mère Ubu:

--Oh! le traître, le lâche, le vilain et plat ladre.

Tous:

--Conspuez le Père Ub!

Père Ubu:

--Hé, messieurs, tenez-vous tranquilles si vous ne voulez visiter mes poches. Enfin je consens à m'exposer pour vous. De la sorte, Bordure, tu te charges de pourfendre le roi.

Capitaine Bordure:

--Ne vaudrait il pas mieux nous jeter tous à la fois sur lui en braillant et gueulant? Nous aurions chance ainsi d'entraîner les troupes.

Père Ubu:

--Alors, voilà. Je tâcherai de lui marcher sur les pieds, il regimbera, alors je lui dirai: MERDRE, et à ce signal vous vous jetterez sur lui.

Mère Ubu:

--Oui, et dès qu'il sera mort tu prendras son sceptre et sa couronne.

Capitaine Bordure:

--Et je courrai avec mes hommes à la poursuite de la famille royale.

Père Ubu:

--Oui, et je te recommande spécialement le jeune Bougrelas.

(Ils sortent.)

Père Ubu (courant après et les faisant revenir):

--Messieurs, nous avons oublié une cérémonie indispensable, il faut jurer de nous escrimer vaillamment.

Capitaine Bordure:

--Et comment faire? Nous n'avons pas de prêtre.

Père Ubu:

--La Mère Ubu va en tenir lieu.

Tous:

--Eh bien, soit.

Père Ubu:

--Ainsi, vous jurez de bien tuer le roi?

Tous:

--Oui, nous le jurons. Vive le Père Ubu!

Fin du premier Acte.

* * * * *

Acte II--Scène première

Le palais du roi.

VENCESLAS, LA REINE ROSEMONDE, BOLESLAS, LADISLAS & BOUGRELAS.

Le Roi:

--Monsieur Bougrelas, vous avez été ce matin fort impertinent avec Monsieur Ubu, chevalier de mes ordres et comte de Sandomir. C'est pourquoi je vous défends de paraître à ma revue.

La Reine:

--Cependant, Venceslas, vous n'auriez pas trop de toute votre famille pour vous défendre.

Le Roi:

--Madame, je ne reviens jamais sur ce que j'ai dit. Vous me fatiguez avec vos sornettes.

Le jeune Bougrelas:

--Je me soumets, monsieur mon père.

La Reine:

--Enfin, sire, êtes-vous toujours décidé à aller à cette revue?

Le Roi:

--Pourquoi non, madame?

La Reine:

--Mais, encore une fois, ne l'ai-je pas vu en songe vous frappant de sa masse d'armes et vous jetant dans la Vistule, et un aigle comme celui qui figure dans les armes de Pologne lui plaçant la couronne sur la tête?

Le Roi:

--A qui?

La Reine:

--Au Père Ubu.

Le Roi:

--Quelle folie. Monsieur de Ubu est un fort bon gentilhomme, qui se ferait tirer à quatre chevaux pour mon service.

La Reine & Bougrelas:

--Quelle erreur.

Le Roi:

--Taisez-vous, jeune sagouin. Et vous, madame, pour vous prouver combien je crains peu Monsieur Ubu, je vais aller à la revue comme je suis, sans arme et sans épée.

La Reine:

--Fatale imprudence, je ne vous reverrai pas vivant.

Le Roi:

--Venez, Ladislas, venez, Boleslas.

(Ils sortent. La Reine & Bougrelas vont à la fenêtre.)

La Reine & Bougrelas:

--Que Dieu et le grand saint Nicolas vous gardent.

La Reine:

--Bougrelas, venez dans la chapelle avec moi prier pour votre père et vos frères.

Scène II

Le champ des revues.

L'armée polonaise, LE ROI, BOLESLAS, LADISLAS, PÈRE UBU, CAPITAINE BORDURE & ses hommes, GIRON, PILE, COTICE.

Le Roi:

--Noble Père Ubu, venez près de moi avec votre suite pour inspecter les troupes.

Père Ubu (aux siens):

--Attention, vous autres. (Au Roi.) On y va, monsieur, on y va.

(Les hommes d'Ubu entourent le Roi.)

Le Roi:

--Ah! voici le régiment des gardes à cheval de Dantzick. Ils sont fort beaux, ma foi.

Père Ubu:

--Vous trouvez? Ils me paraissent misérables. Regardez celui-ci, (Au soldat.) Depuis combien de temps ne t'es-tu débarbouillé, ignoble drôle?

Le Roi:

--Mais ce soldat est fort propre. Qu'avez-vous donc, Père Ubu?

Père Ubu:

--Voilà! (Il lui écrase le pied.)

Le Roi:

--Misérable!

Père Ubu:

--MERDRE. A moi, mes hommes!

Bordure:

--Hurrah! en avant! (Tous frappent le Roi, un Palotin explose.)

Le Roi:

--Oh! au secours! Sainte Vierge, je suis mort.

Boleslas (à Ladislas):

--Qu'est cela! Dégainons.

Père Ubu:

--Ah! j'ai la couronne! Aux autres, maintenant.

Capitaine Bordure:

--Sus aux traîtres!! (Les fils du Roi s'enfuient, tous les poursuivent.)

Scène III

LA REINE & BOUGRELAS

La Reine:

--Enfin, je commence à me rassurer.

Bougrelas:

--Vous n'avez aucun sujet de crainte.

(Une effroyable clameur se fait entendre au dehors.)

Bougrelas:

--Ah! que vois-je? Mes deux frères poursuivis par le Père Ubu et ses hommes.

La Reine:

--O mon Dieu! Sainte Vierge, ils perdent, ils perdent du terrain!

Bougrelas:

--Toute l'armée suit le Père Ubu. Le Roi n'est plus là. Horreur! Au secours!

La Reine:

Voilà Boleslas mort! Il a reçu une balle.

Bougrelas:

--Eh! (Ladislas se retourne.) Défends-toi! Hurrah, Ladislas.

La Reine:

--Oh! Il est entouré.

Bougrelas:

--C'en est fait de lui. Bordure vient de le couper en deux comme une saucisse.

La Reine:

--Ah! Hélas! Ces furieux pénètrent dans le palais, ils montent l'escalier.

(La clameur augmente.)

La Reine & Bougrelas (à genoux):

--Mon Dieu, défendez-nous.

Bougrelas:

--Oh! ce Père Ubu! le coquin, le misérable, si je le tenais...

Scène IV

LES MÊMES, la porte est défoncée, le PÈRE UBU & les forcenés pénètrent.

Père Ubu:

--Eh! Bougrelas, que me veux-tu faire?

Bougrelas:

--Vive Dieu! je défendrai ma mère jusqu'à la mort! Le premier qui fait un pas est mort.

Père Ubu:

--Oh! Bordure, j'ai peur! laissez-moi m'en aller.

Un Soldat avance:

--Rends-toi, Bougrelas!

Le jeune Bougrelas:

--Tiens, voyou! voilà ton compte! (Il lui fend le crâne.)

La Reine:

--Tiens bon, Bougrelas, tiens bon!

Plusieurs avancent:

--Bougrelas, nous te promettons la vie sauve.

Bougrelas:

--Chenapans, sacs à vins, sagouins payés!

(Il fait le moulinet avec son épée et en fait un massacre.)

Père Ubu:

--Oh! je vais bien en venir à bout tout de même!

Bougrelas:

--Mère, sauve-toi par l'escalier secret.

La Reine:

--Et toi, mon fils, et toi?

Bougrelas:

--Je te suis.

Père Ubu:

--Tâchez d'attraper la reine. Ah! la voilà partie. Quant à toi, misérable!...