D'abord, nous allons faire le chapitre des finances, ensuite nous parlerons d'un petit système que j'ai imaginé pour faire venir le beau temps et conjurer la pluie.
Un Conseiller:
--Fort bien, monsieur Ubu.
Mère Ubu:
--Quel sot homme.
Père Ubu:
--Madame de ma merdre, garde à vous, car je ne souffrirai pas vos sottises. Je vous disais donc, messieurs, que les finances vont passablement. Un nombre considérable de chiens à bas de laine se répand chaque matin dans les rues et les salopins font merveille. De tous côtés on ne voit que des maisons brûlées et des gens pliant sous le poids de nos phynances.
Le Conseiller:
--Et les nouveaux impôts, monsieur Ubu, vont-ils bien?
Mère Ubu:
--Point du tout. L'impôt sur les mariages n'a encore produit que 11 sous, et encore le Père Ubu poursuit les gens partout pour les forcer à se marier.
Père Ubu:
--Sabre à finances, corne de ma gidouille, madame la financière, j'ai des oneilles pour parler et vous une bouche pour m'entendre. (Éclats de rire.) Ou plutôt non! Vous me faites tromper et vous êtes cause que je suis bête! Mais, corne d'Ubu! (Un Messager entre.) Allons, bon, qu'a-t-il encore celui-là? Va-t-en, sagouin, ou je te poche avec décollation et torsion des jambes.
Mère Ubu:
--Ah! le voilà dehors, mais il y a une lettre.
Père Ubu:
--Lis-la. Je crois que je perds l'esprit ou que je ne sais pas lire. Dépêche-toi, bouffresque, ce doit être de Bordure.
Mère Ubu:
--Tout justement. Il dit que le czar l'a accueilli très bien, qu'il va envahir tes États pour rétablir Bougrelas et que toi tu seras tué.
Père Ubu:
--Ho! ho! J'ai peur! J'ai peur! Ha! je pense mourir. O pauvre homme que je suis. Que devenir, grand Dieu? Ce méchant homme va me tuer, Saint Antoine et tous les saints, protégez-moi, je vous donnerai de la phynance et je brûlerai des cierges pour vous. Seigneur, que devenir? (Il pleure et sanglote.)
Mère Ubu:
--Il n'y a qu'un parti à prendre, Père Ubu.
Père Ubu:
--Lequel, mon amour?
Mère Ubu:
--La guerre!!
Tous:
--Vive Dieu! Voilà qui est noble!
Père Ubu:
--Oui, et je recevrai encore des coups.
Premier Conseiller:
--Courons, courons organiser l'armée.
Deuxième:
--Et réunir les vivres.
Troisième:
--Et préparer l'artillerie et les forteresses.
Quatrième:
--Et prendre l'argent pour les troupes.
Père Ubu:
--Ah! non, par exemple! Je vais te tuer, toi, je ne veux pas donner d'argent. En voilà d'une autre! J'étais payé pour faire la guerre et maintenant il faut la faire à mes dépens. Non, de par ma chandelle verte, faisons la guerre, puisque vous en êtes enragés, mais ne déboursons pas un sou.
Tous:
--Vive la guerre!
Scène VIII
Le camp sous Varsovie.
Soldats & Palotins:
--Vive la Pologne! Vive le Père Ubu!
Père Ubu:
--Ah! Mère Ubu, donne-moi ma cuirasse et mon petit bout de bois. Je vais être bientôt tellement chargé que je ne saurais marcher si j'étais poursuivi.
Mère Ubu:
--Fi, le lâche.
Père Ubu:
--Ah! voilà le sabre à merdre qui se sauve et le croc à finances qui ne tient pas!!! Je n'en finirai jamais, et les Russes avancent et vont me tuer.
Un Soldat:
--Seigneur Ubu, voilà le ciseau à oneilles qui tombe.
Père Ubu:
--Ji tou tue au moyen du croc à merdre et du couteau à figure.
Mère Ubu:
--Comme il est beau avec son casque et sa cuirasse, on dirait une citrouille armée.
Père Ubu:
--Ah! maintenant je vais monter à cheval. Amenez, messieurs, le cheval à phynances.
Mère Ubu:
--Père Ubu, ton cheval ne saurait plus te porter, il n'a rien mangé depuis cinq jours et est presque mort.
Père Ubu:
--Elle est bonne celle-là! On me fait payer 12 sous par jour pour cette rosse et elle ne me peut porter. Vous vous fichez, corne d'Ubu, ou bien si vous me volez? (La Mère Ubu rougit et baisse les yeux.) Alors, que l'on m'apporte une autre bête, mais je n'irai pas à pied, cornegidouille!
(On amène un énorme cheval.)
Père Ubu:
--Je vais monter dessus. Oh! assis plutôt! car je vais tomber. (Le cheval part.) Ah! arrêtez ma bête. Grand Dieu, je vais tomber et être mort!!!
Mère Ubu:
--Il est vraiment imbécile. Ah! le voilà relevé. Mais il est tombé par terre.
Père Ubu:
--Corne physique, je suis à moitié mort! Mais c'est égal, je pars en guerre et je tuerai tout le monde. Gare à qui ne marchera pas droit. Ji lon mets dans ma poche avec torsion du nez et des dents et extraction de la langue.
Mère Ubu:
--Bonne chance, monsieur Ubu.
Père Ubu:
--J'oubliais de te dire que je te confie la régence. Mais j'ai sur moi le livre des finances, tant pis pour toi si tu me voles. Je te laisse pour t'aider le Palotin Giron. Adieu, Mère Ubu.
Mère Ubu:
--Adieu, Père Ubu. Tue bien le czar.
Père Ubu:
--Pour sûr. Torsion du nez et des dents, extraction de la langue et enfoncement du petit bout de bois dans les oneilles.
(L'armée s'éloigne au bruit des fanfares.)
Mère Ubu (seule):
--Maintenant que ce gros pantin est parti, tâchons de faire nos affaires, tuer Bougrelas et nous emparer du trésor.
Fin du Troisième Acte.
* * * * *
Acte IV--Scène Première
La crypte des anciens rois de Pologne dans la cathédrale de Varsovie.
MÈRE UBU
Où donc est ce trésor? Aucune dalle ne sonne creux. J'ai pourtant bien compté treize pierres après le tombeau de Ladislas le Grand en allant le long du mur, et il n'y a rien.
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