Il faut qu'on m'ait trompée. Voilà cependant: ici la pierre sonne creux. A l'oeuvre, Mère Ubu. Courage, descellons cette pierre. Elle tient bon. Prenons ce bout de croc à finances qui fera encore son office. Voilà! Voilà l'or au milieu des ossements des rois. Dans notre sac, alors, tout! Eh! quel est ce bruit? Dans ces vieilles voûtes y aurait-il encore des vivants? Non, ce n'est rien, hâtons-nous. Prenons tout. Cet argent sera mieux à la face du jour qu'au milieu des tombeaux des anciens princes. Remettons la pierre. Eh quoi! toujours ce bruit. Ma présence en ces lieux me cause une étrange frayeur. Je prendrai le reste de cet or une autre fois, je reviendrai demain.

Une voix (sortant du tombeau de Jean Sigismond):

--Jamais, Mère Ubu!

(La Mère Ubu se sauve affolée emportant l'or volé par la porte secrète.)

Scène II

La place de Varsovie.

BOUGRELAS & SES PARTISANS, PEUPLE & SOLDATS.

Bougrelas:

--En avant, mes amis! Vive Venceslas et la Pologne! le vieux gredin de Père Ubu est parti, il ne reste plus que la sorcière de Mère Ubu avec son Palotin. Je m'offre à marcher à votre tête et à rétablir la race de mes pères.

Tous:

--Vive Bougrelas!

Bougrelas:

--Et nous supprimerons tous les impôts établis par l'affreux Père Ub.

Tous:

--Hurrah! en avant! Courons au palais et massacrons cette engeance.

Bougrelas:

--Eh! voilà la Mère Ubu qui sort avec ses gardes sur le perron!

Mère Ubu:

--Que voulez-vous, messieurs? Ah! c'est Bougrelas.

(La foule lance des pierres.)

Premier Garde:

--Tous les carreaux sont cassés.

Deuxième Garde:

--Saint Georges, me voilà assommé.

Troisième Garde:

--Cornebleu, je meurs.

Bougrelas:

--Lancez des pierres, mes amis.

Le Palotin Giron:

--Hon! C'est ainsi! (Il dégaîne et se précipite faisant un carnage épouvantable.)

Bougrelas:

--A nous deux! Défends-toi, lâche pistolet.

(Ils se battent.)

Giron:

--Je suis mort!

Bougrelas:

--Victoire, mes amis! Sus à la Mère Ubu!

(On entend des trompettes.)

Bougrelas:

--Ah! voilà les Nobles qui arrivent. Courons, attrapons la mauvaise harpie!

Tous:

--En attendant que nous étranglions le vieux bandit!

(La Mère Ubu se sauve poursuivie par tous les Polonais. Coups de fusil et grêle de pierres.)

Scène III

L'armée polonaise en marche dans l'Ukraine.

Père Ubu:

--Cornebleu, jambedieu, tête de vache! nous allons périr, car nous mourons de soif et sommes fatigué. Sire Soldat, ayez l'obligeance de porter notre casque à finances, et vous, sire Lancier, chargez-vous du ciseau à merdre et du bâton à physique pour soulager notre personne, car, je le répète, nous sommes fatigué.

(Les soldats obéissent.)

Pile:

--Hon! Monsieuye! il est étonnant que les Russes n'apparaissent point.

Père Ubu:

--Il est regrettable que l'état de nos finances ne nous permette pas d'avoir une voiture à notre taille; car, par crainte de démolir notre monture, nous avons fait tout le chemin à pied, traînant notre cheval par la bride. Mais quand nous serons de retour en Pologne, nous imaginerons, au moyen de notre science en physique et aidé des lumières de nos conseillers, une voiture à vent pour transporter toute l'armée.

Cotice:

--Voilà Nicolas Rensky qui se précipite.

Père Ubu:

--Et qu'a-t-il, ce garçon?

Rensky:

--Tout est perdu, Sire, les Polonais sont révoltés. Giron est tué et la Mère Ubu est en fuite dans les montagnes.

Père Ubu:

--Oiseau de nuit, bête de malheur, hibou à guêtres! Où as-tu péché ces sornettes? En voilà d'une autre! Et qui a fait ça? Bougrelas, je parie. D'où viens-tu?

Rensky:

--De Varsovie, noble Seigneur.

Père Ubu:

--Garçon de ma merdre, si je t'en croyais je ferais rebrousser chemin à toute l'armée. Mais, seigneur garçon, il y a sur tes épaules plus de plumes que de cervelle et tu as rêvé des sottises. Va aux avant-postes mon garçon, les Russes ne sont pas loin et nous aurons bientôt à estocader de nos armes, tant à merdre qu'à phynances et à physique.

Le général Lascy:

--Père Ubu, ne voyez-vous pas dans la plaine les Russes?

Père Ubu:

--C'est vrai, les Russes! Me voilà joli. Si encore il y avait moyen de s'en aller, mais pas du tout, nous sommes sur une hauteur et nous serons en butte à tous les coups.

L'Armée:

--Les Russes! L'ennemi!

Père Ubu:

--Allons, messieurs, prenons nos dispositions pour la bataille. Nous allons rester sur la colline et ne commettrons point la sottise de descendre en bas. Je me tiendrai au milieu comme une citadelle vivante et vous autres graviterez autour de moi. J'ai à vous recommander de mettre dans les fusils autant de balles qu'ils en pourront tenir, car 8 balles peuvent tuer 8 Russes et c'est autant que je n'aurai pas sur le dos. Nous mettrons les fantassins à pied au bas de la colline pour recevoir les Russes et les tuer un peu, les cavaliers derrière pour se jeter dans la confusion, et l'artillerie autour du moulin à vent ici présent pour tirer dans le tas. Quant à nous, nous nous tiendrons dans le moulin à vent et tirerons avec le pistolet à phynances par la fenêtre, en travers de la porte nous placerons le bâton à physique, et si quelqu'un essaye d'entrer, gare au croc à merdre!!!

Officiers:

--Vos ordres, Sire Ubu, seront exécutés.

Père Ubu:

--Eh cela va bien, nous serons vainqueurs. Quelle heure est-il?

Le général Lascy:

--Onze heures du matin.

Père Ubu:

--Alors, nous allons dîner, car les Russes n'attaqueront pas avant midi.