La plaidoirie de la défense fut jugée magnifique.
Le pauvre garçon marqua une pause, avala sa salive et livra le verdict :
« J’ai obtenu la peine maximale applicable à une première peine. »
Je murmurai quelques mots appropriés. Il baissa la tête et croisa les bras.
« Quand ils me laissèrent sortir de prison, reprit-il doucement, j’ai bien sûr filé à mon ancien atelier. Avant ça, mon patron avait une affection particulière pour moi ; mais quand il m’a vu, il est devenu vert de peur et m’a montré la porte d’une main tremblante. »
Alors qu’il se tenait là dans la rue, anxieux et déconcerté, il fut accosté par un homme âgé de la cinquantaine qui se présenta comme mécanicien-ajusteur, lui aussi. « Je sais qui tu es, dit-il. J’ai assisté à ton procès. Tu es un bon camarade et tes idées sont saines. Mais le drame dans tout ça, c’est que tu ne pourras plus trouver de travail nulle part désormais. Ces bourgeois vont conspirer pour te faire crever de faim. C’est leur façon de faire. N’attends aucune pitié des riches. »
Qu’on lui parlât si gentiment dans la rue l’avait énormément réconforté. Il semblait être le genre de nature qui a besoin de soutien et de sympathie. L’idée de ne pas pouvoir trouver de travail l’avait complètement retourné. Si son patron, qui le connaissait si bien comme un ouvrier calme, ordonné et compétent, ne voulait désormais plus rien avoir à faire avec lui, – alors sûrement personne d’autre ne le voudrait non plus. C’était clair. La police, qui gardait un œil sur lui, se dépêcherait d’avertir chaque employeur décidé à lui donner sa chance. Il se sentit soudain désemparé, inquiet et désœuvré ; il suivit l’homme âgé de la cinquantaine jusqu’à l’estaminet du coin, où il rencontra quelques autres bons compagnons. Ils l’assurèrent qu’ils ne le laisseraient pas mourir de faim, qu’il ait du travail ou non. Ils burent ensemble à la déconfiture de tous les employeurs de main-d’œuvre et à la destruction de la société.
Assis, il se mordait la lèvre inférieure.
« C’est ainsi, monsieur, que je suis devenu compagnon », dit-il. La main qu’il se passa sur le front tremblait. « Tout de même, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans un monde où un homme peut aller à sa perte pour un verre de plus ou de moins. »
Il ne levait jamais les yeux et, pourtant, je pouvais voir percer de l’excitation sous son état d’abattement. Il frappa l’établi du plat de la main.
« Non !, cria-t-il. C’était une existence impossible ! Surveillé par la police, surveillé par les camarades, je ne m’appartenais plus ! Tenez, je ne pouvais même pas aller retirer quelques francs à la caisse d’épargne sans qu’un camarade rôde près de la porte pour voir si je ne me sauvais pas ! Et la plupart d’entre eux n’étaient ni plus ni moins que des cambrioleurs. Les intelligents, je veux dire. Ils volaient les riches ; ils reprenaient juste leur dû, qu’ils disaient. Quand j’avais bu un peu, je les croyais. Il y avait aussi les imbéciles et les fous. Des exaltés, – quoi ! Quand j’étais ivre, je les aimais. Quand je buvais encore quelques verres, j’étais en colère contre le monde. C’était le meilleur moment. Je trouvais refuge loin de la misère dans la rage.
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