Elle songeait à son neveu, et, n’ayant pu lui rendre ces honneurs, avait un surcroît de tristesse, comme si on l’eût enterré avec l’autre.
Le désespoir de Mme Aubain fut illimité.
D’abord elle se révolta contre Dieu, le trouvant injuste de lui avoir pris sa fille – elle qui n’avait jamais fait de mal, et dont la conscience était si pure ! Mais non ! elle aurait dû l’emporter dans le Midi. D’autres docteurs l’auraient sauvée ! Elle s’accusait, voulait la rejoindre, criait en détresse au milieu de ses rêves. Un surtout, l’obsédait. Son mari, costumé comme un matelot, revenait d’un long voyage, et lui disait en pleurant qu’il avait reçu l’ordre d’emmener Virginie. Alors ils se concertaient pour découvrir une cachette quelque part.
Une fois, elle rentra du jardin, bouleversée. Tout à l’heure (elle montrait l’endroit) le père et la fille lui étaient apparus l’un auprès de l’autre, et ils ne faisaient rien ; ils la regardaient.
Pendant plusieurs mois, elle resta dans sa chambre, inerte. Félicité la sermonnait doucement ; il fallait se conserver pour son fils, et pour l’autre, en souvenir « d’elle ».
— « Elle ? » reprenait Mme Aubain, comme se réveillant. « Ah ! oui !… oui !… Vous ne l’oubliez pas ! » Allusion au cimetière, qu’on lui avait scrupuleusement défendu.
Félicité tous les jours s’y rendait.
À quatre heures précises, elle passait au bord des maisons, montait la côte, ouvrait la barrière, et arrivait devant la tombe de Virginie. C’était une petite colonne de marbre rose, avec une dalle dans le bas, et des chaînes autour enfermant un jardinet. Les plates-bandes disparaissaient sous une couverture de fleurs. Elle arrosait leurs feuilles, renouvelait le sable, se mettait à genoux pour mieux labourer la terre. Mme Aubain, quand elle put y venir, en éprouva un soulagement, une espèce de consolation.
Puis des années s’écoulèrent, toutes pareilles et sans autres épisodes que le retour des grandes fêtes : Pâques, l’Assomption, la Toussaint. Des événements intérieurs faisaient une date, où l’on se reportait plus tard. Ainsi, en 1825, deux vitriers badigeonnèrent le vestibule ; en 1827, une portion du toit, tombant dans la cour, faillit tuer un homme. L’été de 1828, ce fut à Madame d’offrir le pain bénit ; Bourais, vers cette époque, s’absenta mystérieusement ; et les anciennes connaissances peu à peu s’en allèrent : Guyot, Liébard, Mme Lechaptois, Robelin, l’oncle Gremanville, paralysé depuis longtemps.
Une nuit, le conducteur de la malle-poste annonça dans Pont-l’Évêque la Révolution de Juillet. Un sous-préfet nouveau, peu de jours après, fut nommé : le baron de Larsonnière, ex-consul en Amérique, et qui avait chez lui, outre sa femme, sa belle-sœur avec trois demoiselles, assez grandes déjà. On les apercevait sur leur gazon, habillées de blouses flottantes ; elles possédaient un nègre et un perroquet.
Mme Aubain eut leur visite, et ne manqua pas de la rendre. Du plus loin qu’elles paraissaient, Félicité accourait pour la prévenir. Mais une chose était seule capable de l’émouvoir, les lettres de son fils.
Il ne pouvait suivre aucune carrière, étant absorbé dans les estaminets. Elle lui payait ses dettes ; il en refaisait d’autres ; et les soupirs que poussait Mme Aubain, en tricotant près de la fenêtre, arrivaient à Félicité, qui tournait son rouet dans la cuisine.
Elles se promenaient ensemble le long de l’espalier ; et causaient toujours de Virginie, se demandant si telle chose lui aurait plu, en telle occasion ce qu’elle eût dit probablement.
Toutes ses petites affaires occupaient un placard dans la chambre à deux lits. Mme Aubain les inspectait le moins souvent possible. Un jour d’été, elle se résigna ; et des papillons s’envolèrent de l’armoire.
Ses robes étaient en ligne sous une planche où il y avait trois poupées, des cerceaux, un ménage, la cuvette qui lui servait. Elles retirèrent également les jupons, les bas, les mouchoirs, et les étendirent sur les deux couches, avant de les replier. Le soleil éclairait ces pauvres objets, en faisait voir les taches, et des plis formés par les mouvements du corps. L’air était chaud et bleu, un merle gazouillait, tout semblait vivre dans une douceur profonde. Elles retrouvèrent un petit chapeau de peluche, à longs poils, couleur marron ; mais il était tout mangé de vermine. Félicité le réclama pour elle-même. Leurs yeux se fixèrent l’une sur l’autre, s’emplirent de larmes ; enfin la maîtresse ouvrit ses bras, la servante s’y jeta ; et elles s’étreignirent, satisfaisant leur douleur dans un baiser qui les égalisait.
C’était la première fois de leur vie, Mme Aubain n’étant pas d’une nature expansive. Félicité lui en fut reconnaissante comme d’un bienfait, et désormais la chérit avec un dévouement bestial et une vénération religieuse.
La bonté de son cœur se développa.
Quand elle entendait dans la rue les tambours d’un régiment en marche, elle se mettait devant la porte avec une cruche de cidre, et offrait à boire aux soldats. Elle soigna des cholériques.
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