Il y a dans le jardin une terrasse d’où l’on découvre la Seine. Virginie s’y promenait à son bras, sur les feuilles de pampre tombées. Quelquefois le soleil traversant les nuages la forçait à cligner ses paupières, pendant qu’elle regardait les voiles au loin et tout l’horizon, depuis le château de Tancarville jusqu’aux phares du Havre. Ensuite on se reposait sous la tonnelle. Sa mère s’était procuré un petit fût d’excellent vin de Malaga ; et, riant à l’idée d’être grise, elle en buvait deux doigts, pas davantage.

Ses forces reparurent. L’automne s’écoula doucement. Félicité rassurait Mme Aubain. Mais, un soir qu’elle avait été aux environs faire une course, elle rencontra devant la porte le cabriolet de M. Poupart ; et il était dans le vestibule. Mme Aubain nouait son chapeau.

— « Donnez-moi ma chaufferette, ma bourse, mes gants ; plus vite donc ! »

Virginie avait une fluxion de poitrine ; c’était peut-être désespéré.

— « Pas encore ! » dit le médecin ; et tous deux montèrent dans la voiture, sous des flocons de neige qui tourbillonnaient. La nuit allait venir. Il faisait très froid.

Félicité se précipita dans l’église, pour allumer un cierge. Puis elle courut après le cabriolet, qu’elle rejoignit une heure plus tard, sauta légèrement par-derrière, où elle se tenait aux torsades, quand une réflexion lui vint : « La cour n’était pas fermée ! si des voleurs s’introduisaient ? » Et elle descendit.

Le lendemain, dès l’aube, elle se présenta chez le docteur. Il était rentré, et reparti à la campagne. Puis elle resta dans l’auberge, croyant que des inconnus apporteraient une lettre. Enfin, au petit jour, elle prit la diligence de Lisieux.

Le couvent se trouvait au fond d’une ruelle escarpée. Vers le milieu, elle entendit des sons étranges, un glas de mort. « C’est pour d’autres », pensa-t-elle ; et Félicité tira violemment le marteau.

Au bout de plusieurs minutes, des savates se traînèrent, la porte s’entrebâilla, et une religieuse parut.

La bonne sœur avec un air de componction dit qu’« elle venait de passer ». En même temps, le glas de Saint-Léonard redoublait.

Félicité parvint au second étage.

Dès le seuil de la chambre, elle aperçut Virginie étalée sur le dos, les mains jointes, la bouche ouverte, et la tête en arrière sous une croix noire s’inclinant vers elle, entre les rideaux immobiles, moins pâles que sa figure. Mme Aubain, au pied de la couche qu’elle tenait dans ses bras, poussait des hoquets d’agonie. La supérieure était debout, à droite. Trois chandeliers sur la commode faisaient des taches rouges, et le brouillard blanchissait les fenêtres. Des religieuses emportèrent Mme Aubain.

Pendant deux nuits, Félicité ne quitta pas la morte. Elle répétait les mêmes prières, jetait de l’eau bénite sur les draps, revenait s’asseoir, et la contemplait. À la fin de la première veille, elle remarqua que la figure avait jauni, les lèvres bleuirent, le nez se pinçait, les yeux s’enfonçaient. Elle les baisa plusieurs fois ; et n’eût pas éprouvé un immense étonnement si Virginie les eût rouverts ; pour de pareilles âmes le surnaturel est tout simple. Elle fit sa toilette, l’enveloppa de son linceul, la descendit dans sa bière, lui posa une couronne, étala ses cheveux. Ils étaient blonds, et extraordinaires de longueur à son âge. Félicité en coupa une grosse mèche, dont elle glissa la moitié dans sa poitrine, résolue à ne jamais s’en dessaisir.

Le corps fut ramené à Pont-l’Évêque, suivant les intentions de Mme Aubain, qui suivait le corbillard, dans une voiture fermée10.

Après la messe, il fallut encore trois quarts d’heure pour atteindre le cimetière. Paul marchait en tête et sanglotait. M. Bourais était derrière, ensuite les principaux habitants, les femmes, couvertes de mantes noires, et Félicité.