Ils virent que je cherchais une raison de vivre et une discipline. Ils s'intéressèrent passionnément à une recherche qu'eux-mêmes eussent voulu entreprendre. Ce petit livre produisit dans certains jeunes esprits une agitation singulière. On m'a raconté qu'au Conseil supérieur de l'instruction publique, vers 1890, M. Gréard exprima le regret que je fusse avec Verlaine l'auteur le plus lu par nos rhétoriciens et nos philosophes de Paris. A cet époque on disputait s'il fallait être barrésiste ou barrésien. Charles Maurras tient pour barrésien. La Revue indépendante avait publié de M. Camille Mauclair une sorte de manifeste sur le barrésisme. Un sage aurait, dès ce début, discerné chez les tenants du «culte du Moi» des formations très diverses; mais nous avions en commun le plus bel élan de jeunesse. Nous nous groupâmes tous, mistraliens, proudhoniens, jeunes juifs, néo-catholiques et socialistes dans la fameuse Cocarde. Du 1er septembre 1894 à mars 1895, ce journal fut un magnifique excitateur de l'intelligence. Je n'ai jamais fini de rire quand je pense que cette équipe bariolée travailla aux fondations du nationalisme, et non point seulement du nationalisme politique mais d'un large classicisme français. Parfaitement, Fournière, Henri Bérenger, Camille Mauclair étaient avec nous. Il y avait un malentendu. On le vit quand parurent les Déracinés, qui, peu avant une crise publique trop retentissante, obligèrent de choisir entre le point de vue intellectuel et le traditionalisme.
En 1897, le désarroi des amis que l'Homme libre m'avait faits fut extrême. Beaucoup de jeunes groupements m'envoyèrent leur P.P.C. J'ai gardé une lettre privée, à la fois touchante et singulière, de la Revue blanche. C'était l'époque héroïque. Le fameux M. Herr, bibliothécaire de l'École normale, un Alsacien et un apôtre (c'est vous dire deux fois qu'il ne manque pas de vivacité), se chargea de formuler une excommunication. Ce philosophe qui vaudrait davantage s'il était un peu plus d'Obernai me reprocha d'être de Charmes. Il se glorifie d'être le fils des livres et me méprise d'être le fils de mon petit pays. Je le félicite tout au moins de poser ainsi le problème. Oui, l'homme libre venait de distinguer et d'accepter son déterminisme.
Il y a, dans la préface du Disciple, une page de grand effet. Bourget s'adresse «aux jeunes gens de 1889» pour les inviter «à se méfier du nihiliste struggleforlifer cynique et volontiers jovial» et du «nihiliste délicat». «Celui-ci, dit-il, a toutes les aristocraties des nerfs, toutes celle de l'esprit... c'est un épicurien intellectuel et raffiné.... Ce nihiliste délicat, comme il est effrayant à rencontrer et comme il abonde! A vingt-cinq ans, il a fait le tour de toutes les idées. Son esprit critique, précocement éveillé, a compris les résultats derniers des plus subtiles philosophies de cet âge.
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