Ce n’était pas un jeu très organisé mais quelque chose de spontané à quoi nous jouions quand nous rencontrions un groupe de filles de notre âge et que nous exigions que chacune choisisse le garçon qu’elle aimait. D’après nos règles, le choix de la fille devait être respecté et, quand elle avait choisi celui qui lui plaisait, elle était libre de continuer son chemin accompagnée par l’heureux garçon. Mais les filles avaient l’esprit vif – elles étaient bien plus astucieuses que les garçons lourdauds – et elles se concertaient souvent pour choisir le garçon le plus simple, qu’elles taquinaient jusque chez lui.
Le jeu le plus populaire parmi les garçons était le thinti, et comme la plupart des jeux de garçons c’était une imitation de la guerre. On plantait deux bâtons dans le sol à une trentaine de mètres l’un de l’autre, et ils servaient de cibles. Pour chaque équipe, le but du jeu consistait à jeter des bâtons sur la cible adverse et à la renverser. Chaque équipe défendait sa propre cible et essayait d’empêcher l’autre équipe de reprendre les bâtons qui avaient été jetés. Quand nous sommes devenus plus grands, nous avons organisé des matches contre les garçons des. villages voisins, et ceux qui se distinguaient dans ces batailles fraternelles étaient très admirés, comme les généraux qui remportent de grandes victoires à la guerre.
Après ces jeux, je revenais, dans le kraal où ma mère préparait le repas du soir. Alors que mon père nous racontait des batailles historiques et nous parlait des guerriers xhosas héroïques, ma mère nous enchantait avec les fables et les légendes xhosas transmises depuis d’innombrables générations. Ces contes stimulaient mon imagination d’enfant et, en général, ils contenaient une leçon morale. Je me souviens d’une histoire que ma mère nous racontait sur un voyageur qu’aborda une vieille femme avec une cataracte terrible sur les yeux. Elle lui demanda de l’aide et l’homme détourna le regard. Puis un autre homme passa que la vieille femme aborda. Elle lui demanda de lui laver les yeux et, tout en trouvant la tâche désagréable, il fit ce qu’elle lui demandait. Alors, miraculeusement, les yeux de la vieille femme se dessillèrent et elle se transforma en une belle jeune fille. L’homme l’épousa et devint riche et prospère. C’est une histoire simple mais son message est éternel : la vertu et la générosité seront récompensées d’une façon que nous ne pouvons pas connaître.
Comme tous les enfants xhosas, j’ai acquis des connaissances surtout par l’observation. Nous étions censés apprendre par l’imitation et l’émulation, pas en posant des questions. Les premières fois où je suis allé chez les Blancs, j’ai été stupéfait par le nombre et la nature des questions que les enfants posaient à leurs parents – et par l’empressement des parents à leur répondre. Chez moi, les questions étaient considérées comme quelque chose d’ennuyeux ; les adultes donnaient simplement l’information qu’ils pensaient nécessaire.
Ma vie, comme celle de la plupart des Xhosas à cette époque, était façonnée par la coutume, le rituel et les tabous. C’était l’alpha et l’oméga de notre existence et cela allait de soi. Les hommes suivaient le chemin tracé pour eux par leur père ; les femmes menaient la même vie que leur mère avant elles. Sans qu’on ait besoin de me le dire, j’ai bientôt assimilé les règles compliquées qui dirigeaient les relations entre les hommes et les femmes. J’ai découvert qu’un homme ne pouvait pas entrer dans une maison où une femme avait récemment accouché et qu’une femme nouvellement mariée ne pouvait entrer dans le kraal de sa nouvelle demeure sans une cérémonie compliquée. J’ai appris que négliger ses ancêtres attirait malchance et échec dans la vie. Si l’on déshonorait ses ancêtres, la seule façon d’expier sa faute était de consulter un guérisseur traditionnel ou un ancien de la tribu qui communiquait avec les ancêtres et leur transmettait de profondes excuses. Toutes ces croyances me semblaient parfaitement naturelles.
J’ai rencontré quelques Blancs quand j’étais enfant à Qunu. Le magistrat local, bien sûr, était blanc, comme le commerçant le plus proche. Parfois des voyageurs ou des policiers blancs passaient dans la région. Ces Blancs m’apparaissaient grands comme des dieux et je savais qu’on devait les traiter avec un mélange de peur et de respect.
1 comment