Quoi qu’il en soit, le professeur, sur mon croquis, était violemment irrité et fort laid, tandis qu’il écrivait son grand livre sur l’infériorité intellectuelle, morale et physique des femmes. Dessiner ainsi était une façon bien futile d’achever le vain travail d’une matinée. Mais n’est-ce pas quelquefois dans l’oisiveté, dans le rêve que la vérité noyée émerge quelque peu ? Une pratique très élémentaire de la psychologie, qu’il ne faut pas décorer du nom de psychanalyse, me permit de constater que mon croquis du coléreux professeur avait été exécuté dans la colère. La colère s’était emparée de mon crayon tandis que je rêvassais. Mais qu’est-ce que la colère venait faire ici ? Intérêt, confusion, amusement, ennui, j’avais pu retrouver la trace de toutes ces émotions tandis qu’elles se succédaient en cette matinée. Le noir serpent de la colère s’était-il dissimulé au milieu d’elles ? Oui, disait le croquis. Oui, il me renvoyait sans erreur possible à un seul livre, à une seule phrase qui avait fait surgir le démon : la déclaration du professeur concernant l’infériorité intellectuelle, morale et physique des femmes. Mon cœur alors avait bondi. Mes joues s’étaient empourprées. J’étais devenue rouge de colère. Bien que cette réaction fût un peu ridicule, elle n’avait rien de particulièrement remarquable. Nul n’aime entendre dire qu’il est, de nature, inférieur à un petit homme ; je regardais l’étudiant qui était à côté de moi – il respirait bruyamment, il portait une cravate toute faite et il avait une barbe de quinze jours. Chacun de nous a ses petites vanités ridicules. C’est là le propre de la nature humaine, pensais-je, et je me mis à recouvrir de roues et de cercles la figure coléreuse du professeur jusqu’à ce qu’elle ressemblât à un buisson ardent ou à une comète flamboyante, jusqu’à ce qu’elle devînt quelque chose qui ne ressemblait plus à un homme ni par l’aspect ni par l’expression. Le professeur, à présent, n’était plus qu’un fagot ardent sur Hampstead Heath. Déjà ma propre colère se trouvait expliquée et enfuie, mais ma curiosité demeurait. Comment expliquer la colère des professeurs ? Pourquoi étaient-ils irrités ? Car en analysant les impressions laissées par ces livres, on se trouvait toujours devant un élément passionné. Cette passion prenait plusieurs formes ; elle se manifestait dans la satire, dans le sentiment, dans la curiosité, dans la réprobation. Mais souvent on se trouvait encore devant un autre élément qu’il était impossible d’identifier immédiatement. Cet élément, je le nommai colère. Mais c’était une colère qui s’était faite souterraine et qui s’était mêlée à toutes sortes d’autres émotions. À en juger par ses étranges effets, il s’agissait ici d’une colère déguisée et complexe et non d’une colère simple et franche. Quoi qu’il en soit, pensais-je, contemplant la pile étagée sur mon bureau, tous ces livres sont sans valeur pour mes fins. Ils sont sans valeur du point de vue scientifique, bien que, du point de vue humain, ils soient pleins d’enseignement, d’intérêt, d’ennui et de détails bizarres concernant les coutumes des insulaires des Fidji. Ils ont été écrits à la lumière rouge de l’émotion et non à la lumière blanche de la vérité. Aussi faut-il les retourner au bureau central et replacer chacun d’eux dans la cellule qu’il occupe dans cette immense ruche. Je n’avais fait qu’une seule découverte en cette matinée, celle de la colère. Les professeurs – je les mettais tous dans le même sac – étaient pleins de colère. Mais pourquoi, me demandai-je, ayant rendu les livres, pourquoi me répétai-je, debout sous la colonnade parmi les pigeons et les canots préhistoriques, pourquoi étaient-ils ainsi en colère ? Et, me posant cette question, je partis tout en flânant, à la recherche d’un endroit où déjeuner. Quelle est la nature véritable de ce que je nomme, pour le moment, leur colère ? me demandais-je.