John, qui était lente et grossette, et qui ne cessa pas de la regarder tout au long de la matinée. Elle constata qu’elle avait du mal avec ses leçons et qu’elle ne risquait certes pas qu’on la gâte en la traitant en élève vedette. Pour elle, le cours de français fut pathétique. M. Dufarge ne parvint pas à s’empêcher de rire de sa prononciation tandis que Lavinia, Jessie et quelques autres, un peu plus douées, se moquaient d’elle ou la regardaient avec dédain.

Sarah, elle, ne rit pas. Elle fit comme si elle n’entendait pas quand Mlle St. John prononça le bon pain, « li bong pang ». Elle avait déjà un petit caractère bien trempé et sentit monter de la colère en elle quand elle entendit les filles rire et qu’elle vit que la petite demeurait désolée et quasi hébétée.

— Ce n’est pas drôle, dit-elle entre les dents en se penchant sur son livre. Elles ne devraient pas rire !

Quand les cours furent terminés et que les élèves se rassemblèrent en petits groupes pour discuter, Sarah chercha Mlle St. John et, l’ayant vue dans un fauteuil près d’une fenêtre où elle s’était pelotonnée avec l’air mécontent, elle alla vers elle et lui parla. Elle lui dit seulement le genre de petits riens que les petites filles se disent entre elles pour faire connaissance mais il y avait quelque chose d’amical chez Sarah que les autres sentaient d’emblée.

— Quel est ton nom ? demanda-t-elle.

Pour comprendre l’étonnement qu’éprouva alors Mlle St. John il faut se rappeler qu’une nouvelle est, pendant un certain temps, quelque chose d’incertain. Et de cette nouvelle, toutes les élèves avaient longuement parlé la veille avant de finir par s’endormir, épuisées qu’elles étaient à force d’excitation et d’histoires les plus contradictoires. Faire connaissance avec une nouvelle qui avait une voiture, un poney, une bonne et un voyage depuis les Indes à raconter, ce n’était pas un événement ordinaire.

— Mon nom est Ermengarde St. John, répondit-elle.

— Et le mien Sarah Crewe, dit Sarah. Tu as un joli nom. Il fait penser au titre d’un livre d’histoires.

— Tu l’aimes bien ? s’enchanta Ermengarde. Moi j’aime le tien !

La principale difficulté d’Ermengarde St. John dans la vie, c’était qu’elle avait un papa très intelligent. Par moments, cela lui apparaissait comme une terrible calamité. Car si vous avez un père qui sait tout, qui parle sept ou huit langues, qui possède des milliers de livres qu’il semble connaître par cœur, il s’attend le plus souvent à ce que vous soyez familière avec le contenu de vos livres de classe. Il est même probable qu’il pensera que vous devriez être capable de mémoriser quelques événements historiques et de rédiger un petit texte en français. Ermengarde était une sévère épreuve pour M. St. John qui ne parvenait pas à comprendre comment sa propre enfant pouvait être une créature aussi terne, incapable de briller dans aucune matière.

— Dieu du Ciel ! disait-il régulièrement en la regardant, il y a des moments où elle me semble aussi bête que sa tante Élise.

Si sa tante Élise s’était montrée lente pour apprendre et prompte pour oublier totalement ce qu’elle avait appris, alors Ermengarde lui ressemblait de façon frappante. C'était le cancre absolu de l’école, un fait que nul ne pouvait nier.

— Il faut absolument faire en sorte qu’elle apprenne, avait dit le père à Miss Minchin.

En conséquence de quoi, Ermengarde passait le plus clair de son temps à être punie ou à pleurer. Elle apprenait des choses qu’elle oubliait aussitôt ou, si elle s’en souvenait, elle ne les avait pas comprises. Aussi était-il normal qu’ayant fait la connaissance de Sarah, elle se soit mise à la contempler, en proie à une profonde admiration.

— Tu parles français, n’est-ce pas ? dit-elle avec respect.

Sarah grimpa sur le fauteuil qui était vaste et profond ; elle ramena les pieds devant elle et passa les bras autour de ses genoux.

— Je parle le français parce que je l’ai toujours entendu parler, répondit-elle. Si c’était ton cas, tu le parlerais aussi.

— Oh non ! je ne pourrais pas ! Je n’ai jamais pu !

— Pourquoi ? demanda Sarah avec curiosité.

Ermengarde secoua la tête, ce qui fit voltiger la natte.

— Tu m’as entendue ? dit-elle. Je suis toujours comme ça.