Voyages en Inde
Pierre Loti
Voyages en Inde
Arthaud
© Flammarion, Paris, 2015
Dépôt légal : novembre 2015
ISBN Epub : 9782081351097
ISBN PDF Web : 9782081351103
Le livre a été imprimé sous les références :
ISBN : 9782081344181
Ouvrage composé par IGS-CP et converti par Meta-systems (59100 Roubaix)
Présentation de l'éditeur
Capitaine de frégate et auteur à succès en quête de spiritualité et d’exotisme, Pierre Loti a sillonné l’Inde, du sud au nord. Deux textes rendent compte de ses rencontres, impressions et expériences.
Publié en 1887, Mahé des Indes est le récit d’une escale au large des côtes du Kérala, face à Mahé, alors l’un des cinq comptoirs français.
En 1899-1900, Loti en « mission officielle » parcourt une grande partie de l’Inde. Suivant un itinéraire délirant, il explore d’abord l’Inde du Sud qu’il nomme « l’Inde des palmes », avant de mettre le cap plein nord vers le Rajasthan, « l’Inde affamée », et de poursuivre ensuite son périple vers Madras et Delhi. Dans L’Inde (sans les Anglais), Loti, rêveur paradoxal, va se perdre dans la moiteur tropicale de l’Inde du Sud, partir à la découverte des spiritualités brahmaniques, admirer les spectacles des bayadères, pour clore son périple auprès de vieux sages, sur le Gange, dans la ville sacrée de Bénarès, terme symbolique de cette odyssée.
Voyages en Inde
L’EXPÉRIENCE INDIENNE DE PIERRE LOTI
C’est étrange, rétrospectivement, eu égard à son attente spirituelle, à son enthousiasme in situ, à la qualité du livre que son voyage lui inspirera, L’Inde (sans les Anglais), l’un de ses chefs-d’œuvre, que le sous-continent indien s’inscrive assez tard dans le parcours de Pierre Loti. Il n’y a effectué qu’un long périple, du 20 décembre 1899 au 25 mars 1900.
En 1899, le Rochefortais Julien Viaud (le nom de baptême de Loti), officier de marine, a quarante-neuf ans. Il a accompli son premier voyage en 1868, sur le Bougainville, en tant qu’aspirant. Il vient d’être promu capitaine de frégate, après avoir été réintégré dans la marine, mais placé hors cadre, sans affectation et en congé sans solde, à la disposition du ministre des Affaires étrangères, son ami le radical Théophile Delcassé, jusqu’au 25 juillet 1900. Ce sont là des « vacances » qu’il va mettre à profit de belle manière pour voyager longuement, en toute liberté – à titre privé mais avec quelques missions plus ou moins officielles, voire secrètes – et oublier son humiliation de 1898. Alors lieutenant de vaisseau, Julien Viaud avait, comme vingt-sept autres officiers, été mis à la retraite d’office, sous prétexte de « rajeunissement des cadres » ! La bêtise n’a, elle, pas d’âge. L’affaire suscita nombre de protestations, et s’acheva sur une victoire : dès le 2 août 1900, le capitaine de frégate reprendra du service actif, croisant vers la Chine en pleine révolte des Boxers. Mais ceci est une autre de ses histoires, qu’il a racontée dans Les Derniers Jours de Pékin1.
Quant à son double, l’écrivain Pierre Loti, il est né officiellement le 2 octobre 1880, dans un article du Monde illustré. Après deux premiers romans, Aziyadé et Le Mariage de Loti, parus, anonymes, en 1879 et 1880, il a enchaîné, sous son pseudonyme, à partir de 1881 et du Roman d’un spahi, les livres et les succès, à un rythme soutenu. Le prolifique écrivain va même être élu très tôt à l’Académie française, en 1891. Benjamin du Quai de Conti, c’est cette qualité d’académicien qui va le conduire de nouveau en Inde, en 1899.
Auparavant, il avait eu un premier contact avec le sous-continent, bref, dans des conditions particulières. Tout début 1886, le navire de Julien Viaud, La Corrèze, de retour du Tonkin, avait fait une escale de trois jours au large des côtes indiennes, face à Mahé, dans l’État du Kerala. Il en publiera le récit dans Mahé des Indes, qui figurera en 1887 dans le recueil Propos d’exil.
Mahé, c’était – c’est encore – une Inde bien spécifique. De 1721 à 1954 – l’année de la restitution de jure par la France à l’Inde de ses quatre comptoirs restants, la Bengalie Chandernagor ayant pris les devants par référendum dès 1949 –, la petite ville tropicale, alanguie sur les bords de la rivière dont elle porte le nom, fut l’un des comptoirs de l’Inde française créée par Colbert avec la Compagnie française des Indes orientales, en plein paradis des épices. Le précieux poivre, en particulier, que nous disputaient les Anglais, établis non loin, dans leur comptoir de Tellicherry.
L’officier Viaud va demeurer au large, sur son bateau, mais l’écrivain Loti descendre chaque jour à terre, se balader, découvrir, au gré de ses humeurs et des propositions qui s’offrent à lui. Ainsi, on l’invite à un mariage où il assiste à des danses exotiques (et « érotiques », dit-il), même à ses yeux d’homme aguerri, et lui rappellent la sensuelle Polynésie de sa jeunesse. Loti, toute sa vie, éprouvera et exprimera sa nostalgie des paradis perdus, de l’enfance heureuse à jamais enfuie, qui entretient le taedium vitae de cette âme inquiète, hantée par l’idée de la mort et en quête d’une foi qui puisse la conjurer – la religion de sa jeunesse l’ayant déçu : « J’ai essayé de rester chrétien et je ne l’ai pas pu », confie-t-il à plusieurs reprises.
À Mahé, Loti longe la rivière, va faire un tour à la résidence du gouverneur, qui existe toujours, dans son parc de tecks, manguiers, jacquiers, cocotiers, poivriers, visite la cathédrale dédiée à sainte Thérèse d’Avila, toujours blanche et pimpante, est accueilli chez des autochtones dont les enfants récitent en son honneur Le Loup et l’Agneau, de ce bon M. de La Fontaine. Et puis, à l’invite de deux jeunes guides, deux orphelins au charme de qui il se montre sensible, il se risque en pleine jungle pour voir une petite « pagode », comme on disait à l’époque. En fait un temple à Ganesh, « un tout petit monstre […], ayant vaguement une tête d’éléphant sur un corps d’homme », premier d’une série de dieux et de temples hindous avec qui il se familiarisera par la suite.
La nature est généreuse, luxuriante, et abondamment décrite par Loti, qui évoque la forêt de sa Saintonge natale. À l’évidence, il a été conquis par cette « Inde des palmes », comme il la nomme, cette antique terre dravidienne hindoue, païenne et sensuelle, qu’il opposera à l’Inde du Nord, celle des Moghols musulmans, « l’Inde affamée ». Par sa réelle douceur de vivre, même si l’on n’en méconnaît pas les problèmes. Notre ami est séduit tout particulièrement par les habitants, la sombre beauté des Indiens du Sud : « Les gens qu’on rencontre sont tous beaux, calmes, nobles, avec de grands yeux de velours – de ces yeux de l’Inde au mystérieux charme noir. » À la fin, il s’abandonne à ses gracieux et espiègles cicérones, lesquels l’invitent à suivre une procession colorée et bruyante.
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