Et la maisonnette indienne, très vieille et très blanche – dans laquelle on a dormi portes et fenêtres ouvertes –, s’éclaire dès l’aube, reçoit dès la première heure la gaie lumière. On s’éveille au soleil levant, dans la splendeur.
La véranda, encore fraîche de rosée, semble alors un asile exquis, la véranda toute neigeuse de chaux, avec ses gros piliers trapus, naïvement irréguliers, où des jasmins s’enroulent.
Alentour, c’est la campagne, le calme pastoral, la paix édénique du matin. Sur une nature un peu brûlée, un peu alanguie de sécheresse et d’automne, c’est, dirait-on, le rayonnement tranquille de nos plus belles matinées de septembre dans la France méridionale.
Point de grandes palmes ici, ni de folles verdures comme à Ceylan ; rien que des arbres moyens aux feuillages discrets, imitant ceux de nos bois. Des champs fauchés, des vergers, de gentils sentiers avenants et propres, tracés dans une herbe rase, et plus loin, aperçus à travers les branches, des petits murs peints à la chaux, des maisonnettes soigneusement blanchies.
Je regarde, et je m’étonne de presque retrouver autour de moi des aspects qui furent familiers à mon enfance.
Il y a même des moineaux, de très vulgaires moineaux, pareils à ceux qui nichent sous nos toits, seulement, avec cette confiance en l’homme qu’ont toutes les bêtes de l’Inde et à laquelle je ne suis point habitué encore, ils ne s’enfuient pas quand j’approche.
Ce pays, par endroits, me réservait donc la surprise de ressembler au mien, de me rendre, en plein hiver, le charme de nos fins d’été. Et, sans tout à fait oublier au fond de moi-même que je suis dans l’Inde, en un lieu perdu, je me livre, avec une mélancolie douce, à des illusions de terre natale. Les campagnes de l’Aunis ou de la Saintonge, les tranquilles demeures de l’île d’Oléron à la saison lumineuse et dorée des vendanges me sont rappelées nostalgiquement par ces horizons plats, ces petits murs blancs, ces jasmins, cette herbe jaunie et ces couleurs d’automne.
Mille détails toutefois traversent mon rêve pour le dérouter. Un passant nu, qui frôle sans bruit les graminées du chemin, me montre un fin visage de couleur sombre. Un colibri, près des moineaux, vient se poser avec un éclat de pierre précieuse. Et voici une petite fille, un bébé de six ans, envoyée du village pour me faire une communication, qui a de longs yeux d’énigme noire, et dont les narines frémissantes sont traversées d’épingles d’or avec des rubis comme des gouttes de sang.
Surtout il y a au loin, inquiétant au milieu de ce paysage de chez nous, quelque chose d’étrange qui sort des arbres : l’angle d’un pylône brahmanique, le coin d’une pyramide de dieux et de monstres ; un temple de Vichnou, caché par là dans un bois.
L’heure de midi amène vraiment un excès de chaleur et de lumière sur la maisonnette blanche, malgré l’ombre de ses arbres.
Alentour, dans les petits vergers, sur l’herbe languissante, il fait clair, trop clair ; cela dépasse à présent nos plus étincelants midis de septembre. Le silence s’est fait partout. Plus de passants dans les sentiers. Les grands éventails sommeillent, et les serviteurs indiens qui les agitaient se sont couchés. Tout se tait et s’immobilise. Seuls, les corbeaux, qui ne font point de sieste, entrent dans ma chambre pour rôder autour de moi ; on n’entend, au milieu de la torpeur des choses, que leurs sautillements et le bruit soyeux de leur vol.
Alors, songeant tout à coup que nous sommes aux approches de Noël, je sens tomber sur mon imagination la tristesse de l’immuable beau temps, la tristesse et comme l’angoisse de l’éternel été.
Maintenant arrivent, l’un après l’autre, les équipages de route qui doivent, en deux jours environ, me mener à ce pays de Travancore vers lequel mon esprit est tendu. Charrettes indigènes en forme de long sarcophage, où l’on se glisse par-derrière et où l’on voyage forcément couché, au trot dansant des zébus. Pour ma charrette personnelle, une paire de bêtes blanches, dont les cornes sont peintes en bleu ; pour mes domestiques, des bêtes brunes, aux cornes cerclées de cuivre.
Et, en attendant le baisser du soleil, ils s’étendent sur l’herbe, nos quatre zébus, paisibles, indolents et bons.
II
À trois heures, le départ, sous un soleil encore terrible.
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