La plupart du temps le fermier donne à son bétail et à ses cochons le grain de sa production et achète plus cher à la boutique une farine qui pour le moins n’est pas plus salutaire. Je compris que je pouvais facilement produire mon boisseau(32), sinon deux, de seigle et de maïs, car le premier poussera sur la terre la plus pauvre, alors que le second n’exige pas la meilleure, les moudre dans un moulin à bras, de la sorte m’en tirer sans riz et sans porc ; et s’il est nécessaire de quelques douceurs, je découvris par expérience que je pouvais tirer une fort bonne mélasse soit de la citrouille, soit de la betterave, puis reconnus qu’en faisant simplement pousser quelques érables(33), je me les procurais plus facilement encore, et qu’enfin dans le temps où ceux-ci poussaient, je pouvais employer divers succédanés en dehors de ceux que j’ai nommés. « Car », ainsi les Ancêtres le chantaient :

we can make liquor to sweeten our lips

Of pumpkins and parsnips and walnut-tree chips.(34)

Enfin, pour ce qui est du sel, ce produit si vulgaire d’épicerie, se le procurer pourrait être l’occasion d’une visite au bord de la mer, à moins que n’arrivant à m’en passer tout à fait, je n’en busse probablement que moins d’eau. Je ne sache pas que les Indiens aient jamais pris la peine de se mettre en quête de lui.

Ainsi pouvais-je éviter tout commerce, tout échange, autant qu’il en allait de ma nourriture, et, pourvu déjà d’un abri, il ne restait à se procurer que le vêtement et le combustible. Le pantalon que je porte actuellement, fut tissé dans une famille de fermiers – le Ciel soit loué qu’il y ait encore tant de vertu dans l’homme ; car je tiens la chute du fermier à l’ouvrier pour aussi grande et retentissante que celle de l’homme au fermier ; – et dans un pays neuf le combustible est un encombrement. Pour ce qui est d’un habitat, s’il ne m’était pas encore permis de m’établir sur une terre ne m’appartenant pas, je pouvais me rendre acquéreur d’un acre pour le prix auquel on vendait la terre que je cultivais – à savoir, huit dollars huit cents. Mais quoi qu’il en fût, j’estimai que c’était augmenter la valeur de la terre que de m’établir dessus en squatter.

Il est certaine catégorie d’incrédules qui parfois me posent des questions comme celle-ci : « Croyez-vous pouvoir vivre uniquement de légumes ? » Pour atteindre tout de suite à la racine de l’affaire – car la racine, c’est la foi, – j’ai coutume de répondre à tels gens, que je peux vivre de clous à sabot. S’ils ne peuvent comprendre cela, ils ne le sauraient guère ce que j’ai à dire. Pour ma part, ce n’est pas sans plaisir que j’apprends qu’on tente des expériences de ce genre-ci, par exemple qu’un jeune homme a essayé pendant quinze jours de vivre de maïs dur, de maïs cru sur l’épi, en se servant de ses dents pour tout mortier. La gent écureuil tenta la même avec succès. La race humaine est intéressée dans ces expériences, quand devraient quelques vieilles femmes hors d’état de les tenter, ou qui possèdent en moulins leur usufruit, s’en alarmer.

 

Mon mobilier, dont je fabriquai moi-même une partie, le reste ne me coûta rien de quoi je n’aie rendu compte, consista en un lit, une table, un pupitre, trois chaises, un miroir de trois pouces de diamètre, une paire de pincettes et une autre de chenets, une bouillotte, une marmite, et une poêle à frire, une cuiller à pot, une jatte à laver, deux couteaux et deux fourchettes, trois assiettes, une tasse, une cuiller, une cruche à huile, une cruche à mélasse, et une lampe bronzée. Nul n’est si pauvre qu’il lui faille s’asseoir sur une citrouille. C’est manque d’énergie. Il y a dans les greniers de village abondance de ces chaises que j’aime le mieux, et qui ne coûtent que la peine de les enlever. Du mobilier ! Dieu merci, je suis capable de m’asseoir et de me tenir debout sans l’aide de tout un garde-meubles. Qui donc, sinon un philosophe, ne rougirait de voir son mobilier entassé dans une charrette et courant la campagne exposé à la lumière des cieux comme aux yeux des hommes, misérable inventaire de boîtes vides ? C’est le mobilier de Durand. Je n’ai jamais su dire à l’inspection de telle charretée si c’est à un soi-disant riche ou à un pauvre qu’elle appartenait ; le possesseur toujours en paraissait affligé de pauvreté. En vérité, plus vous possédez de ces choses, plus vous êtes pauvres. Il n’est pas une de ces charretées qui ne semble contenir le contenu d’une douzaine de cabanes ; et si une seule cabane est pauvre, cela l’est douze fois autant. Dites-moi pourquoi déménageons-nous, sinon pour nous débarrasser de notre mobilier, notre exuviæ ; à la fin passer de ce monde dans un autre meublé à neuf, et laisser celui-ci pour le feu ? C’est comme si tous ces pièges étaient bouclés à votre ceinture, et qu’il ne fût plus possible, sur le rude pays où sont jetées nos lignes, de se déplacer sans les traîner, – traîner son piège. Heureux le renard qui y laissa la queue. Le rat musqué se coupera de la dent jusqu’à la troisième patte pour être libre. Guère étonnant que l’homme ait perdu son élasticité. Que souvent il lui arrive d’être au point mort ! « Monsieur, si vous permettez, qu’entendez-vous par le point mort ? » Si vous êtes un voyant, vous ne rencontrez pas un homme que vous ne découvriez derrière lui tout ce qu’il possède, oui, et beaucoup qu’il feint de ne pas posséder, jusqu’à sa batterie de cuisine et tout le rebut qu’il met de côté sans le vouloir brûler, à quoi il semble attelé et poussant de l’avant comme il peut. Je crois au point mort celui qui ayant franchi un nœud de bois ou une porte cochère ne se peut faire suivre de son traîneau de mobilier. Je ne laisse pas de me sentir touché de compassion quand j’entends un homme bien troussé, bien campé, libre en apparence, tout sanglé, tout botté, parler de son « mobilier », comme étant assuré ou non. « Mais que ferai-je de mon mobilier ? » Mon brillant papillon est donc empêtré dans une toile d’araignée. Il n’est pas jusqu’à ceux qui semblent longtemps n’en pas avoir, que poussant plus loin votre enquête, vous ne découvriez en avoir amassé dans la grange de quelqu’un. Je considère l’Angleterre aujourd’hui comme un vieux gentleman qui voyage avec un grand bagage, friperie accumulée au cours d’une longue tenue de maison, et qu’il n’a pas le courage de brûler ; grande malle, petite malle, carton à chapeau et paquet. Jetez-moi de côté les trois premiers au moins.