Il serait de nos jours au-dessus des forces d’un homme bien portant de prendre son lit pour s’en aller, et je conseillerais certainement à celui qui serait malade de planter là son lit pour filer. Lorsqu’il m’est arrivé de rencontrer un immigrant qui chancelait sous un paquet contenant tout son bien – énorme tumeur, eût-on dit, poussée sur sa nuque – je l’ai pris en pitié, non parce que c’était, cela, tout son bien, mais parce qu’il avait tout cela à porter. S’il m’arrive d’avoir à traîner mon piège, j’aurai soin que c’en soit un léger et qu’il ne me pince pas en une partie vitale. Mais peut-être le plus sage serait-il de ne jamais mettre la patte dedans.
Je voudrais observer, en passant, qu’il ne m’en coûte rien en fait de rideaux, attendu que je n’ai d’autres curieux à exclure que le soleil et la lune, et que je tiens à ce qu’ils regardent chez moi. La lune ne fera tourner mon lait ni ne corrompra ma viande, plus que le soleil ne nuira à mes meubles ou ne fera passer mon tapis, et s’il se montre parfois ami quelque peu chaud, je trouve encore meilleure économie à battre en retraite derrière quelque rideau fourni par la nature qu’à ajouter un simple article au détail de mon ménage. Une dame m’offrit une fois un paillasson, mais comme je n’avais ni place de reste dans la maison, ni de temps de reste dedans ou dehors pour le secouer, je déclinai l’offre, préférant m’essuyer les pieds sur l’herbe devant ma porte. Mieux vaut éviter le mal à son début.
Il n’y a pas longtemps, j’assistais à la vente des effets d’un diacre, attendu que sa vie n’avait pas été inefficace :
The evil that men do lives after them.(35)
Comme toujours, la friperie dominait, qui avait commencé à s’accumuler du vivant du père. Il y avait dans le tas un ver solitaire desséché. Et voici qu’après être restées un demi-siècle dans son grenier et autres niches à poussière, ces choses n’étaient pas brûlées ; au lieu d’un autodafé ou de leur purifiante destruction, c’était d’une vente à l’encan qu’il s’agissait, ou de leur mise en plus-value. Les voisins s’assemblèrent avec empressement pour les examiner, les achetèrent toutes et soigneusement les transportèrent en leurs greniers et niches à poussière, pour y rester jusqu’au règlement de leurs biens, moment où de nouveau elles se mettront en route. L’homme qui meurt chasse du pied la poussière.
Les coutumes de quelques tribus sauvages pourraient peut-être se voir imitées avec profit par nous ; ainsi lorsque ces tribus accomplissent au moins le simulacre de jeter au rebut annuellement leur dépouille(36). Elles ont l’idée de la chose, qu’elles en aient la réalité ou non. Ne serait-il pas à souhaiter que nous célébrions pareil « busk » ou « fête des prémices », décrite par Bartram comme ayant été la coutume des Indiens Mucclasse ? « Lorsqu’une ville célèbre le busk, » dit-il, « après s’être préalablement pourvus de vêtements neufs, de pots, casseroles et autres ustensiles de ménage et meubles neufs, ses habitants réunissent leurs vêtements hors d’usage et autres saletés, balaient et nettoient leurs maisons, leurs places, la ville entière, de leurs immondices, dont, y compris tout le grain restant et autres vieilles provisions, ils font un tas commun qu’ils consument par le feu. Après avoir pris médecine et jeûné trois jours, on éteint tous les feux de la ville. Durant le jeûne on s’abstient de satisfaire tout appétit, toute passion, quels qu’ils soient. On proclame une amnistie générale ; tous les malfaiteurs peuvent réintégrer leur ville. »
« Le matin du quatrième jour, le grand prêtre, en frottant du bois sec ensemble, produit du feu neuf sur la place publique, d’où chaque habitation de la ville est pourvue de la flamme nouvelle et pure. »
Alors ils se régalent de maïs et de fruits nouveaux, dansent et chantent trois jours, « et les quatre jours suivants ils reçoivent des visites et se réjouissent avec leurs amis venus des villes voisines, lesquels se sont de la même façon purifiés et préparés. »
Les Mexicains aussi pratiquaient semblable purification à la fin de tous les cinquante-deux ans, dans la croyance qu’il était temps pour le monde de prendre fin.
Je ne sais pas de sacrement, c’est-à-dire, selon le dictionnaire, de « signe extérieur et visible d’une grâce intérieure et spirituelle », plus honnête que celui-ci, et je ne doute pas que pour agir de la sorte ils n’aient à l’origine été inspirés directement du Ciel, quoiqu’ils ne possèdent pas de textes bibliques de la révélation.
Pendant plus de cinq ans je m’entretins de la sorte grâce au seul labeur de mes mains, et je m’aperçus qu’en travaillant six semaines environ par an, je pouvais faire face à toutes les dépenses de la vie. La totalité de mes hivers comme la plus grande partie de mes étés, je les eus libres et francs pour l’étude. J’ai bien et dûment essayé de tenir école, mais me suis aperçu que mes dépenses se trouvaient en proportion, ou plutôt en disproportion, de mon revenu, car j’étais obligé de m’habiller et de m’entraîner, sinon de penser et de croire, en conséquence, et que par-dessus le marché je perdais mon temps. Comme je n’enseignais pas pour le bien de mes semblables, mais simplement comme moyen d’existence, c’était une erreur. J’ai essayé du commerce ; mais je m’aperçus qu’il faudrait dix ans pour s’enrouter là-dedans, et qu’alors je serais probablement en route pour aller au diable. Je fus positivement pris de peur à la pensée que je pourrais pendant ce temps-là faire ce qu’on appelle une bonne affaire. Lorsque autrefois je regardais autour de moi en quête de ce que je pourrais bien faire pour vivre, ayant fraîche encore à la mémoire pour me reprocher mon ingénuité telle expérience malheureuse tentée sur les désirs de certains amis, je pensai souvent et sérieusement à cueillir des myrtils ; cela, sûrement, j’étais capable de le faire, et les petits profits en pouvaient suffire, – car mon plus grand talent a été de me contenter de peu, – si peu de capital requis, si peu de distraction de mes habitudes d’esprit, pensai-je follement. Tandis que sans hésiter mes connaissances entraient dans le commerce ou embrassaient les professions, je tins cette occupation pour valoir tout au moins la leur ; courir les montagnes tout l’été pour cueillir les baies qui se trouvaient sur ma route, en disposer après quoi sans souci ; de la sorte, garder les troupeaux d’Admète. Je rêvai aussi de récolter les herbes sauvages, ou de porter des verdures persistantes à ceux des villageois qui aimaient se voir rappeler les bois, même à la ville, plein des charrettes à foin. Mais j’ai appris depuis que le commerce est la malédiction de tout ce à quoi il touche ; et que commerceriez-vous de messages du ciel, l’entière malédiction du commerce s’attacherait à l’affaire.
Comme je préférais certaines choses à d’autres, et faisais particulièrement cas de ma liberté, comme je pouvais vivre à la dure tout en m’en trouvant fort bien, je n’avais nul désir pour le moment de passer mon temps à gagner de riches tapis plus qu’autres beaux meubles, cuisine délicate ni maison de style grec ou gothique. S’il est des gens pour qui ce ne soit pas interruption que d’acquérir ces choses, et qui sachent s’en servir une fois qu’ils les ont acquises, je leur abandonne la poursuite. Certains se montrent « industrieux », et paraissent aimer le labeur pour lui-même, ou peut-être parce qu’il les préserve de faire pis ; à ceux-là je n’ai présentement rien à dire. À ceux qui ne sauraient que faire de plus de loisir que celui dont ils jouissent actuellement, je conseillerais de travailler deux fois plus dur qu’ils ne font, – travailler jusqu’à ce qu’ils paient leur dépense, et obtiennent leur licence. Pour ce qui est de moi je trouvai que la profession de journalier était la plus indépendante de toutes, en ceci principalement qu’elle ne réclamait que trente ou quarante jours de l’année pour vous faire vivre. La journée du journalier prend fin avec le coucher du soleil, et il est alors libre de se consacrer à telle occupation de son choix, indépendante de son labeur ; tandis que son employeur, qui spécule d’un mois sur l’autre, ne connaît de répit d’un bout à l’autre de l’an.
En un mot je suis convaincu, et par la foi et par l’expérience, que s’entretenir ici-bas n’est point une peine, mais un passe-temps, si nous voulons vivre avec simplicité et sagesse ; de même que les occupations des nations plus simples sont encore les sports de celles qui sont plus artificielles.
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