Léon Bailby

Oiseau tranquille au vol inverse oiseau

Qui nidifie en l’air

A la limite où notre sol brille déjà

Baisse ta deuxième paupière la terre t’éblouit

Quand tu lèves la tête

Et moi aussi de près je suis sombre et terne

Une brume qui vient d’obscurcir les lanternes

Une main qui tout à coup se pose devant les yeux

Une voûte entre vous et toutes les lumières

Et je m’éloignerai m’illuminant au milieu d’ombres

Et d’alignements d’yeux des astres bien-aimés

Oiseau tranquille au vol inverse oiseau

Qui nidifie en l’air

A la limite où brille déjà ma mémoire

Baisse ta deuxième paupière

Ni à cause du soleil ni à cause de la terre

Mais pour ce feu oblong dont l’intensité ira s’augmentant

Au point qu’il deviendra un jour l’unique lumière

Un jour

Un jour je m’attendais moi-même

Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes

Pour que je sache enfin celui-là que je suis

Moi qui connais les autres

Je les connais par les cinq sens et quelques autres

Il me suffit de voir leurs pieds pour pouvoir refaire ces gens à milliers

De voir leurs pieds paniques un seul de leurs cheveux

Ou leur langue quand il me plaît de faire le médecin

Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète

Les vaisseaux des armateurs la plume de mes confrères

La monnaie des aveugles les mains des muets

Ou bien encore à cause du vocabulaire et non de l’écriture

Une lettre écrite par ceux qui ont plus de vingt ans

Il me suffit de sentir l’odeur de leurs églises

L’odeur des fleuves dans leurs villes

Le parfum des fleurs dans les jardins publics

O Corneille Agrippa l’odeur d’un petit chien m’eût suffi

Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne

Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline

Qui t’inspirait l’erreur touchant toutes les femmes

Il me suffit de goûter la saveur du laurier qu’on cultive pour que j’aime ou que je bafoue

Et de toucher les vêtements

Pour ne pas douter si l’on est frileux ou non

O gens que je connais

Il me suffit d’entendre le bruit de leurs pas

Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu’ils ont prise

Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit

De ressusciter les autres

Un jour je m’attendais moi-même

Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes

Et d’un lyrique pas s’avançaient ceux que j’aime

Parmi lesquels je n’étais pas

Les géants couverts d’algues passaient dans leurs villes

Sous-marines où les tours seules étaient des îles

Et cette mer avec les clartés de ses profondeurs

Coulait sang de mes veines et fait battre mon cœur

Puis sur terre il venait mille peuplades blanches

Dont chaque homme tenait une rose à la main

Et le langage qu’ils inventaient en chemin

Je l’appris de leur bouche et je le parle encore

Le cortège passait et j’y cherchais mon corps

Tous ceux qui survenaient et n’étaient pas moi-même

Amenaient un à un les morceaux de moi-même

On me bâtit peu à peu comme on élève une tour

Les peuples s’entassaient et je parus moi-même

Qu’ont formé tous les corps et les choses humaines

Temps passés Trépassés Les dieux qui me formâtes

Je ne vis que passant ainsi que vous passâtes

Et détournant mes yeux de ce vide avenir

En moi-même je vois tout le passé grandir

Rien n’est mort que ce qui n’existe pas encore

Près du passé luisant demain est incolore

Il est informe aussi près de ce qui parfait

Présente tout ensemble et l’effort et l’effet

Procession

to Mr. Léon Bailby

Tranquil bird that flies upside down bird

That nests in mid-air

At the limit where our soil is already shining

Lower your second eyelid the earth is dazzling

When you raise your head

And up close I too am dark and dim

A fog that has just shrouded the lanterns

A hand that suddenly covers your eyes

A vault between you and the light

And I will walk away my own light among shadows

Among the lines of eyes of beloved stars

Tranquil bird that flies upside down bird

That nests in mid-air

At the limit where my memory is already shining

Lower your second eyelid

Not from the sun or the earth

But from this oblong fire whose strength will grow so bright

That it will become one day the only light

One day

One day I was waiting for myself

I said to myself Guillaume it’s time for you to come

So that at last I can know the one I am

I who know other people

I know them through the five senses and a few others

All I need is to see their feet and I can recreate these people by the thousands

To see their panicky feet just one of their hairs

Or their tongues when I feel like playing the doctor

Or their children when I feel like playing the prophet

The vessels of ship owners the pens of my colleagues

The coins of the blind the hands of the mute

Or still again by the vocabulary and not the handwriting

A letter written by someone over twenty

All I need is the smell of their churches

The smell of the rivers in their towns

The scent of the flowers in their public gardens

O Cornelius Agrippa the smell of a little dog is all I would have needed

To describe exactly the citizens of your Cologne

Their magus kings and the long line of Ursulines

That inspired your error about all women

Simply the savor of laurel they grow is enough to make me love or scoff

And touching their clothing

Will tell me if someone is timid

O familiar people

All I need is the sound of their footsteps

To tell forever which directions they took

All of this leads me to believe I have the right

To bring other people back to life

One day I was waiting for myself

I said to myself Guillaume it’s time that you came

And with a lyrical step the ones I love came forth

Among whom I was not

Giants covered with algae strode through their towns

Underwater where the towers alone were islands

And that sea with its glimmering depths

Was flowing in my veins and makes my heart beat now

Then on land a thousand white tribes came

Each man with a rose in his hand

And the language they invented on the way

I learned it from their mouths and I speak it still today

The procession passed by and I looked for my body there

Everyone who passed by and was not me

Brought one by one a little piece of me

They built me bit by bit the way you raise a tower

The people assembled and I myself appeared

Formed from all the bodies and other human things

Times past Those who passed away The Gods that formed me

I live only in passing by just as you pass by

And turning away from the empty future

I see in myself the past growing larger

Nothing is dead but that which doesn’t yet exist

Next to the shining past tomorrow is colorless

And formless next to that which perfect

Presents together both the effort and the effect

Le Brasier

A Paul-Napoléon Roinard

J’ai jeté dans le noble feu

Que je transporte et que j’adore

De vives mains et même feu

Ce Passé ces têtes de morts

Flamme je fais ce que tu veux

Le galop soudain des étoiles

N’étant que ce qui deviendra

Se mêle au hennissement mâle

Des centaures dans leurs haras

Et des grand’plaintes végétales

Où sont ces têtes que j’avais

Où est le Dieu de ma jeunesse

L’amour est devenu mauvais

Qu’au brasier les flammes renaissent

Mon âme au soleil se dévêt

Dans la plaine ont poussé des flammes

Nos cœurs pendent aux citronniers

Les têtes coupées qui m’acclament

Et les astres qui ont saigné

Ne sont que des têtes de femmes

Le fleuve épinglé sur la ville

T’y fixe comme un vêtement

Partant à l’amphion docile

Tu subis tous les tons charmants

Qui rendent les pierres agiles

Je flambe dans le brasier à l’ardeur adorable

Et les mains des croyants m’y rejettent multiple innombrablement

Les membres des intercis flambent auprès de moi

Eloignez du brasier les ossements

Je suffis pour l’éternité à entretenir le feu de mes délices

Et des oiseaux protègent de leurs ailes ma face et le soleil

O Mémoire Combien de races qui forlignent

Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur

Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes

Qui étaient immortels et n’étaient pas chanteurs

Voici ma vie renouvelée

De grands vaisseaux passent et repassent

Je trempe une fois encore mes mains dans l’Océan

Voici le paquebot et ma vie renouvelée

Ses flammes sont immenses

Il n’y a plus rien de commun entre moi

Et ceux qui craignent les brûlures

Descendant des hauteurs où pense la lumière

Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles

L’avenir masqué flambe en traversant les cieux

Nous attendons ton bon plaisir ô mon amie

J’ose à peine regarder la divine mascarade

Quand bleuira sur l’horizon la Désirade

Au-delà de notre atmosphère s’élève un théâtre

Que construisit le ver Zamir sans instrument

Puis le soleil revint ensoleiller les places

D’une ville marine apparue contremont

Sur les toits se reposaient les colombes lasses

Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie

A petits pas Il orra le chant du pâtre toute la vie

Là-haut le théâtre est bâti avec le feu solide

Comme les astres dont se nourrit le vide

Et voici le spectacle

Et pour toujours je suis assis dans un fauteuil

Ma tête mes genoux mes coudes vain pentacle

Les flammes ont poussé sur moi comme des feuilles

Des acteurs inhumains claires bêtes nouvelles

Donnent des ordres aux hommes apprivoisés

Terre

O Déchirée que les fleuves ont reprisée

J’aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries

Vouloir savoir pour qu’enfin on m’y dévorât

The Brazier

to Paul-Napoléon Roinard

I threw into the noble fire

That I transport and I adore

Living hands and the expired

Past the heads of people dead

Flame I do as you desire

The stars’ sudden galloping

Being simply that which will become

Blends with the male neighing

Of centaurs put out to stud

And a great vegetal wailing

Where are the heads that I once had

Where is the God of my childhood

Love has now turned bad

Let the brazier’s flames be born again

My soul strips naked in the sun

Flames have grown upon the plains

Our hearts from lemon trees are hung

The severed heads that gave us praise

And the stars that spurted blood

Are nothing more than women’s heads

The river pinned upon the town

Fixes you like the clothes you own

So as if made docile by Amphion

You undergo enchanting tones

That lend movement to stones

I flame in the brazier’s adorable heat

And the hands of believers push me back again and again

The limbs of intercessors flame next to me

Take the bones far away from the brazier

I suffice to tend the fire of my delight forever

And birds protect my face and the sun with their wings

O Memory How many races decline

From the Tyndarides to the hot vipers of my happiness

And serpents are just the necks of swans

That used to be immortal and didn’t sing

Here is my renovated life

Large vessels pass by and pass by again

Once more I plunge my hands into the Ocean

Here is the steamship and my renovated life

Its flames are immense

No longer is there anything in common between me

And those afraid of getting burned

Descending from the heights where light thinks

Gardens wheeling higher than all the moving skies

The masked future goes flaming across the sky

We await your good pleasure O my lady friend

I barely dare to gaze upon the divine masquerade

When on the blue horizon will we see our Désirade

A theater rises beyond our atmosphere

It was built without tools by the worm Zamir

Then the sun came back to brighten the squares

Of a seaside town below the hilltops’ crest

On the rooftops the tired doves came to rest

And the flock of sphinxes returns to the sphinxery

With little steps He’ll hear the pastor’s song forever more

Up there the theater is built with solid fire

Like the stars the emptiness devours

And here is the spectacle

And I’m forever sitting in a theater seat

My head my knees my elbows a vain pentacle

The flames have grown on me like leaves

Inhuman actors bright new beasts

Issue commands to tamed men

O Torn Apart Earth the rivers have mended

I would prefer day and night in the sphinxeries

Wanting to know and thus at last be devoured there

Les Colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne

Les vaches y paissant

Lentement s’empoisonnent

Le colchique couleur de cerne et de lilas

Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là

Violâtres comme leur cerne et comme cet automne

Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas

Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica

Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères

Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières

Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement

Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent

Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne

The Autumn Crocuses

The meadow is poisonous but pretty in autumn

The cows in it grazing

Slowly are poisoned

The crocus that’s colored like a bruise and a lilac

Blooms there your eyes and that flower are alike

Violet like its bruise and this autumn

And my life for your eyes is slowly taking poison

The children from school arrive with a fracas

Dressed in their smocks and playing harmonicas

They gather the crocus which are like mothers

Daughters of their daughters and the color of your eyelids

That flutter like flowers in the crazy wind

The cowherd sings in a very quiet tone

While slowly and lowing the cows all abandon

Forever this meadow badly flowered by the autumn

Les Femmes

Dans la maison du vigneron les femmes cousent

Lenchen remplis le poêle et mets l’eau du café

Dessus—Le chat s’étire après s’être chauffé

—Gertrude et son voisin Martin enfin s’épousent

Le rossignol aveugle essaya de chanter

Mais l’effraie ululant il trembla dans sa cage

Ce cyprès là-bas a l’air du pape en voyage

Sous la neige—Le facteur vient de s’arrêter

Pour causer avec le nouveau maître d’école

—Cet hiver est très froid le vin sera très bon

—Le sacristain sourd et boiteux est moribond

—La fille du vieux bourgmestre brode une étole

Pour la fête du curé La forêt là-bas

Grâce au vent chantait à voix grave de grand orgue

Le songe Herr Traum survint avec sa sœur Frau Sorge

Kaethi tu n’as pas bien raccommodé ces bas

—Apporte le café le beurre et les tartines

La marmelade le saindoux un pot de lait

—Encore un peu de café Lenchen s’il te plaît

—On dirait que le vent dit des phrases latines

—Encore un peu de café Lenchen s’il te plaît

—Lotte es-tu triste O petit cœur—Je crois qu’elle aime

—Dieu garde—Pour ma part je n’aime que moi-même

—Chut A présent grand-mère dit son chapelet

—Il me faut du sucre candi Leni je tousse

—Pierre mène son furet chasser les lapins

Le vent faisait danser en rond tous les sapins

Lotte l’amour rend triste—Ilse la vie est douce

La nuit tombait Les vignobles aux ceps tordus

Devenaient dans l’obscurité des ossuaires

En neige et repliés gisaient là des suaires

Et des chiens aboyaient aux passants morfondus

Il est mort écoutez La cloche de l’église

Sonnait tout doucement la mort du sacristain

Lise il faut attiser le poêle qui s’éteint

Les femmes se signaient dans la nuit indécise

Septembre 1901–mai 1902

The Women

In the vintner’s house the women sewed away

“Lenchen, load the stove and put the kettle on”

“The cat’s stretching out she’s warm”

“Gertrude and her neighbor Martin are finally engaged”

No song from the blind nightingale it was too on edge

The owl’s hooting made it tremble in its cage

“That cypress out there looks like the Pope

Traveling in the snow” “Watch the mailman stop

At the new schoolteacher’s for a chat”

“This winter’s been so cold the wine will be very good”

“The deaf and gimpy sexton’s almost dead”

“The old mayor’s girl is embroidering a hat

For the priest’s day” The wind in the forest out

There was singing like an organ with a deep voice about

A dream Herr Traum arrived with his sister Frau Sorge

“Katie these stockings are not very good work”

“Bring us the coffee the butter the marmalade

The lard a pitcher of milk and the bread”

“May I please have a bit more coffee Lenchen”

“It sounds like the wind is speaking Latin”

“A little more coffee Lenchen please”

“Lotte are you sad O dear heart” “It may be

She’s in love” “God forbid” “Me I love only me”

“Shush I hear Grandma’s Hail Marys”

“I need a sugar cube for my cough Leni”

“Pierre hunts rabbits with his ferret”

The firs were dancing around in the wind

“Lotte love brings sadness” “Ilse life is sweet”

Night was falling The vines twisted and bare

In the dark were turning into an ossuary

Folded in snow and winding sheets out there

And dogs were barking at shivering passersby

“Listen he’s dead” The church belltower

Tolled softly for the sexton in the quiet

“Leni it’s going out poke the fire”

The women crossed themselves in the uncertain night

September 1901–May 1902

Vendémiaire

Hommes de l’avenir souvenez-vous de moi

Je vivais à l’époque où finissaient les rois

Tour à tour ils mouraient silencieux et tristes

Et trois fois courageux devenaient trismégistes

Que Paris était beau à la fin de septembre

Chaque nuit devenait une vigne où les pampres

Répandaient leur clarté sur la ville et là-haut

Astres mûrs becquetés par les ivres oiseaux

De ma gloire attendaient la vendange de l’aube

Un soir passant le long des quais déserts et sombres

En rentrant à Auteuil j’entendis une voix

Qui chantait gravement se taisant quelquefois

Pour que parvînt aussi sur les bords de la Seine

La plainte d’autres voix limpides et lointaines

Et j’écoutai longtemps tous ces chants et ces cris

Qu’éveillait dans la nuit la chanson de Paris

J’ai soif villes de France et d’Europe et du monde

Venez toutes couler dans ma gorge profonde

Je vis alors que déjà ivre dans la vigne Paris

Vendangeait le raisin le plus doux de la terre

Ces grains miraculeux qui aux treilles chantèrent

Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes

Nous voici ô Paris Nos maisons nos habitants

Ces grappes de nos sens qu’enfanta le soleil

Se sacrifient pour te désaltérer trop avide merveille

Nous t’apportons tous les cerveaux les cimetières les murailles

Ces berceaux pleins de cris que tu n’entendras pas

Et d’amont en aval nos pensées ô rivières

Les oreilles des écoles et nos mains rapprochées

Aux doigts allongés nos mains les clochers

Et nous t’apportons aussi cette souple raison

Que le mystère clôt comme une porte la maison

Ce mystère courtois de la galanterie

Ce mystère fatal fatal d’une autre vie

Double raison qui est au-delà de la beauté

Et que la Grèce n’a pas connue ni l’Orient

Double raison de la Bretagne où lame à lame

L’océan châtre peu à peu l’ancien continent

Et les villes du Nord répondirent gaiement

O Paris nous voici boissons vivantes

Les viriles cités où dégoisent et chantent

Les métalliques saints de nos saintes usines

Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées

Comme fit autrefois l’Ixion mécanique

Et nos mains innombrables

Usines manufactures fabriques mains

Où les ouvriers nus semblables à nos doigts

Fabriquent du réel à tant par heure

Nous te donnons tout cela

Et Lyon répondit tandis que les anges de Fourvières

Tissaient un ciel nouveau avec la soie des prières

Désaltère-toi Paris avec les divines paroles

Que mes lèvres le Rhône et la Saône murmurent

Toujours le même culte de sa mort renaissant

Divise ici les saints et fait pleuvoir le sang

Heureuse pluie ô gouttes tièdes ô douleur

Un enfant regarde les fenêtres s’ouvrir

Et des grappes de têtes à d’ivres oiseaux s’offrir

Les villes du Midi répondirent alors

Noble Paris seule raison qui vis encore

Qui fixes notre humeur selon ta destinée

Et toi qui te retires Méditerranée

Partagez-vous nos corps comme on rompt des hosties

Ces très hautes amours et leur danse orpheline

Deviendront ô Paris le vin pur que tu aimes

Et un râle infini qui venait de Sicile

Signifiait en battement d’ailes ces paroles

Les raisins de nos vignes on les a vendangés

Et ces grappes de morts dont les grains allongés

Ont la saveur du sang de la terre et du sel

Les voici pour ta soif ô Paris sous le ciel

Obscurci de nuées faméliques

Que caresse Ixion le créateur oblique

Et où naissent sur la mer tous les corbeaux d’Afrique

O raisins Et ces yeux ternes et en famille

L’avenir et la vie dans ces treilles s’ennuyent

Mais où est le regard lumineux des sirènes

Il trompa les marins qu’aimaient ces oiseaux-là

Il ne tournera plus sur l’écueil de Scylla

Où chantaient les trois voix suaves et sereines

Le détroit tout à coup avait changé de face

Visages de la chair de l’onde de tout

Ce que l’on peut imaginer

Vous n’êtes que des masques sur des faces masquées

Il souriait jeune nageur entre les rives

Et les noyés flottant sur son onde nouvelle

Fuyaient en le suivant les chanteuses plaintives

Elles dirent adieu au gouffre et à l’écueil

A leurs pâles époux couchés sur les terrasses

Puis ayant pris leur vol vers le brûlant soleil

Les suivirent dans l’onde où s’enfoncent les astres

Lorsque la nuit revint couverte d’yeux ouverts

Errer au site où l’hydre a sifflé cet hiver

Et j’entendis soudain ta voix impérieuse

O Rome

Maudire d’un seul coup mes anciennes pensées

Et le ciel où l’amour guide les destinées

Les feuillards repoussés sur l’arbre de la croix

Et même la fleur de lys qui meurt au Vatican

Macèrent dans le vin que je t’offre et qui a

La saveur du sang pur de celui qui connaît

Une autre liberté végétale dont tu

Ne sais pas que c’est elle la suprême vertu

Une couronne du trirègne est tombée sur les dalles

Les hiérarques la foulent sous leurs sandales

O splendeur démocratique qui pâlit

Vienne la nuit royale où l’on tuera les bêtes

La louve avec l’agneau l’aigle avec la colombe

Une foule de rois ennemis et cruels

Ayant soif comme toi dans la vigne éternelle

Sortiront de la terre et viendront dans les airs

Pour boire de mon vin par deux fois millénaire

La Moselle et le Rhin se joignent en silence

C’est l’Europe qui prie nuit et jour à Coblence

Et moi qui m’attardais sur le quai à Auteuil

Quand les heures tombaient parfois comme les feuilles

Du cep lorsqu’il est temps j’entendis la prière

Qui joignait la limpidité de ces rivières

O Paris le vin de ton pays est meilleur que celui

Qui pousse sur nos bords mais aux pampres du nord

Tous les grains ont mûri pour cette soif terrible

Mes grappes d’hommes forts saignent dans le pressoir

Tu boiras à longs traits tout le sang de l’Europe

Parce que tu es beau et que seul tu es noble

Parce que c’est dans toi que Dieu peut devenir

Et tous mes vignerons dans ces belles maisons

Qui reflètent le soir leurs feux dans nos deux eaux

Dans ces belles maisons nettement blanches et noires

Sans savoir que tu es la réalité chantent ta gloire

Mais nous liquides mains jointes pour la prière

Nous menons vers le sel les eaux aventurières

Et la ville entre nous comme entre des ciseaux

Ne reflète en dormant nul feu dans ses deux eaux

Dont quelque sifflement lointain parfois s’élance

Troublant dans leur sommeil les filles de Coblence

Les villes répondaient maintenant par centaines

Je ne distinguais plus leurs paroles lointaines

Et Trèves la ville ancienne

A leur voix mêlait la sienne

L’univers tout entier concentré dans ce vin

Qui contenait les mers les animaux les plantes

Les cités les destins et les astres qui chantent

Les hommes à genoux sur la rive du ciel

Et le docile fer notre bon compagnon

Le feu qu’il faut aimer comme on s’aime soi-même

Tous les fiers trépassés qui sont un sous mon front

L’éclair qui luit ainsi qu’une pensée naissante

Tous les noms six par six les nombres un à un

Des kilos de papier tordus comme des flammes

Et ceux-là qui sauront blanchir nos ossements

Les bons vers immortels qui s’ennuient patiemment

Des armées rangées en bataille

Des forêts de crucifix et mes demeures lacustres

Au bord des yeux de celle que j’aime tant

Les fleurs qui s’écrient hors de bouches

Et tout ce que je ne sais pas dire

Tout ce que je ne connaîtrai jamais

Tout cela tout cela changé en ce vin pur

Dont Paris avait soif

Me fut alors présenté

Actions belles journées sommeils terribles

Végétation Accouplements musiques éternelles

Mouvements Adorations douleur divine

Mondes qui vous ressemblez et qui nous ressemblez

Je vous ai bus et ne fus pas désaltéré

Mais je connus dès lors quelle saveur a l’univers

Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers

Sur le quai d’où je voyais l’onde couler et dormir les bélandres

Écoutez-moi je suis le gosier de Paris

Et je boirai encore s’il me plaît l’univers

Écoutez mes chants d’universelle ivrognerie

Et la nuit de septembre s’achevait lentement

Les feux rouges des ponts s’éteignaient dans la Seine

Les étoiles mouraient le jour naissait à peine

Vendémiaire

Men of the future remember my living

At a time when kingship was dying

One by one they died silent and sad

And became trismegists by the courage they showed

At the end of September with Paris so beautiful

Each night was a grapevine luscious and full

Spreading its light on the town and up high

The drunken birds of my glory pecked in the sky

At ripe stars awaiting the harvest of first light

One evening as I walked along the dark deserted quays

On my way back to Auteuil I heard a singing

A deep voice that sometimes fell silent

And I also heard voices down along the Seine

From far away in crystal clear laments

For a long time I listened to those songs and those cries

Awakened in the night by the romance of Paris

You towns of France and Europe and the world come flow

Into the thirsty chasm of my throat

Then I saw Paris already drunk among the vines

Harvesting the earth’s sweetest fruit

Those miraculous grapes that sang as they grew

And Rennes replied with Quimper and with Vannes

Here we are Paris Our people our houses

The clusters of our senses that the sun brought out

Give themselves up for your thirst O you greedy marvel

We bring you all the brains the cemeteries the garden walls

These cradles filled with cries that you will never hear

From upstream flowing down our thoughts O rivers

The ears of our schools and our hands at their apogee

With fingers straight up our hands make a belfry

And we bring you also our supple reason

Which mystery closes like the door to a dungeon

The courtly mystery of amorous gallantry

The fatal mystery fatal in another life

Double reason that goes far beyond beauty

And which neither Greece nor the East ever knew

The double reason of Brittany where bit by bit

The ocean waves cut off the ancient continent

And the northern towns answered merrily

O Paris here we are now like a living drink

The manly cities where the metal saints

Of our saintly factories chatter and sing

Our chimneys in the sky impregnate the clouds

As Ixion did long long ago

Factories mills workshops and hands

Where naked workers are like fingers

Making the real at so much per hour

We give you all that

And Lyons replied while the angels of Fourvière

Wove a new sky with silk made of prayer

Quench your thirst Paris with the divine words

My lips the Rhône and the Saône are murmuring

Always the same creed of his death born again

Divides here the saints and makes blood rain down

Happy rain O grief O warm drops

A child watches the windows as they open up

And to the drunken birds clustered heads are offered up

The towns of the Midi answered then

Noble Paris the only reason that still lives

Who determines our mood by your destiny

And you who pull back O Mediterranean Sea

Share our bodies like the Host broken in half

These very high loves and their orphan dance

Will turn into the pure wine O Paris that you love

And an infinite rattling coming from Sicily

Expressed in a flapping of wings these words

The grapes from our vineyards are harvested now

And these bunches of the dead whose elongated fruit

Taste of blood and of earth and of salt

Here they are O Paris for your thirst beneath a sky

Darkened by clouds that are famished

The ones the oblique creator Ixion caressed

And where African crows are born out at sea

O grapes And these dull and familial eyes

The future and life itself grow tired on these vines

But where are the sirens’ luminous glances

That tricked the sailors who loved those little flocks

Whose eyes sweep no more across Scylla’s rocks

Where once sang their sweet gentle voices

All at once the strait had changed its look

Faces of flesh of the water of everything

One could imagine in that place

Had turned into a mask on a masked face

He smiled the young man swimming the strait

And the drowned sailors floating on his new wave

Followed his flight from the singers of grief

Who said farewell to the gulf and the reef

To their pale lovers stretched out on the cliffs

Then flying up toward the broiling sun

Followed them down through the wave where stars plunge

When night with open eyes returned to wander

Where the Hydra hissed this past winter

And suddenly I hear your imperious voice

O Rome

Condemn in one stroke my previous thoughts

And the sky where love guides our fates

The hoopwood that grew back on the tree of the cross

And the fleur de lys in the Vatican now dying

Macerate in the wine I offer you and which

Tastes like the pure blood of the one who knew

Another plantlike liberty which you

Don’t know is the highest virtue

A pope’s triple crown has fallen to the marble floor

The hierarchs trample it and kick it out the door

O democratic splendor that grows pale

Let the royal night arrive when the beasts will all be slain

The wolf with the lamb the eagle with the dove

A host of cruel kings ready for warfare

With a thirst like yours for the eternal voice

Will rise from the earth and fly through the air

To drink of my wine aged for two thousand years

The Moselle and the Rhine come together in silence

It’s Europe in prayer night and day in Coblenz

And I who lingered on the quay in Auteuil

When the hours from time to time slowly fell

Like leaves from the vine I then heard the prayer

That joined with the two limpid rivers there

O Paris your wine is better than the one

That grows on our banks but on the northern vine

All the fruit has ripened for this terrible thirst

My bunches of strong men bleed in the wine-press

You’ll take great gulps of all of Europe’s blood

Because you are beautiful and you alone are noble

Because it is in you that God can be manifest

And all my vintners in these fine houses

Whose lights at night shine in our two rivers

In these fine houses sharply black and white

Not knowing you are the real reality they sing your glory

While with our liquid hands joined in prayer

We lead toward the salt these venturesome waters

And the city between us as if between scissors

Reflects as it sleeps no lights in the rivers

Whose occasional hissing in the far distance

Troubles the sleep of the girls of Coblenz

Now the towns were replying by the hundreds

I couldn’t make out what their distant words said

And Trèves the ancient town

With their voices mixed its own

The entire universe concentrated in this wine

Containing the animals the plants the seas everything

The cities the fates and the stars that sing

The men on their knees at the edge of the sky

And tractible iron our good companion

And fire we should love as we love ourselves

All the proud dead who are one beneath my brow

Lightning that flashes like a nascent idea

All the names six by six the numbers one by one

Pounds and pounds of paper twisted like flames

And the ones that will bleach our bones

The immortal worms that patiently grow weary

Crucifix forests and my lacustrine dwellings

At the rims of the eyes of the woman I love

The flowers that cry out without using mouths

And everything I don’t know how to say

Everything I’ll never understand

All of it all was changed into this pure wine

That Paris thirsted for

It was offered to me it was mine

Actions beautiful days nights of terrible sleep

Vegetation Couplings musics eternal

Movements Adorations heavenly grief

Worlds you who look like you and look like us

I drank you and still felt a thirst

But I knew right then the flavor of the world

I am drunk from drinking the entire world

On the quay where I watched the water flow and the barges sleep

Listen to me I’m the throat of Paris

And if I want I’ll drink the universe again

Listen to my songs of universal drunkeness

The September night was slowly coming to an end

The red lights on the bridges were extinguished in the Seine

The stars were dying the day just barely born

Hôtel

Ma chambre a la forme d’une cage

Le soleil passe son bras par la fenêtre

Mais moi qui veux fumer pour faire des mirages

J’allume au feu du jour ma cigarette

Je ne veux pas travailler je veux fumer

Hotel

My room looks like a cage

The sun sticks its arm through the window

But I who want to smoke and make mirages

I light my cigarette with daylight

I don’t want to work I want to smoke

Avant le cinéma

Et puis ce soir on s’en ira

Au cinéma

Les Artistes que sont-ce donc

Ce ne sont plus ceux qui cultivent les Beaux-Arts

Ce ne sont pas ceux qui s’occupent de l’Art

Art poétique ou bien musique

Les Artistes ce sont les acteurs et les actrices

Si nous étions des Artistes

Nous ne dirions pas le cinéma

Nous dirions le ciné

Mais si nous étions de vieux professeurs de province

Nous ne dirions ni ciné ni cinéma

Mais cinématographe

Aussi mon Dieu faut-il avoir du goût

Before the Movies

And so tonight

We’ll go out

Artists so who are they

Now they don’t study the Fine Arts

Now they don’t bother with Art

The art of poetry or even music

The Artists are actors and actresses

If we were Artists

We wouldn’t say movie

We’d say film

And if we were provincial old professors

We wouldn’t say movie or film

We’d say motion picture

So hey you have to have taste

Voyage à Paris

Ah! la charmante chose

Quitter un pays morose

Pour Paris

Paris joli

Qu’un jour

Dut créer l’Amour

Ah! la charmante chose

Quitter un pays morose

Pour Paris

Trip to Paris

Ah! it’s really nice

To leave a gloomy place

For Paris

Pretty Paris

That Cupid one day

Must have made this way

Ah! it’s really nice

To leave a gloomy place

For Paris

Réclame pour la maison Walk-Over

Air connu

Il flotte dans mes bottes

Comme il pleut sur la ville

Au diable cette flotte

Qui pénètre mes bottes!

O vain tout parapluie

Fût-il grand comme un toit,

Pour de mauvais ribouis,

O le vain parapluie

Je n’eus pas la raison

D’aller à <<Walk over>>

Là, point de trahison!...

Je n’eus point de raison!...

C’est bien la pire empeigne

Qu’on vend hors de chez toi

<<Walk over>>, noble enseigne,

Mes pieds ont tant de peine!

Advertisement for the House of Walk-Over

on a well-known tune

It’s sloshing my galoshes

As it rains on the town

To hell with these sloshes

That penetrate my galoshes

O umbrellas in vain

Even big as a roof

Bad shoes in the rain

O umbrellas in vain

What a mistake

To shop at Walk-Over

And walk in this lake

What a mistake!

I now know that you

Fine name of Walk-Over

Sell the best boot

For torturing the foot!

A

             Adnil

             Danil

             Nadil

             Nalid      Alnid

             Dilan      Aldin

             Lanid      Ildan

Linda    Landi    

Ilnda     Naldi

Nilda    Dalni

Indla

Indal

Lnida

Lndia

Lndai

Lidna

Lidan

To

             Adnil

             Danil

             Nadil

             Nalid      Alnid

             Dilan      Aldin

             Lanid      Ildan

Linda    Landi    

Ilnda     Naldi

Nilda    Dalni

Indla

Indal

Lnida

Lndia

Lndai

Lidna

Lidan

Le Musicien de Saint-Merry

J’ai enfin le droit de saluer des êtres que je ne connais pas

Ils passent devant moi et s’accumulent au loin

Tandis que tout ce que j’en vois m’est inconnu

Et leur espoir n’est pas moins fort que le mien

Je ne chante pas ce monde ni les autres astres

Je chante toutes les possibilités de moi-même hors de ce monde et des astres

Je chante la joie d’errer et le plaisir d’en mourir

Le 21 du mois de mai 1913

Passeur des morts et les mordonnantes mériennes

Des millions de mouches éventaient une splendeur

Quand un homme sans yeux sans nez et sans oreilles

Quittant le Sébasto entra dans la rue Aubry-le-Boucher

Jeune l’homme était brun et ce couleur de fraise sur les joues

Homme Ah! Ariane

Il jouait de la flûte et la musique dirigeait ses pas

Il s’arrêta au coin de la rue Saint-Martin

Jouant l’air que je chante et que j’ai inventé

Les femmes qui passaient s’arrêtaient près de lui

Il en venait de toutes parts

Lorsque tout à coup les cloches de Saint-Merry se mirent à sonner

Le musicien cessa de jouer et but à la fontaine

Qui se trouve au coin de la rue Simon-le-Franc

Puis Saint-Merry se tut

L’inconnu reprit son air de flûte

Et revenant sur ses pas marcha jusqu’à la rue de la Verrerie

Où il entra suivi par la troupe des femmes

Qui sortaient des maisons

Qui venaient par les rues traversières les yeux fous

Les mains tendues vers le mélodieux ravisseur

Il s’en allait indifférent jouant son air

Il s’en allait terriblement

Puis ailleurs

A quelle heure un train partira-t-il pour Paris

A ce moment

Les pigeons des Moluques fientaient des noix muscades

En même temps

Mission catholique de Bôma qu’as-tu fait du sculpteur

Ailleurs

Elle traverse un pont qui relie Bonn à Beuel et disparaît à travers Pützchen

Au même instant

Une jeune fille amoureuse du maire

Dans un autre quartier

Rivalise donc poète avec les étiquettes des parfumeurs

En somme ô rieurs vous n’avez pas tiré grand-chose des hommes

Et à peine avez-vous extrait un peu de graisse de leur misère

Mais nous qui mourons de vivre loin l’un de l’autre

Tendons nos bras et sur ces rails roule un long train de marchandises

Tu pleurais assise près de moi au fond d’un fiacre

Et maintenant

Tu me ressembles tu me ressembles malheureusement

Nous nous ressemblons comme dans l’architecture du siècle dernier

Ces hautes cheminées pareilles à des tours

Nous allons plus haut maintenant et ne touchons plus le sol

Et tandis que le monde vivait et variait

Le cortège des femmes long comme un jour sans pain

Suivait dans la rue de la Verrerie l’heureux musicien

Cortèges ô cortèges

C’est quand jadis le roi s’en allait à Vincennes

Quand les ambassadeurs arrivaient à Paris

Quand le maigre Suger se hâtait vers la Seine

Quand l’émeute mourait autour de Saint-Merry

Cortèges ô cortèges

Les femmes débordaient tant leur nombre était grand

Dans toutes les rues avoisinantes

Et se hâtaient raides comme balle

Afin de suivre le musicien

Ah! Ariane et toi Pâquette et toi Amine

Et toi Mia et toi Simone et toi Mavise

Et toi Colette et toi la belle Geneviève

Elles ont passé tremblantes et vaines

Et leurs pas légers et prestes se mouvaient selon la cadence

De la musique pastorale qui guidait

Leurs oreilles avides

L’inconnu s’arrêta un moment devant une maison à vendre

Maison abandonnée

Aux vitres brisées

C’est un logis du seizième siècle

La cour sert de remise à des voitures de livraisons

C’est là qu’entra le musicien

Sa musique qui s’éloignait devint langoureuse

Les femmes le suivirent dans la maison abandonnée

Et toutes y entrèrent confondues en bande

Toutes toutes y entrèrent sans regarder derrière elles

Sans regretter ce qu’elles ont laissé

Ce qu’elles ont abandonné

Sans regretter le jour la vie et la mémoire

Il ne resta bientôt plus personne dans la rue de la Verrerie

Sinon moi-même et un prêtre de Saint-Merry

Nous entrâmes dans la vieille maison

Mais nous n’y trouvâmes personne

Voici le soir

A Saint-Merry c’est l’Angélus qui sonne

Cortèges ô cortèges

C’est quand jadis le roi revenait de Vincennes

Il vint une troupe de casquettiers

Il vint des marchands de bananes

Il vint des soldats de la garde républicaine

O nuit

Troupeau de regards langoureux des femmes

O nuit

Toi ma douleur et mon attente vaine

J’entends mourir le son d’une flûte lointaine

The Musician of Saint-Merri

I finally have the right to greet these beings I do not know

They pass by in front of me and gather far away

While everything about them is strange to me

And their hope is just as strong as mine is now

I do not sing this world and the other stars

I sing all the possibilities of myself beyond this world and the stars

I sing the joy of wandering and the pleasure of dying of it

On the 21st day of the month of May 1913

Ferryman of the dead and the death-humming Merriennes

Millions of flies fanned out a splendor

When a man with no eyes no nose and no ears

Walked down Sébasto and turned onto the rue Aubry-le-Boucher

The young man had brown hair and his cheeks were as red as strawberries

Man Ah! Ariadne

He was playing a flute whose music guided his steps

He stopped at the corner of the rue Saint-Martin

Playing the tune that I sing and that I made up

The women in the street came up to him

From every direction

When suddenly the bells of Saint-Merri began to chime

The musician quit playing and drank from the fountain

The one at the corner of the rue Simon-le-Franc

Then Saint-Merri fell silent

The unknown man began the tune again

Retracing his steps to the rue de la Verrerie

Where he turned and was followed by the flock of women

Who came out of houses

Who came from the side streets their eyes wild

Hands stretched out toward the melodious ravisher

He went along casually playing his tune

He went along dreadfully

Then elsewhere

What time does the train leave for Paris

At that moment

The pigeons in the Moluccas were defecating nutmeg

At the same time

Catholic mission in Boma what have you done with the sculptor

Elsewhere

She crosses a bridge that links Bonn to Beuel and disappears into Pützchen

At that very instant

A girl in love with the mayor

In another neighborhood

So poet you should compete with the labels on perfume bottles

All in all O you scoffers you have not taken very much from people

You have barely extracted just a little fat from their poverty

But we who are dying from living far from one another

Hold out our arms and on these rails a long train rolls along loaded with goods

You sat next to me and wept in the back of the cab

And now

You look like me you look like me unfortunately

We are alike as in the architecture of the past century

Those tall chimneys like towers

We go higher now and no longer touch the ground

And while everyone was living and changing

The procession of women as long as a day without bread

Followed the happy musician down the rue de la Verrerie

Processions O processions

It’s when the king went away to Vincennes back then

When the ambassadors were arriving in Paris

When thin Suger was hastening toward the Seine

When the uprising was dying down around Saint-Merri

Processions O processions

The women spilled over so great was their number

Into all the neighboring streets

And hurried like mad

To keep up with the musician

Ah! Ariadne and you Paquette and you Amine

And you Mia and you Simone and you Mavize

And you Colette and you beautiful Genevieve

They went trembling past and airily empty

And their light and nimble steps moved with the measure

Of the pastoral music that led along

Their eager ears

The unknown man paused at a building for sale

An abandoned building

With broken windows

It’s a sixteenth-century lodging

Whose courtyard serves as a parking lot for delivery vans

This is where the musician went in

His music became languorous as it started to fade

The women followed him into the abandoned building

All intermingled in this company

Every last one went in without looking back

Without regretting what they left behind

What they abandoned

Without ruing the day or their lives or their memories

Soon there was no one left on the rue de la Verrerie

Except me and a priest from Saint-Merri

We entered the old house

But found no one there

Now evening is here

From Saint-Merri the Angelus chimes

Processions O processions

It’s when the king came back from Vincennes back then

A troop of cap makers came

Some banana dealers came

Soldiers in the Republican Guard came

O night

Flock of languorous faces of women

O night

You my grief and my waiting in vain

I hear the sound of a flute dying far away

Les Fenêtres

Du rouge au vert tout le jaune se meurt

Quand chantent les aras dans les forêts natales

Abatis de pihis

Il y a un poème à faire sur l’oiseau qui n’a qu’une aile

Nous l’enverrons en message téléphonique

Traumatisme géant

Il fait couler les yeux

Voilà une jolie jeune fille parmi les jeunes Turinaises

Le pauvre jeune homme se mouchait dans sa cravate blanche

Tu soulèveras le rideau

Et maintenant voilà que s’ouvre la fenêtre

Araignées quand les mains tissaient la lumière

Beauté pâleur insondables violets

Nous tenterons en vain de prendre du repos

On commencera à minuit

Quand on a le temps on a la liberté

Bigorneaux Lotte multiples Soleils et l’Oursin du couchant

Une vieille paire de chaussures jaunes devant la fenêtre

Tours

Les Tours ce sont les rues

Puits

Puits ce sont les places

Puits

Arbres creux qui abritent les Câpresses vagabondes

Les Chabins chantent des airs à mourir

Aux Chabines marronnes

Et l’oie oua-oua trompette au nord

Où les chasseurs de ratons

Raclent les pelleteries

Étincelant diamant

Vancouver

Où le train blanc de neige et de feux nocturnes fuit l’hiver

O Paris

Du rouge au vert tout le jaune se meurt

Paris Vancouver Hyères Maintenon New-York et les Antilles

La fenêtre s’ouvre comme une orange

Le beau fruit de la lumière

The Windows

From red to green all the yellow dies

When the macaws sing in their native forests

Pihi giblets

There’s a poem to be made about this bird that has only one wing

We’ll send it in a telegram

Giant traumatism

It makes your eyes water

Look there’s a pretty girl among the young girls from Turin

The poor young man blew his nose on his white tie

You will peep out from under the curtain

And now look the window is opening

Spiders when hands wove the light

Beauty paleness unfathomable violet tints

We’ll try to rest but won’t be able to

It will start at midnight

When you have time you are free

Periwinkles Monkfish multiple Sunflowers and the Sea Urchin of the sun going down

An old pair of yellow shoes in front of the window

Towers

The towers are the streets

Wells

Wells they’re the squares

Wells

Hollow trees that shelter vagabond Quadroons

The Octoroons sing endlessly

To their maroon women

And the wa wa goose trumpets in the north

Where raccoon hunters

Are scraping their pelts

Twinkling diamond

Vancouver

Where the train white with snow and night lights flees from winter

O Paris

From red to green all the yellow dies

Paris Vancouver Old Port Newport New York and the Antilles

The window is opening like an orange

The beautiful fruit of light

Arbre

A Frédéric Boutet

Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes galopent

Où sont les aveugles où s’en sont-ils allés

La seule feuille que j’aie cueillie s’est changée en plusieurs mirages

Ne m’abandonnez pas parmi cette foule de femmes au marché

Ispahan s’est fait un ciel de carreaux émaillés de bleu

Et je remonte avec vous une route aux environs de Lyon

Je n’ai pas oublié le son de la clochette d’un marchand de coco d’autrefois

J’entends déjà le son aigre de cette voix à venir

Du camarade qui se promènera avec toi en Europe

Tout en restant en Amérique

Un enfant

Un veau dépouillé pendu à l’étal

Un enfant

Et cette banlieue de sable autour d’une pauvre ville au fond de l’est

Un douanier se tenait là comme un ange

A la porte d’un misérable paradis

Et ce voyageur épileptique écumait dans la salle d’attente des premières

Engoulevent Blaireau

Et la Taupe-Ariane

Nous avions loué deux coupés dans le transsibérien

Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et moi

Mais celui qui veillait ne cachait point un revolver armé

Tu t’es promené à Leipzig avec une femme mince déguisée en homme

Intelligence car voilà ce que c’est qu’une femme intelligente

Et il ne faudrait pas oublier les légendes

Dame-Abonde dans un tramway la nuit au fond d’un quartier désert

Je voyais une chasse tandis que je montais

Et l’ascenseur s’arrêtait à chaque étage

Entre les pierres

Entre les vêtements multicolores de la vitrine

Entre les charbons ardents du marchand de marrons

Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen

Il y a ton image

Elle pousse entre les bouleaux de la Finlande

Ce beau nègre en acier

La plus grande tristesse

C’est quand tu reçus une carte postale de La Corogne

Le vent vient du couchant

Le métal des caroubiers

Tout est plus triste qu’autrefois

Tous les dieux terrestres vieillissent

L’univers se plaint par ta voix

Et des êtres nouveaux surgissent

Trois par trois

Tree

to Frédéric Boutet

You sing with the others as the phonographs gallop along

Where are the blind ones where have they gone

The one leaf I picked turned into several mirages

Don’t leave me in that crowd of women in the market

Isfahan made a sky of blue enamel tiles

And with you I go back up a road outside Lyons

I haven’t forgotten the sound of the bell on the licorice water cart back then

I already hear the sharp sound of that future voice

Of the buddy who will walk with you in Europe

While staying in America

A child

A skinned calf hanging in the butcher shop

A child

And that sandy area outside a poor town far away in the east

A customs inspector was standing there like an angel

At the gate of a wretched paradise

And that epileptic traveler was foaming in the first-class waiting room

Whippoorwill Badger

And the Mole-Ariadne

We had rented two compartments on the Trans-Siberian

We took turns sleeping the traveling jewel merchant and I

And the one keeping watch didn’t bother to conceal his loaded pistol

You strolled in Leipzig with a slender woman disguised as a man

Intelligence because Look that’s what an intelligent woman is

And we mustn’t forget the legends

Dame Habonde on a trolley at night deep in a deserted neighborhood

I saw a chase as I got on

And the elevator stopped at every floor

Between the stones

Between the multicolored clothes in the window

Between the glowing coals of the chestnut vendor

Between the two Norwegian vessels moored in Rouen

Your face was there

It grows between the birches of Finland

That handsome negro made of steel

The greatest sadness

Was when you got a postcard from La Coruña

The wind comes from the sunset

The metal of carob trees

Everything is sadder than before

All the terrestrial gods are growing old

The universe mourns through your voice

And new beings arise

Three by three

Un Fantôme de nuées

Comme c’était la veille du quatorze juillet

Vers les quatre heures de l’après-midi

Je descendis dans la rue pour aller voir les saltimbanques

Ces gens qui font des tours en plein air

Commencent à être rares à Paris

Dans ma jeunesse on en voyait beaucoup plus qu’aujourd’hui

Ils s’en sont allés presque tous en province

Je pris le boulevard Saint-Germain

Et sur une petite place située entre Saint-Germain-des-Prés et la statue de Danton

Je rencontrai les saltimbanques

La foule les entourait muette et résignée à attendre

Je me fis une place dans ce cercle afin de tout voir

Poids formidables

Villes de Belgique soulevées à bras tendu par un ouvrier russe de Longwy

Haltères noirs et creux qui ont pour tige un fleuve figé

Doigts roulant une cigarette amère et délicieuse comme la vie

De nombreux tapis sales couvraient le sol

Tapis qui ont des plis qu’on ne défera pas

Tapis qui sont presque entièrement couleur de la poussière

Et où quelques taches jaunes ou vertes ont persisté

Comme un air de musique qui vous poursuit

Vois-tu le personnage maigre et sauvage

La cendre de ses pères lui sortait en barbe grisonnante

Il portait ainsi toute son hérédité au visage

Il semblait rêver à l’avenir

En tournant machinalement un orgue de Barbarie

Dont la lente voix se lamentait merveilleusement

Les glouglous les couacs et les sourds gémissements

Les saltimbanques ne bougeaient pas

Le plus vieux avait un maillot couleur de ce rose violâtre qu’ont aux joues certaines jeunes filles fraîches mais près de la mort

Ce rose-là se niche surtout dans les plis qui entourent souvent leur bouche

Ou près des narines

C’est un rose plein de traîtrise

Cet homme portait-il ainsi sur le dos

La teinte ignoble de ses poumons

Les bras les bras partout montaient la garde

Le second saltimbanque

N’était vêtu que de son ombre

Je le regardai longtemps

Son visage m’échappe entièrement

C’est un homme sans tête

Un autre enfin avait l’air d’un voyou

D’un apache bon et crapule à la fois

Avec son pantalon bouffant et les accroche-chaussettes

N’aurait-il pas eu l’apparence d’un maquereau à sa toilette

La musique se tut et ce furent des pourparlers avec le public

Qui sou à sou jeta sur le tapis la somme de deux francs cinquante

Au lieu des trois francs que le vieux avait fixés comme prix des tours

Mais quand il fut clair que personne ne donnerait plus rien

On se décida à commencer la séance

De dessous l’orgue sortit un tout petit saltimbanque habillé de rose pulmonaire

Avec de la fourrure aux poignets et aux chevilles

Il poussait des cris brefs

Et saluait en écartant gentiment les avant-bras

Mains ouvertes

Une jambe en arrière prête à la génuflexion

Il salua ainsi aux quatre points cardinaux

Et quand il marcha sur une boule

Son corps mince devint une musique si délicate que nul parmi les spectateurs n’y fut insensible

Un petit esprit sans aucune humanité

Pensa chacun

Et cette musique des formes

Détruisit celle de l’orgue mécanique

Que moulait l’homme au visage couvert d’ancêtres

Le petit saltimbanque fit la roue

Avec tant d’harmonie

Que l’orgue cessa de jouer

Et que l’organiste se cacha le visage dans les mains

Aux doigts semblables aux descendants de son destin

Fœtus minuscules qui lui sortaient de la barbe

Nouveaux cris de Peau-Rouge

Musique angélique des arbres

Disparition de l’enfant

Les saltimbanques soulevèrent les gros haltères à bout de bras

Ils jonglèrent avec les poids

Mais chaque spectateur cherchait en soi l’enfant miraculeux

Siècle ô siècle des nuages

A Phantom Made of Clouds

As it was the eve of the 14th of July

About four o’clock in the afternoon

I went out to see the saltimbanques

You don’t see these open-air performances

Much in Paris these days

When I was young you saw a lot more of them than now

Almost all of them have gone out into the provinces

I walked down the Boulevard Saint-Germain

And in a little square between Saint-Germain-des-Prés and the statue of Danton

I encountered the saltimbanques

Surrounded by people mute and resigned to waiting

I made a place for myself in this circle to get a good look

Impressive weights

Belgian towns lifted at arm’s length by a Russian worker from Longwy

Black hollow dumb-bells whose bars are frozen rivers

Fingers rolling a cigarette bitter and delicious like life

A lot of dirty rugs covered the ground

Rugs with creases that will never come out

Rugs almost completely the color of dust

And with a few yellow or green stains impossible to get rid of

Like a melody that haunts you

Do you see the wild and skinny character

The ashes of his forefathers came out in his graying beard

He wore his entire heritage on his face

He seemed to be dreaming of the future

Mechanically turning the crank of his Barbary organ

Whose slow voice gave out its own marvelous lamentation

Glug-glugs quacks and dull moans

The saltimbanques didn’t move

The oldest one wore tights of the violet pink that comes to the cheeks of certain fresh young girls near the point of death

This particular pink especially moves into the folds around their mouths

Or near the nostrils

It’s an absolutely treacherous pink

This man wore on his back

The wretched tint of his lungs

Arms arms everywhere went on guard

The second saltimbanque

Was dressed only in his shadow

I watched him a long time

His face completely escapes me

He’s a headless man

And another one looked seedy

A tough guy trashy and good at the same time

With his baggy pants and garters

Didn’t he look like a pimp all spruced up

The music stopped and negotiations with the audience began

Who coin by coin tossed the sum of two francs fifty onto the rug

Instead of the three francs the old man had set as the price

But when it became clear that no one would give any more

He decided to start the show

From under the organ a very small saltimbanque dressed in pulmonary pink came out

With fur at his wrists and ankles

He gave little cries

And bowed opening his forearms nicely

Palms up

With one leg back for genuflection

He bowed to the four cardinal points

And when he walked on a ball

His thin body became a music so delicate that not one of the spectators was unmoved by it

A little inhuman spirit

Each one thought

And this music of forms

Overwhelmed that of the mechanical organ

Ground by the man whose face was covered with ancestors

The little saltimbanque turned cartwheels

With such harmony

That the organ stopped

And the organist hid his face in his hands

With fingers like the descendents of his destiny

Minuscule fetuses coming out of his beard

New Redskin whoops

Angelic music of the trees

The child disappears

The saltimbanques lifted the big weights at arm’s length

And juggled them

But each spectator was searching inside himself for the miraculous child

Century O century of clouds

Lundi rue Christine

La mère de la concierge et la concierge laisseront tout passer

Si tu es un homme tu m’accompagneras ce soir

Il suffirait qu’un type maintînt la porte cochère

Pendant que l’autre monterait

Trois becs de gaz allumés

La patronne est poitrinaire

Quand tu auras fini nous jouerons une partie de jacquet

Un chef d’orchestre qui a mal à la gorge

Quand tu viendras à Tunis je te ferai fumer du kief

Ça a l’air de rimer

Des piles de soucoupes des fleurs un calendrier

Pim pam pim

Je dois fiche près de 300 francs à ma probloque

Je préférerais me couper le parfaitement que de les lui donner.

Je partirai à 20 h. 27

Six glaces s’y dévisagent toujours

Je crois que nous allons nous embrouiller encore davantage

Cher monsieur

Vous êtes un mec à la mie de pain

Cette dame a le nez comme un ver solitaire

Louise a oublié sa fourrure

Moi je n’ai pas de fourrure et je n’ai pas froid

Le Danois fume sa cigarette en consultant l’horaire

Le chat noir traverse la brasserie

Ces crêpes étaient exquises

La fontaine coule

Robe noire comme ses ongles

C’est complètement impossible

Voici monsieur

La bague en malachite

Le sol est semé de sciure

Alors c’est vrai

La serveuse rousse a été enlevée par un libraire

Un journaliste que je connais d’ailleurs très vaguement

Écoute Jacques c’est très sérieux ce que je vais te dire

Compagnie de navigation mixte

Il me dit monsieur voulez-vous voir ce que je peux faire d’eaux fortes et de tableaux

Je n’ai qu’une petite bonne

Après déjeuner café du Luxembourg

Une fois là il me présente un gros bonhomme

Qui me dit

Écoutez c’est charmant

A Smyrne à Naples en Tunisie

Mais nom de Dieu où est-ce

La dernière fois que j’ai été en Chine

C’est il y a huit ou neuf ans

L’Honneur tient souvent à l’heure que marque la pendule

La quinte major

Monday rue Christine

The concierge’s mother and the concierge will let anything go by

If you’re a man you’ll go with me tonight

All we’d need is one guy to hold the main door

While the other one goes up

Three lit gas jets

The boss has TB

When you’re finished we’ll play a game of backgammon

An orchestra conductor with a sore throat

When you come to Tunis I’ll get you some dope to smoke

That rings a bell

Piles of saucers some flowers a calendar

Bim bam bim

Hell I owe 300 francs to my landlady

I’d rather cut off my dong than pay her

I leave at 8:27 p.m.

Six mirrors look back and forth at themselves endlessly

I think it’s going to get even more confused

Dear Sir

You’re a joke

That lady holds more food than a garbage can

Louise forgot her fur

Well I don’t even have a fur and I’m not cold

The Dane smokes his cigarette over a timetable

The black cat crosses the bar

Those crêpes were marvelous

The faucet is running

Dress black like her fingernails

It’s completely impossible

Here you are sir

The malachite ring

The floor is strewn with sawdust

So it’s true

The red-headed waitress ran away with a bookseller

A newspaperman I know only very slightly

Listen Jacques I have something very serious to say to you

Passengers and cargo

He says to me Sir would you care to see what I can do in the way of etchings and paintings

I have only one small maid

After lunch Café du Luxembourg

Once there he introduces me to this big fat fellow

Who says

Listen, it’s charming

In Smyrna in Naples in Tunis

But where in the name of God is that

The last time I was in China

Eight or nine years ago

Honor often depends on what time of day it is

The royal flush

À travers l’Europe

A M. Ch.

Rotsoge

Ton visage écarlate ton biplan transformable en hydroplan

Ta maison ronde où il nage un hareng saur

Il me faut la clef des paupières

Heureusement que nous avons vu M. Panado

Et nous sommes tranquilles de ce côté-là

Qu’est-ce que tu vois mon vieux M. D...

90 ou 324 un homme en l’air un veau qui regarde à travers le ventre de sa mère

J’ai cherché longtemps sur les routes

Tant d’yeux sont clos au bord des routes

Le vent fait pleurer les saussaies

Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre

Regarde mais regarde donc

Le vieux se lave les pieds dans la cuvette

Una volta ho inteso dire Chè vuoi

Je me mis à pleurer en me souvenant de vos enfances

Et toi tu me montres un violet épouvantable

Ce petit tableau où il y a une voiture m’a rappelé le jour

Un jour fait de morceaux mauves jaunes bleus verts et rouges

Où je m’en allais à la campagne avec une charmante cheminée tenant sa chienne en laisse

Il n’y en a plus tu n’as plus ton petit mirliton

La cheminée fume loin de moi des cigarettes russes

La chienne aboie contre les lilas

La veilleuse est consumée

Sur la robe ont chu des pétales

Deux anneaux d’or près des sandales

Au soleil se sont allumés

Mais tes cheveux sont le trolley

A travers l’Europe vêtue de petits feux multicolores

Across Europe

to M. Ch.

Rotsoge

Your scarlet face your biplane that can change into a seaplane

Your round house where a smoked herring swims

I need the key to eyelids

Fortunately we saw Mr. Panado

And we’re reassured on that account

What do you see my old Mr. D...

90 or 324 a man in the air a calf that gazes through its mother’s belly

I searched a long time on the road

So many eyes are closed along the road

The wind makes the willow groves weep

Open open open open open up

Look but really look

The old man is washing his feet in a basin

Una volta ho inteso dire Chè vuoi

I started to cry remembering your childhoods

And you you show me a frightful shade of violet

This little painting with a cart in it reminded me of one day

A day made of pieces mauve yellow blue green and red

In which I was going out to the country with a charming chimney her dog on a leash

It’s all gone you don’t have your funny little music anymore

The smokestack is smoking Russian cigarettes far away from me

The dog is barking at the lilacs

The night lamp has gone out

Some petals have fallen on the dress

Two gold rings near the sandals

In the sun have caught fire

But your hair is the trolley line

Across a Europe dressed in little multicolored lights

Il pleut

Il pleut

It’s Raining

It's Raining

La Petite Auto

Cover

Cover

Cover

The Little Car

The Little Car

The Little Car

The Little Car

Épousailles

A une qui est au bord de l’Océan

L’amour a épousé l’absence, un soir d’été;

Si bien que mon amour pour votre adolescence

Accompagne à pas lents sa femme, votre absence,

Qui, très douce, le mène et, tranquille, se tait.

Et l’amour qui s’en vint aux bords océaniques,

Où le ciel serait grec si toutes étaient nues,

Y pleure d’être dieu encore et inconnu,

Ce dieu jaloux comme le sont les dieux uniques.

Nuptials

to the one at the Ocean’s shore

Love took absence for a bride one summer night;

And so my love for your adolescence

Walks slowly with his wife, your absence,

Who very softly leads him and, then calm, falls quiet.

And Love who came to oceanic shores

Whose sky would be Greek if the women were all nude,

Wept at being still a god, one that no one knew,

This god as jealous as all such unique gods are.

Il y a

Il y a des petits ponts épatants

Il y a mon cœur qui bat pour toi

Il y a une femme triste sur la route

Il y a un beau petit cottage dans un jardin

Il y a six soldats qui s’amusent comme des fous

Il y a mes yeux qui cherchent ton image

Il y a un petit bois charmant sur la colline

Et un vieux territorial pisse quand nous passons

Il y a un poète qui rêve au ptit Lou

Il y a un ptit Lou exquis dans ce grand Paris

Il y a une batterie dans une forêt

Il y a un berger qui paît ses moutons

Il y a ma vie qui t’appartient

Il y a mon porte-plume réservoir qui court qui court

Il y a un rideau de peupliers délicat délicat

Il y a toute ma vie passée qui est bien passée

Il y a des rues étroites à Menton où nous nous sommes aimés

Il y a une petite fille de Sospel qui fouette ses camarades

Il y a mon fouet de conducteur dans mon sac à avoine

Il y a des wagons belges sur la voie

Il y a mon amour

Il y a toute la vie

Je t’adore

There

There are some terrific little bridges

There is my heart that beats for you

There is a sad woman on the road

There is a nice little cottage in a garden

There are six soldiers having an insanely good time

There are my eyes that search for your image

There is a charming stand of trees on the hill

And an old National Guardsman pissing as we go by

There is a poet who dreams of lil Lou

There is an exquisite lil Lou in that big Paris

There is some artillery in a forest

There is a shepherd grazing his sheep

There is my life that belongs to you

There is my fountain pen that flows and flows

There is a curtain of delicate delicate poplars

There is my past which is really past

There are narrow streets in Menton where we loved each other

There is a little girl from Sospel who whips her friends

There is my horsewhip in my oat bag

There are Belgian rail cars on the move

There is my love

There is all of life

I adore you

Les Neuf Portes de ton corps

Ce poème est pour toi seule Madeleine

Il est un des premiers poèmes de notre désir

Il est notre premier poème secret ô toi que j’aime

Le jour est doux et la guerre est si douce S’il fallait en mourir

Tu l’ignores ma vierge à ton corps sont neuf portes

J’en connais sept et deux me sont celées

J’en ai pris quatre j’y suis entré n’espère plus que j’en sorte

Car je suis entré en toi par tes yeux étoilés

Et par tes oreilles avec les Paroles que je commande et qui sont mon escorte

Œil droit de mon amour première porte de mon amour

Elle avait baissé le rideau de sa paupière

Tes cils étaient rangés devant comme les soldats noirs

peints sur un vase grec paupière rideau lourd

De velours

Qui cachait ton regard clair

Et lourd

Pareil notre amour

Œil gauche de mon amour deuxième porte de mon amour

Pareille à son amie et chaste et lourde d’amour ainsi que lui

O porte qui mènes à ton cœur mon image et mon sourire qui luit

Comme une étoile pareille à tes yeux que j’adore

Double porte de ton regard je t’adore

Oreille droite de mon amour troisième porte

C’est en te prenant que j’arrivai à ouvrir entièrement les deux premières portes

Oreille porte de ma voix qui t’a persuadée

Je t’aime toi qui donnas un sens à l’Image grâce à l’Idée

Et toi aussi oreille gauche toi qui des portes de mon amour es la quatrième

O vous les oreilles de mon amour je vous bénis

Portes qui vous ouvrîtes à ma voix

Comme les roses s’ouvrent aux caresses du printemps

C’est par vous que ma voix et mon ordre

Pénètrent dans le corps entier de Madeleine

J’y entre homme tout entier et aussi tout entier poème

Poème de son désir qui fait que moi aussi je m’aime

Narine gauche de mon amour cinquième porte de mon amour et de nos désirs

J’entrerai par là dans le corps de mon amour

J’y entrerai subtil avec mon odeur d’homme

L’odeur de mon désir

L’âcre parfum viril qui enivrera Madeleine

Narine droite sixième porte de mon amour et de notre volupté

Toi qui sentiras comme ta voisine l’odeur de mon plaisir

Et notre odeur mêlée plus forte et plus exquise qu’un printemps en fleurs

Double porte des narines je t’adore toi qui promets tant de plaisirs subtils

Puisés dans l’art des fumées et des fumets

Bouche de Madeleine septième porte de mon amour

Je vous ai vue ô porte rouge gouffre de mon désir

Et les soldats qui s’y tiennent morts d’amour m’ont crié qu’ils se rendent

O porte rouge et tendre

O Madeleine il est deux portes encore

Que je ne connais pas

Deux portes de ton corps

Mystérieuses

Huitième porte de la grande beauté de mon amour

O mon ignorance semblable à des soldats aveugles parmi les chevaux de frise sous la lune liquide des Flandres à l’agonie

Ou plutôt comme un explorateur qui meurt de faim de soif et d’amour dans une forêt vierge

Plus sombre que l’Érèbe

Plus sacrée que celle de Dodone

Et qui devine une source plus fraîche que Castalie

Mais mon amour y trouverait un temple

Et après avoir ensanglanté le parvis sur qui veille le charmant monstre de l’innocence

J’y découvrirais et ferais jaillir le plus chaud geyser du monde

O mon amour ma Madeleine

Je suis déjà le maître de la huitième porte

Et toi neuvième porte plus mystérieuse encore

Qui t’ouvres entre deux montagnes de perles

Toi plus mystérieuse encore que les autres

Portes des sortilèges dont on n’ose point parler

Tu m’appartiens aussi

Suprême porte

A moi qui porte

La clef suprême

Des neuf portes

O portes ouvrez-vous à ma voix

Je suis le maître de la Clef

The Nine Doors of Your Body

This poem Madeleine is for you only

It is one of the first poems of our desire

It is our first secret poem O you whom I adore

The day is mild and the war so mild one could die of it if need be

You don’t know my virgin that your body has nine doors

I know seven and two are concealed from me

I have used four of them I have entered them never want to come back out

Because I have entered you through your starry eyes

And through your ears with the Words I command and are my escort

Right eye of my love first door of my love

It had lowered the curtain of its lid

Your lashes were lined up in front like black soldiers painted on a Greek vase eyelid heavy curtain

Of velvet

Which hid your gaze

Bright and heavy

Like our love

Left eye of my love second door of my love

Like its friend equally chaste and heavy with love

O door that brings to your heart my image and my smile that shines

Like a star like your eyes that I adore

Double door of your gaze I adore you

Right ear of my love third door

In taking you I came to open wide the first two doors

Ear door for my voice that changed your mind

I love you you who gave meaning to the Image thanks to the Idea

And you too left ear you who of the doors of my love are the fourth

O you the ears of my love I bless you

Doors that you opened to my voice

The way roses open to the caresses of spring

It’s through you that my voice and my order

Penetrate Madeleine’s entire body

I enter there an entire man and entire poem too

Poem of desire that makes me love myself as well

Left nostril of my love fifth door of my love and our desire

I’ll enter my love’s body there

I’ll enter it subtle with my manly smell

The smell of my desire

The sharp virile smell that will make her drunk

Right nostril sixth door of my love and our sensual pleasure

You who will sense like your neighbor the smell of my pleasure

And our mingled smell stronger and more exquisite than springtime’s flowers

Double door of the nostrils I adore you you who promise such subtle pleasures

Drawn from the art of smoke and aromas

Madeleine’s mouth seventh door of our love

I’ve seen you O red door gulf of my desire

And the soldiers that stand there dead of love have cried out to me that they surrender

O red and tender door

O Madeleine there are two more doors

Unknown to me

Two doors to your body

Both mysterious

Eighth door of the great beauty of my love

O my not knowing you like soldiers blind among chevaux-de-frise beneath the liquid moon of Flanders in agony

Or rather like an explorer dying of hunger of thirst and of love in a virgin forest

Darker than Erebus

More sacred than Dodona

And who senses a spring fresher than Castalia’s

But my love would find a temple there

And after having bloodied its parvis guarded by the charming monster of innocence

I’d discover and make the hottest geyser in the world erupt

O my love my Madeleine

I am already master of the eighth door

And you even more mysterious ninth door

That opens between two pearly mountains

You more mysterious than the other

Doors of sorcery one dare not speak of

You too belong to me

Supreme threshold

Mine as I hold

The supreme key

To the nine doors

O doors open to my voice

I am the master of the Key

4 h

C’est 4 h. du matin

Je me lève tout habillé

Je tiens une savonnette à la main

Que m’a envoyée quelqu’un que j’aime

Je vais me laver

Je sors du trou où nous dormons

Je suis dispos

Et content de pouvoir me laver ce qui n’est pas arrivé depuis trois jours

Puis lavé je vais me faire raser

Ensuite bleu de ciel je me confonds avec l’horizon jusqu’à la nuit et c’est un plaisir très doux

De ne rien dire de plus tout ce que je fais c’est un être invisible qui le fait

Puisqu’une fois boutonné tout bleu confondu dans le ciel je deviens invisible

4 O’Clock

It’s 4 in the morning

I get up fully dressed

In my hand a little bar of soap

Someone I love sent me

I’m going to wash up

I emerge from the hole we sleep in

I feel terrific

And happy to be able to wash up for the first time in three days

Then all clean I go get a shave

After that sky-blue I blend in with the horizon until night falls and it’s a very sweet pleasure

To say no more about anything I do it’s an invisible being doing it

And buttoned up and all blue now blended into the sky I disappear

Fête

A André Rouveyre

Feu d’artifice en acier

Qu’il est charmant cet éclairage

Artifice d’artificier

Mêler quelque grâce au courage

Deux fusants

Rose éclatement

Comme deux seins que l’on dégrafe

Tendent leurs bouts insolemment

IL SUT AIMER

quelle épitaphe

Un poète dans la forêt

Regarde avec indifférence

Son revolver au cran d’arrêt

Des roses mourir d’espérance

Il songe aux roses de Saadi

Et soudain sa tête se penche

Car une rose lui redit

La molle courbe d’une hanche

L’air est plein d’un terrible alcool

Filtré des étoiles mi-closes

Les obus caressent le mol

Parfum nocturne où tu reposes

Mortification des roses

Festival

to André Rouveyre

Steel fireworks

How charming this lighting is

Work of the fireworker

Blending both grace and courage

Two rockets

Rosy bursts

Like two breasts set free

That stick their tips out insolently

HE KNEW HOW TO LOVE

some epitaph that would be

In the woods a poet

Looks languidly down

With his revolver’s safety on

At roses dying of hope

He dreams of the roses of Saadi

And suddenly his head droops

Because a rose makes him think

Of the soft curving of a hip

The air is filled with a terrible alcohol

Filtered from stars half-closed

The shells caress the soft

Night’s scent where you repose

Mortification of the rose

Carte postale

Je t’écris de dessous la tente

Tandis que meurt ce jour d’été

Où floraison éblouissante

Dans le ciel à peine bleuté

Une canonnade éclatante

Se fane avant d’avoir été

Postcard

Under my tent I write to you

At the end of a summer day

When dazzling blooms

In a sky just barely blue

An exploding shell display

Before it’s there it fades away

Ombre

Vous voilà de nouveau près de moi

Souvenirs de mes compagnons morts à la guerre

L’olive du temps

Souvenirs qui n’en faites plus qu’un

Comme cent fourrures ne font qu’un manteau

Comme ces milliers de blessures ne font qu’un article de journal

Apparence impalpable et sombre qui avez pris

La forme changeante de mon ombre

Un Indien à l’affût pendant l’éternité

Ombre vous rampez près de moi

Mais vous ne m’entendez plus

Vous ne connaîtrez plus les poèmes divins que je chante

Tandis que moi je vous entends je vous vois encore

Destinées

Ombre multiple que le soleil vous garde

Vous qui m’aimez assez pour ne jamais me quitter

Et qui dansez au soleil sans faire de poussière

Ombre encre du soleil

Écriture de ma lumière

Caisson de regrets

Un dieu qui s’humilie

Shadow

Here you are close to me again

Memories of my companions killed in the war

The olive of time

Memories that make just one

As a hundred pelts make just one fur coat

As these thousands of wounds make just one newspaper article

Somber impalpable appearance that has taken on

The changing shape of my shadow

An Indian crouching in ambush for eternity

Shadow you creep up close to me

But you don’t hear me anymore

You will no longer know the heavenly poems I sing

But I hear you I still see you

Destinies

Multiple shadow may the sun watch over you

You love me enough to never leave me

You who dance in the sun without raising any dust

Shadow ink of the sun

Handwriting of my light

Caisson of regrets

A god who humbles himself

Les Saisons

C’était un temps béni nous étions sur les plages

Va-t’en de bon matin pieds nus et sans chapeau

Et vite comme va la langue d’un crapaud

L’amour blessait au cœur les fous comme les sages

As-tu connu Guy au galop

Du temps qu’il était militaire

As-tu connu Guy au galop

Du temps qu’il était artiflot

A la guerre

C’était un temps béni Le temps du vaguemestre

On est bien plus serré que dans les autobus

Et des astres passaient que singeaient les obus

Quand dans la nuit survint la batterie équestre

As-tu connu Guy au galop

Du temps qu’il était militaire

As-tu connu Guy au galop

Du temps qu’il était artiflot

A la guerre

C’était un temps béni Jours vagues et nuits vagues

Les marmites donnaient aux rondins des cagnats

Quelque aluminium où tu t’ingénias

A limer jusqu’au soir d’invraisemblables bagues

As-tu connu Guy au galop

Du temps qu’il était militaire

As-tu connu Guy au galop

Du temps qu’il était artiflot

A la guerre

C’était un temps béni La guerre continue

Les Servants ont limé la bague au long des mois

Le Conducteur écoute abrité dans les bois

La chanson que répète une étoile inconnue

As-tu connu Guy au galop

Du temps qu’il était militaire

As-tu connu Guy au galop

Du temps qu’il était artiflot

A la guerre

The Seasons

It was a blessèd time we were at the beach

Go out early in the morning no shoes no hats no ties

And quick as a toad’s tongue can reach

Love wounded the hearts of the mad and the wise

Did you know Guy when he galloped along

When he was a military man

Did you know Guy when he galloped along

When he was an artiman

In the war

It was a blessèd time At mail call

We are squeezed in tighter than on a bus

And the stars passing by were mimicked by the shells

In the night when the cannons came rolling up

Did you know Guy when he galloped along

When he was a military man

Did you know Guy when he galloped along

When he was an artiman

In the war

It was a blessèd time Days and nights blending

The stew-pot shells gave our trench dugout

Aluminum shrapnel that you set about

Smoothing all day into an unlikely ring

Did you know Guy when he galloped along

When he was a military man

Did you know Guy when he galloped along

When he was an artiman

In the war

It was a blessèd time The war goes on

The Gunners have filed for part of a year

Safe in the woods the Driver can hear

An unknown star repeating a song

Did you know Guy when he galloped along

When he was a military man

Did you know Guy when he galloped along

When he was an artiman

In the war

La Boucle retrouvée

Il retrouve dans sa mémoire

La boucle de cheveux châtains

T’en souvient-il à n’y point croire

De nos deux étranges destins

Du boulevard de la Chapelle

Du joli Montmartre et d’Auteuil

Je me souviens murmure-t-elle

Du jour où j’ai franchi ton seuil

Il y tomba comme un automne

La boucle de mon souvenir

Et notre destin qui t’étonne

Se joint au jour qui va finir

The Rediscovered Lock

He finds again in his memory

The lock of chestnut-colored hair

Hard to believe do you remember

The strange destinies we share

The Boulevard de la Chapelle

Auteuil and sweet Montmartre

She murmurs I remember well

Crossing the doorway of your heart

It fell there like the fall

The lock in my memory

And our fate you can’t believe at all

Blends into this day that will fade away

L’Adieu du cavalier

Ah Dieu! que la guerre est jolie

Avec ses chants ses longs loisirs

Cette bague je l’ai polie

Le vent se mêle à vos soupirs

Adieu! voici le boute-selle

Il disparut dans un tournant

Et mourut là-bas tandis qu’elle

Riait au destin surprenant

The Cavalryman’s Farewell

Ah well! and Oh what a lovely war this is

Its songs its free time without end

This ring I’ve polished it

Your sighs are mingled with the wind

Farewell! now the bugle’s call is heard

Around a bend he disappeared

And died out there while she

Was laughing at surprising destiny

Océan de terre

A G. de Chirico

J’ai bâti une maison au milieu de l’Océan

Ses fenêtres sont les fleuves qui s’écoulent de mes yeux

Des poulpes grouillent partout où se tiennent les murailles

Entendez battre leur triple cœur et leur bec cogner aux vitres

Maison humide

Maison ardente

Saison rapide

Saison qui chante

Les avions pondent des œufs

Attention on va jeter l’ancre

Attention à l’encre que l’on jette

Il serait bon que vous vinssiez du ciel

Le chèvrefeuille du ciel grimpe

Les poulpes terrestres palpitent

Et puis nous sommes tant et tant à être nos propres fossoyeurs

Pâles poulpes des vagues crayeuses ô poulpes aux becs pâles

Autour de la maison il y a cet océan que tu connais

Et qui ne se repose jamais

Ocean of Earth

to G. de Chirico

I have built a house in the middle of the Ocean

Its windows are the rivers flowing from my eyes

Octopi are crawling all over where the walls are

Hear their triple hearts beat and their beaks peck against the windowpanes

House of dampness

House of burning

Season’s fastness

Season singing

The airplanes are laying eggs

Watch out for the dropping of the anchor

Watch out for the shooting black ichor

It would be good if you were to come from the sky

The sky’s honeysuckle is climbing

The earthly octopi are throbbing

And so very many of us have become our own gravediggers

Pale octopi of the chalky waves O octopi with pale beaks

Around the house is this ocean that you know well

And is never still

La Jolie Rousse

Me voici devant tous un homme plein de sens

Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître

Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour

Ayant su quelquefois imposer ses idées

Connaissant plusieurs langages

Ayant pas mal voyagé

Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie

Blessé à la tête trépané sous le chloroforme

Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte

Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir

Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre

Entre nous et pour nous mes amis

Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention

De l’Ordre et de l’Aventure

Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu

Bouche qui est l’ordre même

Soyez indulgents quand vous nous comparez

A ceux qui furent la perfection de l’ordre

Nous qui quêtons partout l’aventure

Nous ne sommes pas vos ennemis

Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines

Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir

Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues

Mille phantasmes impondérables

Auxquels il faut donner de la réalité

Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait

Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir

Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières

De l’illimité et de l’avenir

Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés

Voici que vient l’été la saison violente

Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps

O Soleil c’est le temps de la Raison ardente

Et j’attends

Pour la suivre toujours la forme noble et douce

Qu’elle prend afin que je l’aime seulement

Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant

Elle a l’aspect charmant

D’une adorable rousse

Ses cheveux sont d’or on dirait

Un bel éclair qui durerait

Ou ces flammes qui se pavanent

Dans les roses-thé qui se fanent

Mais riez riez de moi

Hommes de partout surtout gens d’ici

Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire

Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire

Ayez pitié de moi

The Pretty Redhead

Here I am before you all an utterly sensible man

Knowing life and about death as much as a living person can know

Having gone through the sorrows and joys of love

Having occasionally known how to impose his ideas on others

Knowing several languages

Having traveled quite a bit

Having seen the war in the Artillery and the Infantry

Wounded in the head trepanned under chloroform

Having lost his best friends in the horrible fight

I know as much of the old and the new as any one man can know of them both

And without worrying today about this war

Just between us and for us my friends

I am giving my verdict on the long quarrel between tradition and invention

Order and Adventure

You whose mouth is made in the image of the mouth of God

Mouth which is order itself

Be indulgent when you compare us

With those who were the perfection of order

We who seek adventure everywhere

We are not your enemies

We want to give you vast and strange territories

Where flowering mystery offers itself to anyone who wishes to gather it

There are new fires there colors never seen before

A thousand unfathomable phantoms

To which reality must be given

We want to explore goodness that big country where everything is silent

There is also time which one can drive away or make come back

Have pity on us who are always fighting at the frontiers

Of the limitless and the future

Have pity on our errors pity on our sins

Now comes summer the wild season

And my youth is dead just like the spring

O Sun now is the time of burning Reason

And I am waiting

To follow it forever the sweet and noble form

It takes to make me love it only

Attracting me like iron in a strong magnetic field

It has the charming look and air

Of an adorable girl with red hair

You’d say her hair is made of gold

A lovely lightning flash that keeps going on

Or those flames that promenade

In tea roses that fade

But laugh laugh at me

Men everywhere but especially people here

Because there are so many things I don’t dare tell you

So many things you wouldn’t let me tell you

Have pity on me

Notes
(Alphabetically by Title)

ACROSS EUROPE 

A manuscript version of this poem shows that it was made as a collage, juxtaposing lines, just as Marc Chagall was juxtaposing images in his paintings.

The dedicatee is Chagall. In his autobiography he says that Apollinaire visited his studio and the next day sent him the poem, which was titled “Rodztag” (as in the German Rote Tag, “red day”). A number of the images in the poem have their counterparts in Chagall’s paintings from that period, such as L’Homme au hareng; Paris, à travers la fenêtre; and La Vache enceinte.

Rotsoge: Red trail.

Your round house: Most likely the building known as La Ruche (the Beehive), where Chagall and many other artists had studios, at 2 passage Dantzig in Paris.

Mr. Panado: In all likelihood a disguised reference to Ricciotto Canudo (1879–1923), a writer, editor, and avant-garde figure in Paris, as well as a friend of Apollinaire. As the French word for bread soup is la panade, and by extension to be destitute is être dans la panade, this might have been the poet’s poking fun at his colleague—as Canudo did by sometimes using the anagrammatic pseudonym Oudanc (literally, So where?). Canudo edited Montjoie!, a magazine to which Apollinaire was a contributor. During 1913 and 1914 Canudo grew increasingly irritated with Apollinaire’s cavalier way of ignoring deadlines and appointments, at last writing to him angrily, on June 19, 1914, about some graffito on a Montparnasse café toilet’s wall: “‘Fortunately we saw Mr. Panado / And we are reassured on that account.’ I know these two lines are by you.” They later reconciled.

Mr. D: The original says “M.D.” In French, a capital M is the equivalent of Mr. It can also be an initial. Anne Hyde Greet suggests that “M.D...” might refer to the artist Maurice Denis. However, two lines above this reference, in “M. Panado” the M. is most likely an abbreviation for Monsieur. Because the poem seems to have been influenced by the color theories of Apollinaire’s friend Robert Delaunay, it is always possible that “M.D...” is a reference to him, with “old” (mon vieux) being used in the sense of “my old friend.” Apollinaire’s use of the informal “tu” in this line does indicate a personal closeness. However, “M.D...” might well be René Dalize, to whom the poet dedicated his Calligrammes as “my oldest comrade.” Or even Marcel Duchamp, although he is by far the least likely candidate.

Una volta ho inteso dire Chè vuoi: Italian for “One day I heard someone say What do you want.” The first published version (April 15, 1914, in Les Soirées de Paris) has a German clause instead: Ach du Lieber Gott. Perhaps by the time the poem was to be included in Calligrammes (1918), the war had caused Apollinaire to eliminate the German. “Chè vuoi” is quite possibly a quotation from a well-known passage in Jacques Cazotte’s Les Diables amoureux, a book that Apollinaire owned, in which Beelzebub, in the form of a camel, asks the protagonist, in Italian, “What do you want?”

I started to cry remembering your childhoods: The original draft of this line said “my childhood.” With the change to your, the memory includes the childhoods of Chagall and the Italian-born Panado/Canudo, and possibly that of Dalize, who was a childhood friend of Apollinaire.

funny little music: My liberal translation of mirliton, which can mean tin whistle (or kazoo), shako, sexual organ, or the refrain of a popular song. Apollinaire’s lost love, Marie Laurencin, knew a wide repertory of such songs.