« Monsieur Page, par ici » lui lança Albert. Dès qu’ils furent dans la chambre, il lui dit : « J’espère que ce que j’ai pu déclarer ne vous affecte pas trop ; ce n’est pas du tout ce que Mme Baker a laissé entendre. Je suis content de vous offrir l’hospitalité, mais voyez-vous, puisque c’est la première fois de ma vie que je serai dans mon lit autrement que seul, il est possible que je gigote et vous empêche de dormir. » « Ma foi, si cela doit se passer ainsi, répondit Page, je ferais aussi bien de somnoler sur le fauteuil jusqu’à l’heure de mon départ, et ne pas vous gêner du tout. » « Vous ne me gênerez pas, ce qui m’inquiète est… mais assez parlé. Nous devons nous coucher côte à côte que nous aimions cela ou non, car si Mme Baker apprenait que nous n’avons pas dormi dans le même lit, toute la responsabilité m’en incomberait. Et je serais renvoyé de l’hôtel en deux temps trois mouvements. » « Mais comment pourrait-elle le savoir ? s’étonna Page. L’affaire est entendue alors n’en faisons plus toute une histoire. »

Albert ôta sa cravate en déclarant qu’il tâcherait de ne pas trop bouger et Page commença à se déshabiller en se disant qu’il serait ravi d’être débarrassé du problème de dormir avec Albert. Mais il était tellement épuisé qu’il lui était difficile de réfléchir à côté de qui il s’allongerait. Il ne pensait plus qu’aux douze ou treize heures quotidiennes de travail auxquelles s’ajoutait le voyage. Seul lui importait le sommeil. Albert le vit se glisser côté mur sous les draps en titubant de fatigue, vêtu de la longue chemise qu’il portait sous ses vêtements. Il aurait mieux valu qu’il se plaçât au bord du lit, songea Albert, mais il ne voulait pas dire la moindre chose qui puisse le mettre de mauvaise humeur à son réveil. Pourtant Page, comme je vous l’ai expliqué, était trop fatigué pour se demander de quel côté il allait s’assoupir. Il s’endormit très vite tandis qu’Albert attendait debout, sa cravate dénouée se balançant, jusqu’à ce qu’une respiration régulière lui indiquât que Page dormait sur ses deux oreilles. Pour en être bien sûr, il s’approcha à pas de loup et observa Page en murmurant : « Pauvre gars, je suis heureux qu’il soit dans ce lit car il s’y reposera bien et il en a besoin. » Puis considérant que les choses se déroulaient mieux qu’il ne l’avait espéré, il entreprit de se dévêtir.



Il avait certainement sombré dans le sommeil, un sommeil de plomb, car il s’éveilla en sursaut. « Une puce ! marmonna-t-il, et elle est grosse. » Elle devait provenir de la maison du peintre. Une puce quitterait n’importe qui pour venir sur moi, songea-t-il. Et se retournant sur le matelas, il se souvint de l’expression de consternation sur le visage des femmes de chambre la veille lorsqu’il leur avait expliqué qu’aucun homme ne tenait à sa peau davantage qu’une puce sur la sienne. À tel point qu’il ne pouvait comprendre pourquoi cette puce avait mis autant de temps à le trouver. Les puces devaient avoir un faible pour lui. Et la revoilà, essayant de rattraper le temps perdu ! Albert éjecta sa jambe hors des draps. J’ai peur de l’avoir réveillé, pensa-t-il, mais Hubert venait juste de changer de position et continuait à dormir profondément. C’est une bénédiction qu’il soit si fourbu, pensa Albert, car si ce n’était pas le cas, ce dernier soubresaut l’aurait tiré du sommeil. Un instant plus tard, Albert était piqué par une autre puce ou par la même, il n’aurait su dire. Il supposa que c’était une nouvelle à cause de la vigueur de la morsure. Il lui était difficile de s’empêcher de se gratter là où elle avait frappé. Les choses vont empirer si je me griffe, se dit-il, et il s’efforça de rester allongé et calme. Mais la souffrance était trop insupportable. « Il faut que je me lève » grommela-t-il, en se mettant doucement debout. Il tendit l’oreille. Le frottement d’une allumette ne le réveillera pas ! Puis se souvenant de l’endroit où il avait rangé la boîte, il posa immédiatement la main dessus.