Bientôt va poindre l’aube. C’est, violette et triste à l’Orient, comme une meurtrissure de la nuit.

Nous croisons une caravane. La lune, presque au zénith, ne fait à chacun des chameaux qu’une discrète ombre courte. – Il fait froid. Athman, à la manière des Arabes, pour dormir, enfonce son énorme turban dans les trois capuchons de ses burnous, se tasse, s’arrondit, devient citrouille comme l’empereur Claude.

La plaine – que le sel argente – sous la lune reluit faiblement. Magnésie ou soude, je ne sais, le sol lisse et givré d’argent paraît de matière fluide. Et là-dessus, par places, un bouquet de lentisques, une touffe de maigres joncs.

 

Pas un nuage. Voici l’aube. C’est, de l’azur encore froid de la nuit jusqu’à la rouge lisière des sables, une prismatique analyse du jour, plus délicatement et plus subtilement nuancée, mais aussi précisément détaillée que celle d’un parfait arc-en-ciel ; et, sur la terre émerveillée, une résurrection des couleurs. C’est d’une absence d’art totale, d’une beauté purement et uniquement naturelle.

Cela ne durera qu’un instant. Déjà toute nuance subtile s’efface ; il ne doit plus rester dans l’espace que l’or brutal et que le bleu.

Mais avant que le soleil paraisse, le ciel se colore à nouveau d’une étrange pâleur orange, où bientôt le soleil paraît, rouge et plat, et comme un fer mou sur l’enclume.

 

7 heures.

Un vol de grues dans l’or du ciel fait un nuage oblong qui palpite. Un autre vol moins grand suit le premier. Elles approchent ; nous pouvons les compter : elles sont treize. Ces deux vols passent chacun à notre gauche. En science augurale que signifie ce présage ?

 

8 heures.

Jusqu’à Saada, nous n’avons rencontré de vivant que d’impassibles caravanes. Si, – deux chacals. Le premier s’est enfui, craintif, à notre approche. L’autre reste assez près de nous, immobile et caché derrière un buisson bas ; seul son museau pointu dépasse.

 

L’aurore sur la mer ne me parut jamais si splendide. Où les sables rougissent, frémissent, les flots, eux, demeurent glacés.

Puis le désert s’étend, obstinément pareil. Argile blonde un peu caillouteuse où de courtes végétations, rousses et rondes, qui arrêtent le sable et se soulèvent par-dessus, semblent, sur cette étendue lisse, un foisonnement de verrues.

De Saada à Chegga, nous n’avons rien rencontré.

 

Chegga, 10 heures 1/2.

Déjeuner – sur une table à trois pieds – en plein soleil, qui déjà commence à taper ferme. Deux faméliques chats se disputent des débris de poulet froid et de sardines. Près de nous, devant la misérable hutte où trois pauvres Arabes s’abritent, une femme couverte d’une loque safran lave une maigre fillette de cinq ans, toute nue, debout dans un chaudron noir. Pas une fleur, pas une herbe pour sourire un peu à la hutte.

Que celui qui ne connaît pas ce pays imagine d’abord : rien. À droite, une hutte. Non loin, quelques carcasses démantibulées – carcasses de chameau, l’on suppose. À gauche, une société de chameaux ; des chameliers qui les font boire à une source qu’on ne voit pas. Derrière le puits d’où sort la source, rien ; autour, rien ; du soleil ; une avalanche de soleil.

 

Nous nous approchons de la source. Qu’y faire ? L’eau, captée, passe dans un verger où vingt maigres palmiers s’étiolent. Un âne pelé broute au pied de l’un d’eux. On dirait qu’il broute le sable.