La diligence attelée, nous repartons.
1 heure.
Depuis plus de deux heures la même route se renouvelle devant nous. – Un peu de sable fin maintenant épaissit la route. Les roues creusent ; les chevaux peinent ; nous descendons. Le soleil tape. La plaine trop éclairée, à perte de vue, paraît terne : les tons meurent. Mais si l’on se retourne, mettant derrière soi le soleil, les tons revivent, et le rapport des dunes basses aux quelques végétations qui les ornent ravit. Je ne sais pas le nom de ces plantes. Leurs minuscules feuilles crispées sont d’un vert argenté cendré, pareil exactement à celui du feuillage de l’olivier.
Kef el Dorh’.
Le terrain brusquement dévale jusqu’au chott.
Il y eut un temps où je n’osais pas m’avouer combien l’art trouve peu de refuge et d’aliment sur cette terre. J’avais besoin de la prétendre belle pour oser si passionnément l’admirer. C’était le temps où volontiers encore je confondais art et nature. À présent, ce que j’aime de ce pays, je sens bien que c’est la hideur même, l’intempérie : ce qui contraint tout art à ne pas être… ou à se réfugier ailleurs.
Ici l’impuissance du peintre est probante ; et plaisante son obstination à ne le reconnaître point. Il faut savoir, dans le désert, se contenter de l’éducation, je veux dire de l’exaltation, qu’il propose, puis savoir s’y contreposer. Ce n’est rien d’autre, j’imagine, qu’un Monet dut aller y prendre. L’analyse de son métier, de son œil ; la connaissance la plus simple de chaque ton en soi, de ses rapports et de sa possible importance ; l’évanouissement de tous plans, la disparition des reflets, l’ignorance de la diaprure, l’inenveloppement du milieu. Il faut que, regagnant son pays, il ait acquis – des réactions des tons entre eux, des ressources de chacun d’eux, de la disponibilité réfléchissante des surfaces, de l’ambiance, – une compréhension à la fois plus savante et plus spontanée, une sorte de révélation.
M’reyer,
… où l’on arrive à la nuit close. Bordj ; vaste cour, et comment la dire assez morne ? Tout y manque ; elle est vaste sans peine ; ici rien ne coûte moins que l’espace.
Dès que l’on sort du bordj, la nuit paraît si grande que le bordj y paraît petit. Jamais je n’avais vu tant d’étoiles. D’où que ce soit du ciel, devant le regard, il en point. L’aboi des chiens… une angoisse indéfinissable vous prend ; – on est mal défendu contre le vide ; on sent céder partout le désert.
Égarés dans la nuit, nous cherchons à gagner le village que la voiture, avant de s’arrêter au bordj, avait longé. Il est loin. Nous entendons chanter un refrain de caserne, puis rencontrons quatre soldats qui nous abordent et s’offrent à nous guider. Nous les quittons sitôt entrés dans le village. Il fait froid. Au milieu de la rue, – si l’on peut appeler ainsi ce canal entre les maisons, – des feux de palmes que des enfants à moitié nus attisent, et où se chauffent des vieillards. La flamme éclate un instant pétillante, puis retombe, et ce n’est plus que le rayonnement assourdi du foyer. Ni musiques, ni jeux ; des cafés maures presque éteints ; quelques fumeurs devant leur porte, couchés à demi sur des nattes, ou sur la terre simplement.
Et maintenant que par trois fois nous avons suivi tout au long les deux uniques rues du village, que les feux sont éteints, que nous avons fait fuir comme troupes d’oiseaux farouches tout ce qui s’y chauffait de jeune et de charmant, maintenant que la paix de ce lieu trop étrange est gâtée, – que faire ? – sinon rentrer au bordj à travers l’oppressante solitude de la nuit.
II
Mercredi, midi.
Des bandes grises sont montées du Sud. Pendant deux heures le ciel s’est couvert entièrement de nuages ; puis, vers le Sud encore, a reparu le bleu. À présent, de nouveau, plus un nuage d’un bout à l’autre de tout le ciel.
5 heures.
Nous sommes en vue de Touggourt. Le soleil déclinant se colore. Le ciel est uniquement bleu, d’un bleu qui sur les bords se dore.
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