L’approche de Touggourt surpasse tous mes souvenirs. – À l’horizon de gauche, la fine ligne de l’oasis qui se poursuit depuis M’garine semble une côte de golfe, et la mer sablonneuse où nous voguons vient s’y poser. À droite, rien ; le sable d’or qui rejoint l’or vibrant du ciel. Devant nous, l’importante Touggourt.
Port tardif ! Loin encore, on n’en voit, sur l’avant, presque hors l’oasis, que, pareils à des phares, deux minarets bizarres, découpés en noir sur le ciel.
Le soleil cependant disparaît. À l’orient, le sable, rose et vert un instant, tout aussitôt devient d’une lividité délicate, d’une pâleur très fine, exquise sous le ciel rose et lilas…
Le renoncement au voyage
1903-1904
J’avais l’âge où la vie commence à prendre un goût plus douteux sur les lèvres ; où l’on sent chaque instant tomber d’un peu moins haut déjà dans le passé.
Obsédé par le désir de ce pays, qui, chaque année, s’exaltait en moi vers l’automne, et souhaitant enfin guérir – pro remedio animæ meæ, je projetai d’écrire un livre sur l’Afrique.
Je travaillai tout l’été d’après mes souvenirs. Souvenirs imprécis ; l’immédiateté leur manquait et je n’en savais plus rien faire. Je travaillais en vain. De ce pays je ne remémorais que les délices, ce qui précisément m’y attirait encore… Je décidai d’y repartir une dernière fois, sous prétexte de préciser chaque particularité de saveur.
Quand, pour la sixième fois, je m’embarquai pour l’Algérie, le livre que j’espérais en rapporter était tout autre que celui que j’offre aujourd’hui. Les plus graves questions économiques, ethnologiques, géographiques, devaient y être soulevées. Il est certain qu’elles me passionnèrent. J’emportai des cahiers que je voulais remplir de documents précis, de statistiques…
Sont-ce bien ces cahiers que voici ?
De retour en Normandie, du moins cherchai-je à les remanier en vue d’un tout plus homogène. Mais, lorsque je les relus, je compris que leur élan faisait peut-être leur seul mérite, et qu’un apprêt, si léger fût-il, y nuirait. – Je les publie donc sans presque y changer un seul mot.
ALGER (FORT NATIONAL)
Jeudi, 15 octobre. Arrivée à Alger.
Taverne Gruber. – De cette chaude salle où je dîne, de cette salle trop éclairée, l’on voit, sur la terrasse, des gens altérés qui s’épongent ; un trottoir ; une rampe ; puis un gouffre de nuit : la mer.
Vendredi matin.
Nuit atroce ; air épais ; sommeil, malgré ma fatigue, déchiqueté par puces, moustiques, punaises, et le vacarme ininterrompu des chantiers.
Couché dès huit heures, à dix heures je me relève, affolé de soif ; tandis qu’il en est temps encore je cours sur le quai prendre des glaces et des bocks.
À six heures je me suis levé, complètement à bout de sommeil. Pas un souffle. À peine une diminution de chaleur après l’accablement, le halètement de la nuit.
Ma chambre, à l’angle de l’hôtel, ouvre sur la terrasse haute, fait face à la ville et domine le port. Au-dessus de la mer, au pied du ciel, une épaisse hauteur de brume, de vapeur, cache le lever du soleil ; on dirait de la chaleur figée.
Il fait sirocco. L’on étouffe. Sur la terrasse, pieds nus ; la dalle est chaude. Tout est terne, les blancs les plus délicats sont flétris. L’on sent que le soleil, sitôt franchi ce mur de brume, va faire la chaleur éclatante. Et d’un bond le soleil le franchit.
Le marché ce matin ; non plus en plein air, hélas ! mais couvert. Fruits de couleur vivante, tomates, aubergines et, couleur d’argile et de peau, des fruits-racines merveilleux qu’il faut pourtant se décider à reconnaître et à nommer pommes de terre.
Bain maure ; ce même bain où, due anni fa, Ghéon me rejoignit plein de colère. Qu’il pleuvait ! Qu’il fait beau ! – Mais les hôtes, hélas ! sont changés ; tout m’y paraît moins neuf ; j’y suis moins jeune.
À la recherche d’une chambre, à Mustapha. Je visite tout, fouille tout. Je pensais, avant d’arriver : n’importe quel lit, n’importe où ; et tout me paraissait possible ; – je commence à ne me croire plus possible nulle part.
Et ces mouches !
Puis descendre au Jardin d’Essai ; le traverser en hâte ; courir jusqu’à la plage… ah ! se baigner !…
Eau tiède ; souffles vifs ; quiétude ; langueur.
Jardin d’Essai, le soir. Allée de bambous déjà sombre… Je m’y suis promené le soir, à l’heure où, dans l’avenue des platanes, à peine on distinguait du tronc des arbres l’épais enveloppement des lianes… Je retourne au Gruber, où j’écris ceci. Je vais dormir.
Mais j’aurai vu, géantes, ces ipomées dont tu parlais. Tiges volubiles, fleurs violet-pourpre ou plus pâles, qui font face toujours ; leur couleur froide peut éblouir !…
Des lontanas géants ; des lauriers-roses ; des hibiscus, feuillage glacé vert, fleur cramoisie.
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