– Dormir.
Samedi.
Trente-neuf degrés à l’ombre. Il n’a pas plu depuis six mois.
L’étrange, l’exténuant, c’est qu’il fait plus chaud la nuit que le jour. Car, le jour, si l’on a le soleil, on a l’ombre, et qu’un souffle par instants vient rafraîchir. Mais, passé six heures du soir, le vent tombe ; une égale obscure chaleur s’établit. Tout prend soif. On songe à se baigner, à boire. On se dit : je ne pourrai pas dormir cette nuit ; et l’on rôde. Le ciel même est impur ; sans préparer aucun orage, ce sont des ternissures de chaleur qui font songer, au-delà du Sahel favorable, au continent énorme embrasé.
Je bois ; je bois ! Comme je bois ! !
Je sue ; je sue ! Comme je sue ! ! !
Je songe aux oasis flétries… là, j’irai ! – Oh ! soirs confus et ternes sur leurs palmes !
Je n’ai pu découvrir encore d’où montait ou tombait cette odeur de santal, qui flotte sous les branches du square, vous enveloppe et vous emplit.
Une heure avant le coucher du soleil, d’invisibles oiseaux, dans les ficus du square commencent un criaillement si aigu que l’arbre tout entier en est ivre.
17 octobre. Samedi.
Le mouvement du port n’arrête pas un instant de la nuit. La terrasse de ma chambre donne au-dessus, et toute la nuit sans sommeil j’entends l’appel des débardeurs, le choc des ballots, les sifflets et surtout l’insupportable trépidation du treuil.
Ce matin j’irai chercher l’air pur et frais dans la montagne ; je pars pour Tizi-Ouzou dès six heures.
Réveil à cinq heures, dans la nuit. Le ciel, uniformément gris, promet une grande chaleur.
Le nuage de chaleur est si bas que du Jardin d’Essai déjà l’on perd de vue la ville haute.
Voici la plage d’or où hier je me baignai. Oh ! qu’à présent la mer serait rafraîchissante ! À peine sur le bord un soulèvement de la vague et comme une respiration de la mer…
Ce wagon de troisième classe semble une léproserie. Dans un coin un paquet de hardes : elles éclosent quand passe l’employé et dedans, on distingue un visage inimaginablement pustuleux ; le contrôleur n’insiste pas. – Un peu plus loin, un Arabe vomit.
Foire à Tizi-Ouzou.
Torrents de poussière sur la route. Vendeurs de petits tas de figues au bord des champs de figuiers. Marchands de melons d’eau, de pastèques. Animation extraordinaire, dont je n’ai vu l’équivalent qu’en Bretagne sur la route de Sainte-Anne, le jour du grand pèlerinage.
Multitude. Ils semblent tous exactement de même classe sociale. Seuls beaux Ali et Saïd ; mais même la beauté de ceux-ci se fond dans la foule homogène.
Saïd me reconnaît sans doute, mais ne le montre guère. C’est au cœur du marché que, guidé par Ali, je le retrouve. Il porte, ainsi qu’Ali son frère, l’énorme et pointu chapeau kabyle sur son turban, ou sur la nuque et retombé sur les épaules. Saïd s’est beaucoup élancé, a les yeux les plus beaux du monde, les traits durs, la bouche cruelle et moqueuse, l’air peu franc. Ses délicats pieds de danseur se sont élargis et désennoblis par la marche ; ils n’eussent dû fouler que des gazons ou des tapis.
Akli, le père, porte des lunettes bleues, a l’air de plus en plus d’un gypaète, ou de quelqu’un qui vous aurait dévalisé. On prend le thé. Je laisse Akli avec Saïd, repars avec Ali qui veut me montrer leur maison.
Nous voici dans une salle carrée, sans meubles. Un agneau bêle dans un coin. À terre, la femme d’Ali, une enfant de seize ans, moins peut-être, donne le sein à un chétif enfant. La mère d’Ali, devant la porte, nourrit un dernier fils. Dans cette étroite demeure, ces trois générations cohabitent. D’autres enfants encore, frères, sœurs, cousins… On m’offre des gâteaux de miel frit.
Sur la route de Fort-National.
Petits ânes chargés, parfois que monte un vieil Arabe ; ils sont gris, ont les membres secs, broutent en passant des glands tombés, des crottins.
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