Petites vaches grises, aux membres secs… La voiture bouscule tout ; nous passons.

Beaux arbres ; certains couverts de pampres jusqu’à la cime. Le terrain dévale ; eux s’élancent ; rien ne les soutient dans l’azur.

Les raisins sont cueillis. S’il pend encore à la branche une grenade, j’en ai soif !

 

J’ai fait par les traverses et presque toute à pied cette longue montée ; elle est très belle. Mais j’eusse souhaité moins intolérablement âcre cet éclat de grenade sauvage que j’arrachai du grenadier. Elle avait crevé de chaleur et montrait ses grains presque blancs. Du suc, elle en avait pourtant ; mais je compris que la soif des Arabes l’eût laissée. Déjà, dans sa sauvagerie, le parfum du fruit s’y révèle, mais qu’il faudra qu’une lente culture sucre, assouplisse et tempère. Pourtant je m’obstinai, mordis encore, et gardai longtemps sur les gencives et les lèvres la sensation d’une astringence aromatique et comme un resserrement savoureux.

 

Fort-National. Dimanche.

Ce matin, au réveil, même brouillard que l’an passé. Quel soulas après cet excès de soleil ! Je m’imbibe voluptueusement.

 

On entend, dès que les bruits voisins s’apaisent, les cris de ce lointain village. J’y suis allé tantôt. On l’aurait cru peuplé de chèvres. Le village étant au haut du roc, une seule rue sur la crête ; par l’ouverture des maisons, le regard, sitôt franchi la cour, plonge dans le vide. Les murs sont blancs de chaux ; les toits, couleur de raisin sec. Les hommes sont laids : les femmes extrêmement belles. Tout un peuple d’enfants me suit. – Que l’air est frais ce soir ! Qu’il fait doux vivre ! De quel charme est le bleu de ciel ! Une visible humidité vous transit d’aise. À quoi tout sourit-il ? Pourquoi tout paraît-il heureux ce soir autant que moi ? –

 

Ce n’est pas l’arrière-saison qui dépouille de leur frondaison ces hauts arbres. L’herbe manque à la faim du bétail, et chaque feuillage y supplée. Voilà ce que broutent ici vaches, chèvres, ânes et bœufs ; la main du Kabyle fait descendre vers eux cette aérienne pâture.

Je me souviens de ce svelte berger, dans les jardins d’El-Kantara, qui, du haut d’un abricotier énorme, pour son troupeau, faisait pleuvoir les feuilles. Déjà colorées par l’automne, sitôt qu’il agitait la branche, elles tombaient. – C’était comme une averse d’or qui couvrait un instant le sol, qu’incontinent séchaient les chèvres.

 

Je voudrais m’attarder encore un jour ou deux dans ce pays ; mais, quand bien j’y vivrais trente ans, je n’en trouverais rien à dire ; pittoresque, à souhait pour roman d’aventures, il ne se dépeint pas, mais se décrit ou se raconte. J’y suis peut-être plus moral ; mais comme artiste je n’y vaux rien.

 

Lundi.

Ce matin il bruine et pleut ; chaque Arabe se couvre d’un sac. Puis le nuage se déchire sous la pression d’une surabondance d’azur. Et cette rue qui forme place, cette terrasse, ce balcon, s’emplit d’une animation idyllique et riante.

Des acacias bordent la place, puis le dévalement brusque ne laisse plus rien voir que la montagne au loin, qui fait face. – Ces enfants désœuvrés ne sont point beaux, mais pleins de grâce. Il souffle doucement une délectable fraîcheur. – Les cimes du Djurdjura sont dans l’ombre.

 

Hier, après dîner, sorti trop tard ; la ville arabe déjà faisait la morte. Les quatre ou cinq cafés français, trop éclairés, crevaient indécemment la nuit. J’ai pris cet escalier suspect qui, derrière eux, mène à la ville haute.