Vers la fin du soir, j’ai retrouvé R. dans la même boutique de Caracous où je l’avais mené le premier jour. Il comprend aussi l’intérêt qu’il y a de revenir régulièrement aux mêmes lieux pour apprendre non beaucoup de figures, mais les apprendre bien, et ne pas seulement voir passer. Les Arabes s’accoutument à vous, on leur paraît moins étranger, et leur habitude, d’abord troublée, se reforme.

 

El-Kantara.

Nous y arrivâmes à la fin du jour – jour splendide. Athman était arrivé là le matin, avait un peu dormi l’après-midi, mais était à la gare depuis une heure à nous attendre. Et cette heure lui semblait longue. – Et pourtant, m’a-t-il dit, je pensais : maintenant plus qu’une heure ; avant c’était toute une année…

Trois burnous ; une gandourah{4} de soie blanche doublée de soie bleue et liserée d’incarnat ; une veste de drap bleu pastel ; l’énorme turban de corde brune serrant l’étoffe blanche et fine qui retombe, frôle la joue et flotte sous le menton. Cette coiffure le métamorphose ; il ne portait encore, l’an passé, à seize ans, que la simple chéchia des enfants ; à dix-sept ans il a voulu le compliqué turban des hommes. Athman a dépensé tout ce qu’il a pour son « costume » ; il s’est fait beau pour le revoir. Sans son accueil, à peine l’aurais-je reconnu.

Le soir arrivait lentement ; nous avons traversé la gorge, et le fabuleux Orient nous est tranquillement apparu dans sa pacifique dorure. Nous sommes descendus sous les palmiers, laissant Athman attendre sur la route la voiture qui devait nous rejoindre. Je reconnaissais tous les bruits – de l’eau courante et des oiseaux. Tout était comme avant, tranquille ; notre arrivée ne changeait rien.

En voiture, nous avons longé l’oasis, assez loin. Au retour le soleil se couchait ; nous nous sommes arrêtés devant la porte d’un café maure, l’heure du Rhamadan passée. Dans la cour, près de nous, des chameaux en rut se battaient. Un gardien criait après eux. Les troupeaux de chèvres rentrèrent.

De toutes les maisons de terre grise, une ténue vapeur monta, une fumée bleue qui bientôt enveloppa, éloigna toute l’oasis. Le ciel, à l’occident, était d’un bleu très pur, si transparent qu’il semblait encore plein de lumière. Le silence devint admirable ; on n’y pouvait imaginer aucun chant. Je sentais que j’aimais ce pays plus qu’aucun autre pays peut-être…

 

Biskra.

Hier, nous étions dans les jardins : nous suivions les allées qui d’abord nous menèrent à N’Msid, puis à Bab{5} el Derb. Nous arrivâmes au vieux fort et rentrâmes par Sidi Barkat. La promenade était longue et M. en fut fatiguée. – Athman était avec nous et R. ; Larbi nous accompagnait. Nous avons pris le café à l’entrée de N’Msid, devant le lit de l’Oued, Laliah, les monts de l’Aurès.

Je n’aime point tant ce paysage que, de l’autre côté, l’étendue vague du désert. Larbi jouait aux dominos avec nous, tricheur et charmant. J’attends Jammes avec une délicieuse impatience. La terre parle ici une langue différente, mais que je comprends maintenant.

Ma chambre, l’an dernier, était au rez-de-chaussée de l’hôtel ; ma fenêtre ouverte, la hauteur de l’appui, seule, me séparait du dehors ; d’un saut l’on pouvait le franchir. Sadeck, le grand frère d’Athman, et quelques autres du vieux Biskra, au temps de Rhamadan, venaient se reposer chez moi avant de regagner leur village. J’avais des dattes, des gâteaux, des sirops et des confitures. C’était la nuit ; Sadeck jouait de la flûte et nous savions rester longtemps silencieux.

La nuit je ne fermais que les volets.