Anthologie de la poésie française (Pléiade)
ANTHOLOGIE
DE LA
POÉSIE FRANÇAISE
CE VOLUME, LE SOIXANTE-QUINZIÈME DE LA « BIBLIOTHÈQUE DE LA PLÉIADE », PUBLIÉE A LA LIBRAIRIE GALLIMARD, A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER SUR BIBLE DES PAPETERIES BOLLORÉ PAR L’IMPRIMERIE DARANTIERE A DIJON, LE TRENTE AVRIL MIL NEUF CENT CINQUANTE-SIX.
ANDRÉ GIDE
ANTHOLOGIE
DE LA POESIE
FRANÇAISE

AVEC UN PRÉFACE
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous les pays, y compris la Russie.
© 1949 by Librarie Gallimard.
Table of Contents
TABLE DE MATIÈRES
PRÉFACE
APPENDICE I : Notes sur quelques poètes
APPENDICE II : Sur une definition de la Poésie
ANTHOLOGIE
RUTEBEUF (1225-1285)
La grièche d'Hiver
La pauvreté Rutebeuf
La complainte Rutebeuf
La mort Rutebeuf
CHARLES D’ORLÉANS (1394-1465)
Le temps a laissié son manteau…
Prenez tost ce baisier, mon cueur…
Complainte
FRANÇOIS VILLON (1431-1489)
Le Petit Testament
Le grand Testament
Ballade des Dames du Temps jadis
Les Regrets de la Belle Heaumière
Ballade que Villon fit à la requête de sa mère, pour prier Notre-Dame
Ballade de Villon et de la Grosse Margot
CLÉMENT MAROT (1495-1544)
Plus ne suis ce que j’ai été
CHARLES FONTAINE (1505-1588)
Chant sur la naissance de Jean, fils de l’auteur
MAURICE SCÈVE (début du XVIe s.-1564)
Délie
Arion
La Saussaie
Microcosme : Le vain travail de voir divers païs…
JACQUES PELLETIER DU MANS (1517-1582)
A ceux qui blament les Mathématiques
L’Alouette
PERNETTE DU GUILLET (1520-1545)
Il n’est besoin que plus je me soucie…
Pour contenter celui qui me tourmente…
C’est un grand mal se sentir offensé…
PONTUS DE TYARD (1521-1605)
Père du doux repos, Sommeil…
PIERRE DE RONSARD (1524-1585)
Vœu
Si je trespasse entre tes bras, Madame…
Quand au temple nous serons…
Je suis plus aise en mon cœur que les Dieux…
Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse…
Chanson
Cesse tes pleurs, mon livre…
Je vous envoye un bouquet, que ma main…
Stances
Quand vous serez bien vieille…
Stances de la Fontaine d’Hélène
Six ans estoient coulez…
Ode à Michel de l’Hopital
Mignonne, allons voir si la rose…
Ah Dieu ! que malheureux nous sommes…
Contre denise, Sorcière
J’ay l’esprit tout ennuyé…
Du malheur de recevoir…
Celuy qui est mort aujourd’huy…
Les espics sont à Cerés…
Bel aubepin, fleurissant…
Discours en forme d’élégie
Discours
Escoute, bucheron, arreste un peu le bras…
Hymne de l’Éternité
Les Démons
Hymne de l’Été
Hymne de l’Automne
Hymne de l’Hiver
Hymne de Bacchus
Hymne de la Mort
Discours à très illustre et vertueuse princesse Marie Stuart
Discours à Scevole de Sainte-Marthe
L’Hylas
Excellence de l’Esprit
Réponse aux Injures et Calomnies
JOACHIM DU BELLAY (1525-1560)
La Musagnœomachie
Contre les Poètes envieux
Tombeau de Marguerite de Navarre
Prosphonématique au Roi Très Chrétien Henri II
La Complainte du Désespéré
L’Olive : Le fort sommeil, que céleste on doibt croyre…
J’ay veu, Amour…
Seul et pensif par la déserte plaine…
Si nostre vie est moins qu’une journée…
Les Regrets : France, mère des arts…
Heureux, de qui la mort…
Heureux qui, comme Ulysse…
Comme le marinier, que le cruel orage…
Et je pensois aussi ce que pensoit Ulysse…
Les Louanges d’amour
Du Retour du Printemps
D’un Vanneur de blé, aux Vents
Autre Baiser
LOUISE LABÉ (1526-1566)
Sonnets : On voit mourir toute chose animée…
Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie…
Tout aussitôt que je commence à prendre…
Oh ! si j’étais en ce beau sein ravie…
Tant que mes yeux pourront larmes épandre…
JACQUES TAHUREAU (1527-1555)
Chanson à L’Admirée
Baisers
Qui a leu comme Venus…
REMY BELLEAU (1528-1577)
Le Désir
Douce et Belle Bouchelette…
OLIVIER DE MAGNY (1529-1561)
Sonnet à Mesme
JEAN-ANTOINE DE BAÏF (1532-1589)
Tout s’échauffe d’amour…
Muse Royne d’Elicon…
A fin que pour jamais une marque demeure…
ETIENNE JODELLE (1532-1573)
Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde…
JEAN PASSERAT (1534-1602)
Ode en vers saphiques
De toute amoureuse poursuite…
Prières de Passerat mourant
Épitaphe
ROBERT GARNIER (1535-1601)
Élégie sur la mort de Ronsard
VAUQUELINDE LA FRESNAYE (1535-1607)
Du paresseux sommeil où tu gis endormie…
AMADIS JAMYN (1538-1592)
Des Esprits des Morts
PHILIPPE DESPORTES (1546-1606)
Icare est cheut icy, le jeune audacieux…
Voicy du gay printans l’heureux advenement…
Ma nef passe au deêtroit d’une mer courroucée…
Las ! je ne verray plus ces soleils gracieux…
Comme dedans un bois enrichy de fueillage…
Le tens leger s’enfuit…
Dieux ! que de tourbillons, de gresle et de nuages…
Ceux qui liront ces vers qu’en pleurant j’ai chantés…
Las ! que nous sommes miserables…
D’une fontaine
Villanelle
Depuis six mois entiers que ta main courroucée…
Des abysmes d’ennuis…
AGRIPPA D’AUBIGNÉ (1551-1630)
Le Printemps
A l’escler viollant de ta face divine…
Les Tragiques
L’Hiver
Liberté douce et gratieuse…
Pleurez avec moi tendres fleurs…
Consolation à Mlle de Saint-Germain
Vision funèbre de Suzanne
Extase
Méditation et prière
Préparatif à la Mort
FRANÇOIS DE MALHERBE (1555-1628)
Consolation à M. du Perier
Stances aux ombres de Damon
Prière pour le Roi allant en Limousin
Ode au feu Roi sur l’heureux succès du Voyage de Sedan
Stances au Roi Henri le Grand
Vers funèbres sur la mort de Henri le Grand
Ode à la reine Marie de Médicis
Sus debout la merveille des belles…
Pour la Reine mère du Roi
Ode au Roi Louis XIII
Stances (paraphrase d’une partie du Psaume CXLV)
JACQUES DAVY DU PERRON (1556-1618)
Au bord tristement doux des eaux, je me retire…
JEAN DE SPONDE (1557-1594)
Je meurs, et les soucis qui sortent du martyre…
Les vents grondoyent en l’air, les plus sombres nuages…
MATHURIN RÉGNIER (1573-1613)
Quand sur moy je jette les yeux…
Épitaphe de Régnier
FRANÇOIS MAYNARD (1582-1646)
Mon Ame, il faut partir…
HONORAT DE RACAN (1589-1670)
Les Bergeries
Thirsis, il faut penser à faire la retraite…
Psaume XXII : Loin de moy, tragiques pensées…
Psaume XLIII : Les enfants d’âge en âge apprendront de leurs pères…
Psaume XLVIII
THÉOPHILE DE VIAU (1590-1626)
La Solitude
La Maison de Sylvie
Chaste oyseau, que ton amitié…
Ode VIII
Maintenant que Cloris a juré de me plaire…
Cloris, lorsque je songe, en te voyant si belle…
Lettre à son Frère
Un fier démon qui me menace…
TRISTAN L’HERMITE (1601-1655)
Le Promenoir des deux Amants
DES BARREAUX (1602-1673)
Grand Dieu, tes jugements…
Trompeurs miroirs des cœurs…
R. P. CYPRIEN (1605-1680)
Cantique entre l’ame et Jésus-Christ son époux
JEAN DE LA FONTAINE (1621-1695)
Discours à Mme de la Sablière
Psyché
Adonis
Le Loup et l’Agneau
Le Chat, la Belette et le petit Lapin
Le Héron — La Fille
Les deux Amis
Discours à Mme de la Sablière
Le Songe d’un habitant du Mogol
Le Paysan du Danube
La Matrone d’Éphèse
Le Faucon
LAURENT DRELINCOURT (1626-1680)
Sur le voyage de la Madeleine au sépulcre de Notre-Seigneur
NICOLAS BOILEAU (1636-1711)
Art poétique
Satires
Épitres
A mon jardinier
JEAN RACINE (1639-1699)
Cantiques spirituels
I. — A la louange de la Charité
II. — Sur le bonheur des justes et sur le malheur des réprouvés
III. — Plainte d’un Chrétien sur les contrariétés qu’ll éprouve au dedans de lui-même
IV. — Sur les vaines occupations des gens du siècle
JEAN-FRANÇOIS DUCIS (1733-1816)
Heureuse solitude…
FLORIAN (1755-1794)
La Carpe et les Carpillons
L’Aveugle et le Paralytique
Le Grillon
Le Lapin et la Sarcelle
ANDRÉ CHÉNIER (1762-1794)
Pasiphaé
Néære
La jeune Tarentine
La Mort d’Hercule
Néære, ne va plus te confier aux flots…
Accours, jeune Chromis…
Toujours ce souvenir m’attendrit…
Sous le roc sombre et frais d’une grotte ignorée…
Hermès
L’Astronomie
MARCELINE DESBORDES-VALMORE (1786-1859)
Rêve intermittent d’une nuit triste
Le Mal du Pays
Qu’en avez-vous fait ?
Souvenir
L’absence
Les Roses de Saadi
ALPHONSE DE LAMARTINE (1790-1869)
Le Désert, ou l’immatérialité de Dieu
Le Soir
Le Vallon
L’Enthousiasme
Le Lac
Le Papillon
Chant d’amour
Pourquoi mon ame est-elle triste ?
Jocelyn
Les Visions
Vers sur un album
CASIMIR DELAVIGNE (1793-1843)
Les Limbes
Aux ruines de la Grèce païenne
ALFRED DE VIGNY (1797-1863)
Moïse
Éloa
La Maison du Berger
La Colère de Samson
Le Mont des Oliviers
La Bouteille à la mer
VICTOR HUGO (1802-1885)
NOTES
PRÉFACE
Boswell : Then, Sir, what is poetry ?
Johnson : Why, Sir, it is much easier to say what it is not. We all know what light is ; but it is not easy to tell what it is.
Boswell, 11 avril 1776.
I
En 1917, me trouvant à Cambridge, je fus aimablement convié à un de ces lunchs cérémonieux que donnent, régulièrement je crois, les membres de l’Université. L’aspect de l’immense salle où le repas était servi, aussi bien que la dignité des convives et leur costume, imposait aux propos un ton quelque peu solennel. M'étant mis fort tard à l'anglais, je le parlais alors très mal, le comprenais plus mal encore. Pourtant j'avais comme voisin de table A. E. Housman, dont un petit volume de vers, The Shropshire Lad, avait récemment fait mes délices, y aurais pris plaisir à le lui dire. Housman s’y montrait, sinon de grande envergure, du moins « poète pur », comme nous disons aujourd'hui, et délicat musicien. Qu’il fût de plus un esprit des mieux cultivés, c’est ce qui devait m’apparaître par la suite ; en attendant qu'il lui plût de me le montrer, je restais gêné, doutant même s'il comprenait le français et n'osant me risquer à le complimenter dans sa langue. Depuis le commencement du repas, c’est-à-dire depuis un temps qui me paraissait interminable, nous reliions donc silencieux l’un et l’autre et ma gêne était près de devenir intolérable, lorsque Housman, se tournant vers moi brusquement, me dit enfin, en un français impeccable et presque sans aucun accent :
— Comment expliquez-vous, M. Gide, qu’il n’y ait pas de poésie française ?
Et comme, interloqué, j’hésitais à le comprendre, il précisa :
— L’Angleterre a sa poésie, l’Allemagne a sa poésie, l’Italie a sa poésie. La France n’a pas de poésie…
Il vit assurément que je doutais si je devais prendre ces derniers mots pour une boutade impertinente, et continua de sorte que je ne pusse croire, de sa part, à de l’ignorance :
— Oh, je sais bien, vous avez eu Villon, Baudelaire…
J’entrevis aussitôt ce à quoi il tendait, et pour m’en assurer :
— Vous pourriez ajouter Verlaine, dis-je.
— Assurément, reprit-il ; quelques autres encore ; je les connais. Mais, entre Villon et Baudelaire, quelle longue et confiante méprise a fait considérer comme poèmes des discours rimés où l’on trouve de l’esprit, de l’éloquence, de la virulence, du pathos, mais jamais de la poésie.
Je ne sais pas trop ce que je répondis et n’ai pas gardé souvenir bien net de la suite de notre entretien, mais je l’imagine sans peine. Il pourrait se poursuivre ainsi :
— Mais d’abord qu’est-ce que la poésie ?
— L’on n’en sait parbleu rien, et c’est tant mieux, car cela permet la méprise. La littérature naît toujours d’un malentendu. (Il va sans dire que ces propos paradoxaux, je les prête à l’autre, réservant pour les miens une apparence de raison. C’est ainsi que je riposterais :)
— L’idée que se fait un peuple cultivé de ce qu’est ou de ce que doit être la poésie varie à chaque génération ; tout comme, en un même temps, elle varie de peuple à peuple.
— Elle n’a pas sensiblement varié pour la France. Depuis Villon et jusqu’à la période romantique, certaine ingéniosité verbale, l’art de dire avec élégance et esprit des fadaises, vous a masqué la pénible déficience de votre sentiment lyrique.
— Puis nos grands romantiques sont venus à la rescousse et ont généreusement bouleversé tout cela.
— Permettez, (dirait Housman aujourd’hui) c’est précisément à vos grands romantiques qu'en ont vos plus récents théoriciens. Ils se refusent à considérer l’abondante rhétorique de ceux-ci comme un asile possible pour le lyrisme. De sorte qu’aujourd’hui, vous ne savez plus du tout à quoi vous en tenir.
— Tout est remis en question, comme il sied. J’étais près de vous accorder que le peuple français était assez peu chanteur de nature. « De toutes les nations polies, la nôtre est la moins poétique », écrivait Voltaire (et son œuvre lyrique en donnait la preuve ). Sans doute cette déficience même du sentiment lyrique dont vous parliez, et que Thierry Maulnier, dans son Introduction à la Poésie française, constate également et commente fort bien, cette déficience sans doute nous valut-elle des règles prosodiques beaucoup plus strictes que ne furent celles des peuples voisins.
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