Je vais au mur céramique pour y chercher mon nom écrit.

-Mousarion ! D'où viens-tu, ma petite ?

-du phare. Il n'y a personne là-bas.

-qu'est-ce que tu dis ? Il n'y a qu'à pêcher, tellement c'est plein.

-pas de turbots pour moi. Aussi je vais au mur.

Venez. " en chemin, Séso raconta de nouveau le projet de banquet chez Bacchis.

" ah ! Chez Bacchis ! S'écria Mousarion. Tu te rappelles le dernier dîner, Tryphéra : tout ce qu'on a dit de Chrysis ?

-il ne faut pas le répéter, Séso est son amie. " Mousarion se mordit les lèvres ; mais déjà Séso s'inquiétait :

" quoi ? Qu'est-ce qu'on a dit ?

-oh ! Des méchancetés.

-on peut parler, déclara Séso. Nous ne la valons pas, à nous trois. Le jour où elle voudra quitter son quartier pour se montrer à Brouchion, je connais de nos amants qui ne nous reverront plus.

-oh ! Oh !

-certainement. Je ferais des folies pour cette femme-là. Il n'y en a pas de plus belle ici, croyez-le. " les trois jeunes filles étaient arrivées devant le mur céramique. D'un bout à l'autre de l'immense paroi blanche, des inscriptions se succédaient, écrites en noir. Quand un amant désirait se présenter à une courtisane, il lui suffisait d'écrire leurs deux noms avec le prix qu'il proposait ; si l'homme et l'argent étaient reconnus dignes, la femme restait debout sous l'affiche en attendant que l'amateur revînt.

" regarde, Séso ! Dit en riant Tryphéra. Quel est le mauvais plaisant qui a écrit cela ? " et elles lurent en grosses lettres :

Bacchis
Thersite
2 oboles

" il ne devrait pas être permis de se moquer ainsi des femmes. Pour moi, si j'étais le rhymarque, j'aurais déjà fait une enquête. " mais plus loin, Séso s'arrêta devant une inscription plus sérieuse.

SESO DE CNIDE
TIMON, FILS DE LYSIAS
1 MINE

Elle pâlit légèrement.

" je reste " , dit-elle.

Et elle s'adossa au mur, sous les regards envieux des passantes.

Quelques pas plus loin, Mousarion trouva une demande acceptable, sinon aussi généreuse. Tryphéra revint seule sur la jetée.

Comme l'heure était avancée, la foule se trouvait moins compacte. Cependant les trois musiciennes continuaient de chanter et de jouer de la flûte.

Avisant un inconnu dont le ventre et les vêtements étaient un peu ridicules, Tryphéra lui frappa sur l'épaule.

" eh bien, petit père ! Je gage que tu n'es pas un Alexandrin, hé !

-en effet, ma fille, répondit le brave homme. Et tu l'as deviné. Tu me vois tout surpris de la ville et des gens.

-tu es de Boubaste ?

-non. De Cabasa. Je suis venu ici pour vendre des graines et je m'en retournerai demain, plus riche de cinquante-deux mines. Grâces soient rendues aux dieux ! L'année a été bonne. " Tryphéra se sentit soudain pleine d'intérêt pour ce marchand.

" mon enfant, reprit-il avec timidité, tu peux me donner une grande joie. Je ne voudrais pas retourner demain à Cabasa sans dire à ma femme et à mes trois filles que j'ai vu des hommes célèbres. Tu dois connaître des hommes célèbres ?

-quelques-uns, dit-elle en riant.

-bien. Nomme-les-moi s'ils passent par ici. Je suis sûr que j'ai rencontré depuis deux jours dans les rues les philosophes les plus illustres et les fonctionnaires les plus influents. C'est mon désespoir de ne pas les connaître.

-tu seras satisfait. Voici Naucratès.

-qui est-ce Naucratès ?

-c'est un philosophe.

-et qu'enseigne-t-il ?

-qu'il faut se taire.

-par Zeus, voilà une doctrine qui ne demande pas un grand génie, et ce philosophe-là ne me plaît point.

-voici Phrasilas.

-qui est-ce Phrasilas ?

-c'est un sot.

-alors, que ne le laisses-tu passer ?

-c'est que d'autres le tiennent pour éminent.

-et que dit-il ?

-il dit tout avec un sourire, ce qui lui permet de faire entendre ses erreurs pour volontaires et ses banalités pour fines.