Victor Hugo.
[iv]
projet de préface pour
les fleurs du mal
(à fondre peut-être avec d’anciennes notes)
S’il y a quelque gloire à n’être pas compris, ou à ne l’être que très peu, je peux dire, sans vanterie, que, par ce petit livre, je l’ai acquise et méritée d’un seul coup. Offert plusieurs fois de suite à divers éditeurs qui le repoussaient avec horreur, poursuivi et mutilé, en 1857, par suite d’un malentendu fort bizarre, lentement rajeuni, accru et fortifié pendant quelques années de silence, disparu de nouveau, grâce à mon insouciance, ce produit discordant de la Muse des Derniers jours, encore avivé par quelques nouvelles touches violentes, ose affronter aujourd’hui pour la troisième fois le soleil de la sottise.
Ce n’est pas ma faute; c’est celle d’un éditeur insistant qui se croit assez fort pour braver le dégoût public. “Ce livre restera sur toute votre vie comme une tache”, me prédisait, dès le commencement, un de mes amis qui est un grand poète. En effet, toute mes mésaventures lui ont, jusqu’à présent, donné raison. Mais j’ai un de ces heureux caractères qui tirent une jouissance de la haine et qui se glorifient dans le mépris. Mon goût diaboliquement passionné de la bêtise me fait trouver des plaisirs particuliers dans les travestissements de la calomnie. Chaste comme le papier, sobre comme l’eau, porté à la dévotion comme une communiante, inoffensif comme une victime, il ne me déplairait pas de passer pour un débauché, un ivrogne, un impie et un assassin.
Mon éditeur prétend qu’il y aurait quelque utilité, pour moi comme pour lui, à expliquer pourquoi et comment j’ai fait ce livre, quels ont été mon but et mes moyens, mon dessein et ma méthode. Un tel travail de critique aurait sans doute quelques chances d’amuser les esprits amoureux de la rhétorique profonde. Pour ceux-là, peut-être l’écrirai-je plus tard et le ferai-je tirer à une dizaine d’exemplaires. Mais, à un meilleur examen, ne paraît-il pas évident que ce serait là une besogne tout à fait superflue, pour les uns comme pour les autres, puisque les uns savent ou devinent, et que les autres ne comprendront jamais? Pour insuffler au peuple l’intelligence d’un objet d’art, j’ai une trop grande peur du ridicule, et je craindrais, en cette matière, d’égaler ces utopistes qui veulent, par un décret, rendre tous les Français riches et vertueux d’un seul coup.
Et puis, ma meilleure raison, ma suprême, est que cela m’ennuie et me déplaît. Mène-t-on la foule dans les ateliers de l’habilleuse et du décorateur, dans la loge de la comédienne? Montre-t-on au public affolé aujourd’hui, indifférent demain, le mécanisme des trucs? Lui explique-t-on les retouches et les variantes improvisées aux répétitions, et jusqu’à quelle dose l’instinct et la sincérité sont mêlés aux rubriques et au charlatanisme indispensable dans l’amalgame de l’œuvre? Lui révèle-t-on toutes les loques, les fards, les poulies, les chaînes, les repentirs, les épreuves barbouillées, bref toutes les horreurs qui composent le sanctuaire de l’art?
D’ailleurs telle n’est pas, aujourd’hui, mon humeur. Je n’ai désir ni de démontrer, ni d’étonner, ni d’amuser, ni de persuader. J’ai mes nerfs, mes vapeurs. J’aspire à un repos absolu, et à une nuit continue. Chantre des voluptés folles du vin et de l’opium, je n’ai soif que d’une liqueur inconnue sur la terre, et que la pharmaceutique céleste elle-même ne pourrait pas m’offrir — d’une liqueur qui ne contiendrait ni la vie/ vitalité ni la mort, ni l’excitation, ni le néant. Ne rien savoir, ne rien enseigner, ne rien vouloir, ne rien sentir, dormir et encore dormir, tel est aujourd’hui mon unique vœu. Vœu infame et dégoûtant, mais sincère.
Toutefois, comme un goût supérieur nous apprend à ne pas craindre de nous contredire un peu nous-mêmes, j’ai rassemblé, à la fin de ce livre abominable, les témoignages de sympathie de quelques-uns des hommes que je prise le plus, pour qu’un lecteur impartial en puisse inférer que je ne suis pas absolument digne d’excommunication et qu’ayant su me faire aimer de quelques-uns, mon cœur, quoi qu’en ait dit je ne sais plus quel torchon imprimé, n’a peut-être pas “l’épouvantable laideur de mon visage”.
Enfin, par une générosité peu commune, dont MM. les critiques…
Comme l’ignorance va croissant…
Je dénonce moi-même les imitations…
[iv]
projeto de prefácio para
as flores do mal
(a fundir talvez com notas antigas)
Se há alguma glória em não ser compreendido, ou em só o ser muito pouco, posso dizer, sem vanglória, que com este pequeno livro eu a adquiri e mereci de uma só vez. Oferecido várias vezes seguidas a diversos editores que o rejeitavam com horror, perseguido e mutilado, em 1857, como resultado de um mal-entendido muito estranho, lentamente rejuvenescido, aumentado e fortalecido durante alguns anos de silêncio, de novo desaparecido, graças a minha indiferença, esse produto discordante da Musa dos últimos dias, ainda avivado por algumas novas pinceladas violentas, ousa afrontar hoje pela terceira vez o sol da besteira.
Não é minha culpa; é a de um editor insistente, que se julga suficientemente forte para enfrentar o desagrado público. “Este livro ficará como uma mancha sobre toda a tua vida”, predizia-me, desde o começo, um de meus amigos que é um grande poeta. De fato, todas as minhas desventuras deram-lhe razão, até agora. Tenho, porém, um desses felizes caracteres que extraem prazer do ódio e que se glorificam no desprezo. Meu gosto diabolicamente apaixonado pela besteira faz-me encontrar prazeres particulares nos disfarces da calúnia. Casto como papel, sóbrio como água, levado à devoção como uma comungante, inofensivo como uma vítima, não me desagradaria passar por um devasso, um bêbado, um ímpio e um assassino.
Meu editor supõe que haveria alguma utilidade, para mim como para ele, em explicar por que e como fiz este livro, quais foram meu objetivo e meus meios, meu intento e meu método. Esse trabalho de crítica teria sem dúvida algumas possibilidades de agradar aos espíritos apreciadores da retórica profunda. Para eles eu talvez o escreva mais tarde, e dele publicarei uma dezena de exemplares. Mas, a um melhor exame, não parece evidente que essa seria uma tarefa inteiramente supérflua, para uns como para outros, já que uns sabem ou pressentem e outros jamais compreenderão? Para insuflar nas pessoas a inteligência de um objeto de arte, tenho medo enorme do ridículo, e temeria, nessa matéria, igualar esses utopistas que querem, por um decreto, tornar todos os franceses ricos e virtuosos de uma vez só.
Além do mais, minha melhor razão, minha suprema razão, é que isso me entedia e me desagrada.
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