Burroughs compose alors une intrigue située dans le cadre et l’atmosphère de la Guerre des Deux Roses. Sa mise au point exige la réunion d’une abondante documentation historique, mais dix-sept jours lui suffisent – du 7 au 23 novembre 1911 – pour en faire un roman qu’il intitule THE OUTLAW OF TORN[1].
Entre-temps, une nouvelle coupure s’est produite dans sa vie quotidienne. Les taille-crayons n’ont rencontré qu’indifférence. Il cherche alors et trouve rapidement un emploi car il ne croit absolument pas à la possibilité de vivre uniquement de sa plume. Les événements semblent le confirmer dans cette sage attitude : Metcalf lui renvoie avec les regrets d’usage, le manuscrit de THE OUTLAW OF TORN, peu après l’avoir reçu. Le dernier gagne-pain de Burroughs, chez A.W. Shaw and Co. éditeurs d’un journal économique « System, the magazine of business », consiste à aider les annonceurs à rédiger leurs insertions de façon percutante.
Le rejet de son récit historique ne l’a pas découragé, puisque trois semaines après en avoir écrit la dernière ligne, et sans doute peu de jours après le retour du manuscrit, il commence le 1er décembre un troisième roman auquel il consacre dimanches et veillées durant six mois avant de l’achever, le 14 mai 1912. Rédigé au dos de vieux papiers à en-tête, TARZAN OF THE APES a pour propos de décrire l’opposition de l’hérédité et du milieu ambiant, à travers l’histoire d’un enfant descendant de nobles anglais, élevé parmi des singes. En l’absence de Metcalf, son remplaçant Bob Davis, accueille avec enthousiasme cet essai insolite, le paie sept cents dollars et l’inscrit au sommaire de « All Story » d’octobre 1912, où il paraîtra avec la mention « by Edgar Rice Burroughs (Norman Beau) ».
Entre-temps, aux lecteurs de « All Story », qui témoignent de leur satisfaction dans le courrier du numéro de septembre et réclament d’autres histoires de M. Norman Bean, la rédaction répond qu’elle a enfin reçu la visite de ce dernier dont le vrai nom est Edgar Rice Burroughs et qu’un nouveau roman de lui, ayant pour cadre l’Afrique, paraîtra le mois prochain. Informé des réactions favorables des admirateurs de John Carter, Burroughs imagine sans aucun complexe sa résurrection dans un second épisode de ses aventures, GODS OF MARS, qu’ils pourront lire en janvier 1913. Ce même mois, par contre, Metcalf revenu à son poste refuse la suite de TARZAN OF THE APES auquel l’auteur a donné un titre français monsieur tarzan (en raison du séjour du héros à Paris).
Mais la chance a tourné : ce roman éconduit paraît dès le mois suivant dans « New Story » qui l’a acheté mille dollars et rebaptisé THE RETURN OF TARZAN. Février est marqué par plusieurs autres événements, la décision de Burroughs de se consacrer à son œuvre, et deux naissances : dans sa vie vécue, un second fils, John Coleman ; dans sa vie rêvée, un nouveau monde situé au cœur de la terre, Pellucidar.
Délivrée des entraves que lui opposaient les soucis alimentaires, son imagination déborde au cours de cette seule année 1913 dans sept romans : AT THE EARTH’S CORE (écrit en janvier-février), THE CAVE GIRL (écrit en février-mars) ; THE MONSTER MEN (écrit du 31 mars au 10 mai) ; THE WARLORD OF MARS (écrit du 7 juin au 8 juillet) ; THE MUCKER (écrit du 16 août au 9 octobre) ; THE MAD KING (écrit du 26 octobre au 24 novembre) ; THE ETERNAL LOVER (écrit du 27 novembre au 17 décembre 1913). Les magazines se les arrachent à peine terminés. Mais aucun de ces écrits n’a encore connu les honneurs de l’édition et Burroughs s’en afflige, maintenant qu’il a pris au sérieux son métier.
Les éditeurs qui prétendent connaître le leur, considèrent la littérature des « pulps » comme un sous-produit vulgaire. Burroughs s’est pourtant bien gardé de leur présenter l’invraisemblable et déraisonnable aventure de John Carter. Il offre au contraire la destinée émouvante et les fiers sentiments du descendant des nobles anglais dont le bon sang ne peut mentir. Mais c’est en vain. L’un d’eux, Mac Clurg, pour motif de son refus précise que le sujet proposé est trop irréaliste, trop fantastique. Puisqu’on le considère comme un feuilletoniste, l’auteur va donc exploiter les possibilités du feuilleton. Sous cette forme, J.H. Tennant, directeur de la rédaction du grand quotidien new yorkais « The Evening World », accepte de publier TARZAN OF THE APES du 6 janvier au 27 février 1913. Pour la première fois, l’œuvre de Burroughs atteint un large public, aussitôt sensibilisé, réclamant une suite et s’étonnant de ne pas trouver le livre chez les libraires. Mac Clurg revient alors sur son refus et se décide à lancer en juin 1914 une édition de TARZAN prudemment tirée à mille exemplaires, qui aussitôt enlevés sont suivis de cinq mille autres trois semaines plus tard ; un nouveau tirage beaucoup plus important étant effectué également dès les premiers jours de 1915. Mais il consent seulement en octobre 1917, à éditer sous le titre de PRINCESS OF MARS, la première histoire écrite par Burroughs en 1911.
Les succès de librairie remportés par TARZAN OF THE APES et les sollicitations des directeurs de magazine – les rôles sont renversés – autorisent Burroughs à des goûts de luxe : il achète une automobile et, trouvant soudain les hivers très froids à Chicago, décide de les passer en Californie. Il hivernera donc en famille à Coronado et à San Diego de 1914 à 1917. Du 14 septembre 1918 au 2 janvier 1919, il revêt un uniforme de major et séjourne dans la milice de réserve de l’Illinois, 2e régiment d’infanterie, 1er bataillon. En Europe, c’est la guerre.
En 1918, le cinéma s’empare – sans trop de brutalité d’abord – du personnage de l’homme-singe. L’auteur fait ainsi la connaissance de Hollywood et des studios, inaugurant avec eux sans le savoir, une longue inimitié qui plus tard guidera l’ironie amère de TARZAN ET L’HOMME LION. Il sympathise en revanche avec les paysages voisins de Los Angeles et cherche une propriété à vendre. Elmo Lincoln, premier interprète de Tarzan, lui indique un bon agent immobilier.
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