Il y avait sur cette voie quelque chose comme deux mille coolies… rappelez-vous ça. Et voilà qu’une cloche tinte, et qu’ils s’encourent vers un grand hangar de paye.

« Où est le blanc de service ? que je dis à mon conducteur de chariot. – Dans le hangar, qu’il me répond, occupé à une lotirie. – À quoi ? que je dis.

— Lotirie, qu’il dit. Vous prendre billet. Lui prendre argent. Vous avoir rien. – Aha ! que je dis. C’est ce qu’un homme supérieur et cultivé appelle une loterie, ignorant enfant des ténèbres du péché. » Conduis-moi à cette loterie, bien que je ne voie pas du tout ce que ce méfait vient faire si loin de sa vraie place… qui est le bazar de charité de Noël, où la femme du colonel vous sourit de derrière la table à thé. » Là-dessus j’allai au hangar et découvris que c’était le jour de paye pour les coolies. Leurs salaires se trouvaient sur une table devant un gros et solide gaillard… un rougeaud de sept pieds de haut, quatre de large, et trois d’épaisseur, avec un poing comme un sac de blé. Il payait bel et bien les coolies, mais il demandait à chaque homme s’il voulait jouer à la loterie ce mois-ci, et chaque homme disait « Oui », comme de juste. Alors il déduisait de leur salaire en conséquence. Quand tous furent payés, il remplit à ras une vieille boîte à cigares de bourres de fusil et les dispersa parmi les coolies. Ils ne prenaient pas grand plaisir à ce jeu-là, et ce n’est guère étonnant. Un homme tout près de moi ramasse une bourre noire et s’écrie : « Je l’ai gagnée ! – Grand bien te fasse », que je lui dis. Le coolie s’avança vers ce gros gaillard rougeaud, qui écarta une bâche, découvrant ainsi la chaise à porteurs la plus somptueusement orfévrie, la plus émaillée de diables que j’aie jamais vue.

— Une chaise à porteurs ! Cache-toi la figure. C’était un palanquin. Tu ne reconnais donc pas un palanquin quand tu le vois ? dit Ortheris avec beaucoup de mépris.

— Et moi je l’appelle chaise à porteurs, et chaise à porteurs ce sera, mon petit homme, reprit l’Irlandais. C’était une chaise très étonnante… toute doublée de soie rose et garnie de rideaux de soie rouge. « La voilà, que dit le rougeaud. – La voilà, que disent les coolies en souriant jaune. – Peut-elle te servir à quelque chose ? que dit le rougeaud. – Non, que dit le coolie ; j’aimerais vous en faire cadeau. – Je l’accepte très volontiers », que dit le rougeaud. Et là-dessus tous les coolies de pousser des cris sur un ton prétendument joyeux, et s’en retournant à leurs terrassements ils me laissèrent seul dans le hangar. Le rougeaud me vit, et sa figure tourna au blanc sur son gros cou apoplectique. « Que venez-vous chercher ici ? qu’il me dit. – Un abri et rien de plus, que je réponds, si ce n’est peut-être ce que vous n’avez jamais eu, c’est-à-dire de la politesse, scélérat de faiseur de loteries, car je n’étais pas disposé à laisser marcher sur le pied à l’uniforme. – Hors d’ici, qu’il dit. C’est moi qui ai la surveillance de ce chantier de construction, qu’il dit.