Puis Callaghan revint à la charge.

— Si vous aviez l’intention de me présenter des vœux, pourquoi avez-vous attendu le milieu de la nuit pour le faire ? Un anniversaire, à minuit, c’est terminé !

— Je le sais. Mais j’avais besoin de voir Ferdinand et c’est chez lui que je me suis dit que j’aimerais vider un godet avec vous à l’occasion de votre anniversaire. Voilà...

Callaghan ne répliqua pas. Il alluma une cigarette et tous deux fumèrent sans mot dire pendant quelques minutes.

— Cette Doria Varette, soupira Callaghan, est une femme formidable !

Gringall leva vers lui des yeux surpris.

— Alors, finalement, vous êtes allé chez Ferdie ?

— Oui. En y arrivant, j’ai appris que vous étiez parti. Mais Ferdinand m’a invité à prendre quelque chose. C’est comme ça que j’ai entendu le tour de chant de Doria...

Gringall ricana doucement.

— Eh bien, j’ai donc effectivement contribué à embellir le jour de votre anniversaire !

— Je me le demande.

Gringall se mit à dessiner une pastèque sur le buvard de son sous-main.

— Pourquoi n’en êtes-vous pas sûr ?

— Figurez-vous que l’idée m’est venue tout d’un coup de lui faire porter un mot. Elle est venue prendre un verre chez moi. Et là, elle m’a demandé de lui retrouver quelqu’un, un type qu’elle a des raisons de croire disparu.

— Eh bien ! voilà une affaire qui vous tombe du ciel ! Félicitations.

— Une affaire qui me paraît drôle... Et c’est pour ça que je suis ici...

Gringall, en ayant terminé avec la pastèque, commença à dessiner une tomate.

— Et pourquoi cette affaire vous paraît-elle drôle ?

— Parce que, lorsqu’on veut retrouver quelqu’un, normalement c’est à la police qu’on s’adresse. Elle dispose de moyens qui manquent à un simple détective privé.

Gringall lâcha son crayon.

— Je me demande si je rêve ! Vous avez bien avoué qu’il y a quelque chose que nous faisons mieux que vous ?

— Ce n’est pas ce que j’ai dit.

Gringall sourit et ralluma sa pipe.

— Quoi qu’il en soit, il y a peut-être du vrai dans votre remarque.

— D’autre part, si ce Wilbery a disparu – c’est son nom, autant que je me souvienne –, pourquoi sa famille, s’il en a une, ne s’inquiète-t-elle pas de lui ?

— Très juste. Et Doria Varette, pourquoi s’intéresse-t-elle à ce Wilbery ?

— Elle l’aime.

— Bon... Eh bien, nous allons voir ça... C’est comment le nom ?

Callaghan donna à l’inspecteur le nom et l’adresse de Lionel Wilbery.

Gringall appuya sur un bouton placé sur son bureau. Un agent entra, à qui il remit la note qu’il venait d’écrire.

— Regardez s’il y a quelque chose à ce nom dans nos dossiers. Voyez aussi si la disparition de ce type a été signalée ou s’il nous a été demandé quelque chose à son sujet.

L’agent parti, Callaghan remercia Gringall.

— C’est très chic, ce que vous faites là.

— Pas du tout ! Peut-être qu’un jour il vous arrivera, à vous aussi, de tenter quelque chose pour moi !

Callaghan alluma une nouvelle cigarette, tandis que Gringall, se levant, allait à la fenêtre. Il y eut un long silence.

Cette fois, ce fut Gringall qui le rompit.

— Dites donc, Slim, tout bien réfléchi, vous continuez à vous défendre gentiment !

Callaghan soupira avec ostentation.

— Ce que les flics peuvent être mystérieux et sibyllins ! Qu’est-ce que ça signifie ce que vous venez de dire ?

Gringall le regardait en souriant.

— Voulez-vous que nous nous risquions ensemble à quelques petites déductions logiques ?

— Allez-y !

— Bon... Hier soir, vous allez dans une boîte de nuit et vous y rencontrez une jolie personne qui vous accompagne chez vous. Elle vous accompagne, d’abord parce qu’elle en pince pour votre silhouette et, aussi, parce qu’elle a un service à vous réclamer. Elle veut que vous lui retrouviez un certain Wilbery. C’est bien ça ?

— C’est bien ça.

— Là-dessus, vous venez nous demander si on ne nous a pas signalé la disparition de ce Wilbery.

— Et alors ?

— Alors, je vais vous expliquer pourquoi vous avez besoin de ce renseignement. C’est parce que, si sa disparition n’a pas été signalée, vous vous mettrez en rapport avec la famille. Vous lui apprendrez que vous avez été pressenti par miss Varette, qui veut absolument savoir ce qu’est devenu son amoureux. Vous supposez, et c’est très vraisemblable, que la famille ne tiendra pas tellement à ce que les recherches soient entreprises à l’instigation d’une jeune personne dont elle ignore probablement tout et qu’en conséquence elle vous chargera, elle aussi, d’enquêter pour son compte. Ainsi, et c’est où je voulais en venir, vous toucherez des deux mains !

— Pas trop mal raisonné. Seulement, vous vous rendez compte, j’espère, que le raisonnement ne vaut que si la famille n’est pas déjà entrée en relations avec Scotland Yard ?

— Bien sûr ! Nous serons fixés là-dessus tout à l’heure.

Il se rassit à son bureau et entreprit de dessiner une pomme de pin. Callaghan, renversé dans son fauteuil, faisait des ronds de fumée.

L’agent revint quelques minutes plus tard. Aucun Wilbery n’avait été signalé comme disparu, aucune enquête concernant un Wilbery n’était en cours.

L’homme salua et se retira.

— De sorte, Slim, que ça a l’air de marcher !

Callaghan se leva.

— On le dirait !

Il coiffa son chapeau et prit congé.

Cinq minutes plus tard, un gentleman d’un certain âge, très grand, très mince et d’allure distinguée, entrait dans le bureau de Gringall.

— Alors, demanda-t-il, il a mordu ?

— Aucun doute, monsieur. Et il ne s’est pas contenté de l’appât ! Il a avalé l’hameçon et la ligne avec !

 

II

 

Callaghan revint à Berkeley Square à cinq heures. Son premier soin fut d’extraire d’un tiroir une bouteille de whisky et un verre gradué et de s’offrir trois doigts de bourbon.