Ça prouve quelque chose, mais je me demande quoi !

— A propos, pendant que tu jouais le joli cœur avec la gérante de Roedean House, elle ne t’a rien dit du type dont je t’ai parlé ?... Tu sais, le Cubain...

Nikolls secoua la tête.

— Non. Je lui ai posé la question. Elle ne sait rien de ce bonhomme-là...

Après un soupir, il ajouta :

— D’ailleurs, quand une femme est balancée comme elle l’est, elle n’a pas besoin de savoir quoi que ce soit !

Sur cette affirmation, il sortit.

Callaghan resta assis dans son fauteuil. Les yeux au plafond, surveillant les anneaux de fumée qu’il tirait de sa cigarette, il pensait à Gringall. De la pièce à côté lui parvenaient les éclats de voix de Nikolls, discutant au sujet des délais d’attente avec la demoiselle du central téléphonique.

Callaghan se demandait quel jeu jouait Gringall. L’inspecteur n’était pas un imbécile. Callaghan, depuis la déjà lointaine affaire Meraulton, l’avait trop souvent rencontré sur sa route pour avoir le moindre doute sur ce point. Il avait évidemment une idée derrière la tête. Il devait avoir machiné quelque plan qui ne pouvait réussir qu’avec le concours – plus ou moins conscient – de Callaghan.

Gringall n’hésiterait pas, s’il en était besoin, à utiliser Callaghan. Pourquoi aurait-il eu des scrupules ? Au cours de ces deux dernières années, Callaghan – et ce souvenir le faisait sourire – s’était, en différentes occasions, servi de l’inspecteur, sans lui demander son avis. Gringall avait de la mémoire.

Il avait manœuvré, c’était incontestable, pour l’attirer chez Ferdie. Il tenait à ce qu’il rencontrât Doria. Mais pourquoi ? Et pourquoi, alors qu’il n’avait qu’à rester chez Ferdie pour assister à l’entretien, avait-il préféré se retirer avant l’arrivée de Callaghan ?

Il y avait aussi l’énigme du Cubain. Ce type, qui rendait à Doria Varette de bien tardives visites, pourquoi se montrait-il si généreux avec ses billets de cinquante livres ? Ces images-là ne poussent pas sur les arbres et rien ne justifiait la libéralité de l’homme au teint olivâtre. A moins qu’il n’eût pris Callaghan pour un autre. Pourquoi pas, après tout ?

Il y avait la manœuvre de Gringall l’installant, lui, Callaghan, chez Ferdie au moment qu’il avait choisi, il y avait la conversation avec la chanteuse, la rencontre du Cubain et, enfin, la disparition de Wilbery, cette disparition dont, hormis Doria Varette, tout le monde avait l’air de se ficher éperdument !

Tous ces faits réunis, rapprochés, aboutissaient exactement à rien du tout. Ce qui était sûr, par contre, c’est qu’ils représentaient une belle entrée de jeu. .

Ce Lionel Wilbery, au surplus, avait-il vraiment disparu ? Avec un ivrogne, doublé d’un amateur de drogues, une fugue n’avait rien d’invraisemblable, Doria faisait peut-être un drame avec quatre fois rien, soit parce qu’elle était amoureuse, soit parce qu’elle avait quelque chose à camoufler. Avec les femmes, on ne sait jamais !

Callaghan ricana à la muette. Cette proposition, c’était la plus belle vérité qu’on eût énoncé depuis la création du monde. Avec les femmes, on ne sait jamais.

Callaghan ôta ses pieds de son bureau, éteignit sa cigarette dans le cendrier, en alluma une autre et ouvrit le tiroir où Nikolls avait, après usage, rangé la bouteille et le verre gradué. Il se servit largement.

Nikolls passa la tête dans l’entrebâillement de la porte.

— La dame est sur la ligne. Elle a une voix comme la reine de Saba, après ses leçons de diction. Moi, sa distinction m’écorche le tympan. Tu la garderas pour toi !

Callaghan prit le téléphone, s’assura qu’il parlait bien à Mme Wilbery et entreprit de dire ce qu’il avait à dire. Sa voix était calme et sans passion, mais son discours devait cependant faire comprendre à la dame au bout du fil que l’affaire présentait un certain caractère d’urgence.

— Ici, Callaghan, de l’Agence de recherches Callaghan, de Londres. Je vous téléphone, madame, parce que je tiens des autorités de Scotland Yard que vous ne leur avez pas signalé le fait que votre fils, M. Lionel Wilbery, a vraisemblablement disparu...

Elle l’interrompit :

— Je ne comprends pas. Pourquoi l’aurais-je fait ? Est-ce que Lionel a disparu ?...