Elle est à une soirée, où elle a dit que tu pouvais aller la retrouver, si l’affaire est très urgente.
Callaghan réfléchit :
— Tu aimes les soirées ?
Nikolls fit la grimace.
— Je n’en sais rien. Quand j’accepte une invitation, j’aime bien savoir d’avance de quoi il retourne. En principe, j’ai horreur des soirées. Trop de discours et pas assez de liquides. La seule où je me sois vraiment amusé, c’était à Chicago. Imagine-toi qu’il y avait là une fille...
Callaghan l’arrêta du geste.
— Je sais. La petite blonde qui avait un teint de pêche...
Nikolls jura :
— C’est quand même formidable qu’on ne me laisse jamais finir une histoire !
Callaghan lampa son rhum et demanda où avait lieu la soirée.
— Au 76 Colliers Arms, à Hampstead.
Callaghan descendit de son tabouret.
— J’y vais.
— Et moi, alors ? Qu’est-ce que je deviens ? Tu ne pourrais pas m’indiquer un coin où je dénicherais un gars qui me lâcherait cent livres pour que je lui rectifie le portrait ?
Callaghan haussa les épaules.
— Rentre chez toi, Windy. Si j’ai besoin de toi ce soir, je te passerai un coup de fil.
— Ça me fera bien plaisir !...
3 Prélude
I
Callaghan se rendit à pied à Berkeley Square. On venait de donner l’alerte et, depuis que les sirènes s’étaient tues, un étrange silence enveloppait la ville.
Arrivé chez lui, Callaghan jeta son chapeau et son pardessus sur le divan du studio, et se mit à réfléchir.
C’est à Gringall surtout qu’il songeait. Il le connaissait depuis des années et il avait eu tout le temps de se convaincre que Gringall n’était pas un imbécile. C’est justement ce qui rendait la situation délicate. Callaghan ne voyait pas où Gringall voulait en venir.
A force de rapprocher les unes des autres les vagues données du problème, Callaghan en vint à cette conclusion que, de quelque côté qu’il envisageât les choses, il était évident que Gringall souhaitait qu’il agît d’une certaine façon. Cette pensée l’amusa.
Callaghan prit un bain, se changea et mit un certain temps à nouer sa cravate : il pensait à Mme Wilbery et à sa fille Léonore. Nette et décidée, la voix de Mme Wilbery lui plaisait, ainsi d’ailleurs que cette façon directe qu’elle avait de s’exprimer. Mme Wilbery était sûrement une femme intelligente.
Passant dans le studio, il se servit un whisky, en prévision de la route. Mme Wilbery occupait toujours son esprit et il essayait de chasser l’image qu’il se faisait d’elle. Ses efforts, cependant, demeuraient vains. Mme Wilbery s’imposait à lui avec ténacité.
Il alluma une cigarette et se promena de long en large dans la pièce. Maintenant, il pensait au Cubain. Il avait décidé, pour sa commodité personnelle, que c’était un Cubain et il se demandait comment ce Cubain pouvait, en pleine guerre, aller et venir librement en Angleterre.
A dix heures, Callaghan mit son chapeau et son pardessus et descendit. Il marcha jusqu’à Piccadilly et, là, prenant un taxi, se rendit au 76 Colliers Arms, à Hampstead.
Il s’installa confortablement dans un coin de la voiture et rabattit le bord de son chapeau sur ses yeux. Il se sentait reposé. En pleine forme. Avec tout au plus un soupçon de mal de tête...
II
Le maître d’hôtel qui ouvrit à Callaghan semblait sortir d’une pièce de théâtre, avec ses favoris poivre et sel et ses manières courtoises.
— Je m’appelle Callaghan, et je viens retrouver miss Wilbery.
Le maître d’hôtel eut un geste d’accueil.
— Certainement, monsieur... Monsieur veut-il se donner la peine d’entrer ?...
Il aida Callaghan à se débarrasser de son chapeau et de son pardessus. Le hall était vaste et richement meublé. Trois portes, dont deux étaient ouvertes, donnaient sur des pièces où l’on entendait parler et rire. Il y avait aussi un bruit de verrerie très agréable à l’oreille.
Callaghan resta seul un court instant, puis, par la porte du milieu, une femme vint à sa rencontre. Sa chevelure était de la couleur des carottes nouvelles et sa robe écarlate. On pouvait – c’était une question de goût – la trouver jolie.
— Vous êtes monsieur Callaghan ?
Sur sa réponse, elle s’écria :
— Mais c’est tout simplement merveilleux !...
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