Votre nom sera inscrit demain sur nos listes d’invitations. La chanteuse passe dans un instant. Elle est remarquable... et j’espère que nous vous verrons souvent...

Callaghan s’assit sur une chaise dorée, devant une petite table dorée, et consulta la carte. Au dos se lisait une inscription, imprimée en lettres d’argent : « Chez Ferdie, le plus célèbre abreuvoir de Londres : des liquides... et Doria ! »

Un garçon se présenta. Callaghan lui commanda un double whisky et demanda qui était Doria. L’homme répondit qu’elle s’appelait Doria Varette et qu’elle chantait.

L’orchestre ayant cessé de jouer, les danseurs retournèrent à leur table et l’obscurité se fit, cependant que Ferdie surgissait sur l’estrade, dans le cône lumineux d’un projecteur.

— Mesdames et messieurs, annonça-t-il, j’ai la grande joie de vous présenter Doria !

L’orchestre attaqua une ritournelle, le projecteur lâcha Ferdie pour se braquer sur une tenture qui s’entrouvrait avec une lenteur étudiée et Doria parut.

Elle portait une robe longue, très collante, en lamé argent, avec une veste à collet de renard noir, une veste de lamé également qui lui descendait à peu près aux genoux.

Elle chantait avec nonchalance et plutôt comme si la chose l’ennuyait. Sa première chanson s’appelait Je pourrais apprendre, mais son interprétation donnait à penser que c’était une peine qu’elle n’eût pas prise volontiers.

Elle bougeait peu et ses gestes n’étaient guère que des esquisses. Elle se contentait d’indiquer, de suggérer et ses mouvements étaient pleins de grâce et de charme.

Callaghan but son whisky, puis une gorgée d’eau.

Le tour de chant terminé, il y eut des applaudissements, le rideau se ferma, la lumière revint.

Callaghan fit signe à un garçon qui croisait dans le voisinage. Sur le dos de la carte, déchirée en deux, il écrivit deux lignes : « Je voudrais vous parler. Ça pourrait être urgent. » Il signa, remit le message au garçon, avec un billet d’une livre, et lui dit :

— Colle-moi ça dans une enveloppe, assure-toi que ça parvient tout de suite à miss Varette et apporte-moi encore un peu de whisky !

L’orchestre commençait de jouer un tango, quand le garçon revint, avec une bouteille de whisky, qu’il laissa sur la table. Callaghan se demanda pourquoi Ferdie se montrait si généreux à l’égard de ses clients éventuels.

Callaghan attendit longtemps. Un garçon maigrichon vint enfin, qui le pria de le suivre. Ils quittèrent la salle, descendirent un escalier, parcoururent un long couloir, au bout duquel se trouvait une porte. Le groom frappa, ouvrit sans attendre la réponse et s’éclipsa.

Callaghan, debout dans l’encadrement de la porte, examina d’un coup d’œil la loge d’où montait une odeur sans imprévu de poudre de riz et de parfums divers.

Doria Varette était assise devant le miroir à trois faces qui surmontait la table à maquillage. Elle portait un tailleur noir et une fourrure de renard, sous laquelle on entrevoyait l’amorce d’un col de dentelle.

Ses cheveux, d’un noir de jais presque agressif, mettaient sa beauté en valeur, en soulignant la blancheur de son teint. Il y avait, dans les yeux, très bleus, une certaine froideur, démentie par la sensualité d’une bouche très fine et très jolie.

Elle se retourna pour accueillir son visiteur. Callaghan remarqua l’aisance de son mouvement. Elle avait à la ville la même grâce qu’à la scène.

— C’est gentil à vous, monsieur Callaghan, d’avoir désiré me voir. Je ne reçois guère les membres du club, mais vous avez dit que c’était urgent. Pourquoi urgent ?

Elle tenait entre deux doigts le message qu’il lui avait adressé. Elle laissa tomber le morceau de carton sur la table.

Il rectifia :

— Je n’ai pas dit que c’était urgent, mais seulement que ce pourrait l’être.

Il souriait, adossé au chambranle. Elle s’aperçut qu’il avait la mâchoire étroite et volontaire et que ses dents étaient blanches et bien plantées. Elle lui rendit son sourire.

— Qu’est-ce qui pourrait être urgent ?

Il haussa les épaules.

— Je n’en ai pas la moindre idée. C’est la première fois que je mets les pieds chez Ferdie. Un ami m’a téléphoné tout à l’heure, me demandant de le retrouver ici. Il m’apprenait que vous y chantiez et que vous étiez tout à fait mon genre...

Il marqua une pause et ajouta, désinvolte :

— J’ai l’impression qu’il ne se trompait pas.

Elle se leva, le regardant bien en face. Elle souriait. Les yeux de Callaghan ne quittaient pas sa bouche. Une bouche des cinq cent mille diables ! Admirablement dessinée.