Je n’y avais pas pensé.
L’homme rit, d’un rire étrange, désagréable, qui s’attardait dans la gorge et paraissait venir de fort loin.
— Maintenant, vous y penserez. Du moins, si vous avez un peu de sens. J’imagine, señor, que vous êtes un homme à profiter d’un bon conseil...
Callaghan alluma une cigarette avant de répondre.
— Et pourquoi diable irais-je vous demander des conseils ?
Le Cubain haussa les épaules. Il prit dans la poche intérieure de son veston un portefeuille, dont il tira deux billets de cinquante livres, qu’il plia soigneusement avant de les tendre à Callaghan.
— La señora Varette ne se rend pas toujours très bien compte de ce qu’elle fait. Elle se drogue. Alors, n’est-ce pas, une pincée de ceci, quelques gouttes de cela... On ne peut pas faire confiance à une femme comme ça... Ce n’est pas votre avis, señor ?
— Peut-être. Je n’avais pas pensé à ça non plus.
Ce disant, Callaghan prenait les deux billets.
Le Cubain cessa de sourire. Ses sourcils se froncèrent, ses yeux s’amenuisèrent au point de devenir deux points minuscules, son visage se durcit.
— Maintenant, vous avez compris, j’espère, qu’il vaut mieux vous occuper de ce qui vous regarde ?
Callaghan fit oui d’un signe de tête. Il déboutonna son pardessus et glissa les billets dans la poche de son veston.
— Merci du renseignement. Et bonne nuit !
Passant sa lampe électrique dans sa main gauche, il tendit la droite au Cubain, que le geste surprit, mais qui cependant, avec un sourire plein de mépris, avança la main.
Callaghan, alors, abaissa vivement la sienne et, du même mouvement, frappa en l’air avec son coude, accompagnant le coup d’une demi-rotation du tronc. Il toucha juste à la pointe du menton, avec une telle violence que le choc lui fit mal jusque dans les muscles de l’épaule. En même temps, il faisait un pas de côté et tendait le bras gauche. Il reçut l’homme au creux de son coude, au moment où il tombait en arrière, étourdi.
Sans hâte, empoignant le Cubain par le col de son veston, Callaghan le traîna dans la rue sur une courte distance, pour aller le caler gentiment contre le mur, à quelques mètres du bureau de poste de Knightsbridge. Puis, traversant la chaussée, il se mit en route vers Piccadilly.
2 Lendemain d’anniversaire
I
La sonnerie du téléphone réveilla Callaghan. Il se rendit vaguement compte qu’il devait faire jour et qu’il avait mal aux cheveux.
Couché sur le dos, il contempla le plafond, pensant à Doria Varette. Que lui réservait-elle ? Il se souvenait d’autres femmes qu’une enquête avait jetées dans sa vie.
Des images successives passèrent dans son esprit. Il revit le visage de Cynthis Meraulton, qui le reportait au temps de son petit bureau de Chancery Lane, celui de Thorla Riverton, qui l’avait si rudement traité au début pour devenir si gentille par la suite, celui enfin d’Audrey Vendayne, à laquelle il songeait toujours avec le même plaisir.
Le téléphone, cependant, sonnait toujours. Il gronda à mi-voix, rejeta ses draps sur le côté et sortit du lit.
Il empoigna le récepteur. Effie Thompson était à l’appareil.
— Bonjour, monsieur Callaghan. J’espère que vous avez bien dormi. Il est onze heures et M. Nikolls vient d’arriver. Il m’a demandé de m’assurer que vous étiez réveillé. Alors, j’ai pensé que le mieux était de le faire par téléphone.
Après un court silence, elle ajouta :
— J’espère que vous avez bien fêté votre anniversaire.
Il crut l’entendre renifler.
— Merci. Appelez le service et faites-moi monter un peu de thé très fort. Et passez-moi Nikolls. J’ai à lui parler.
Quelques secondes plus tard, Nikolls était au bout du fil.
— Alors, Slim, demanda-t-il, comment va ?
— Pas trop mal... J’ai du travail pour toi.
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