Quand Cynthia est venue, grand-mère, qui n’était pas encore jalouse, répétait toute la journée : « La fille de ma sœur est une beauté, au front couronné de flammes. » C’est la vérité. Les cheveux de Cynthia sont si beaux qu’on pense qu’ils vous brûleraient les doigts si on osait y toucher. Papa doit être fier de vivre avec une si belle dame, qui a des jolies couleurs sur ses joues. Un homme ne peut pas être gai, quand sa femme a une mauvaise mine. Mais voilà, grand-père, maman ne comprendront jamais. Aujourd’hui papa porte un pantalon de flanelle blanche, puisque c’est un couteau à manche d’ivoire. Il est au bord de la mer. La nappe c’est l’océan Atlantique. Cynthia monte sur un rocher. Papa veut la suivre. Il glisse à cause des algues. Cynthia le retient et l’empêche de tomber à l’eau. Il la remercie, lui embrasse la main, pas le bout des doigts, mais l’intérieur qui est toujours si doux…

Les amoureux se serrent bien fort l’un contre l’autre, car voilà le soir et il fait froid. Tout à coup c’est la nuit. Un grand oiseau vient se poser sur la tête de Cynthia. Il aime mieux ses cheveux que le nid habituel.

 

***

 

Dans le brouillard des rêves, chaque nuit s’allume le nom de Cynthia. Il ne se passe pas un repas que l’on ne peste contre l’aventurière, la rouquine. Le savant à grande barbe, qui affirme sans se faire prier que le travail est encore le meilleur remède contre l’obsession mélancolique, pour que la délaissée achève d’oublier son malheur, lui a demandé de l’aider dans ses recherches. Alors, quand il y a du monde à dîner, ou s’il parle d’elle, le psychiatre se rengorge pour dire « ma collaboratrice », « la mieux douée de mes élèves », ou quelque chose de cette farine.

Quant au fugitif, cheville ouvrière de ce douloureux branle-bas, selon l’expression familiale, on ne l’a vu qu’une fois, durant le temps qu’il fut obligé de passer à Paris, pour les formalités du divorce. L’enfant s’était promis de lui poser mille questions sur Cynthia, ses perles, ses robes, leur voyage, leur bonheur. Mais, des monologues du jour et des rêves de la nuit, déjà s’étaient levés de trop hautains fantômes et trop péremptoires aussi, pour qu’elle acceptât, entre eux et de quotidiennes possibilités, une confrontation.

Alors, par dédaigneuse prudence, de tout ce qui des heures et des heures avait été ses délices et sa torture, elle ne souffla mot, se condamnant au remords de ne témoigner nulle affection, ni confiance au jeune homme pâle, qu’elle avait continué d’appeler son père, mais qui avait dû sonner à la porte d’un appartement dont autrefois il avait les clefs, et où sa présence aujourd’hui, soudain, faisait le vide.

Un hiver, un printemps, Cynthia flamboie, idole dont la mémoire tour à tour éclaire un ciel gris ou réchauffe l’azur mièvre des minutes, couleur d’aquarelle entre deux giboulées. Mais, après le flamboiement, à même l’azur, de la jeune femme au casque de feu, une petite fille, les yeux encore éblouis du miracle, ne peut renier sa belle comète. Alors, l’écœurent les piètres anecdotes, dont se rassasie la haine familiale. Cynthia, déesse rousse, de vos doigts partent des faisceaux de lumière, mais à leur éclat, s’exagère la tristesse des jours, tous pareils. Ennui, beau fils d’orgueil, une enfance déjà se jure de ne jamais accepter, pour elle-même, la répétition des faits et gestes, le ramassis d’histoires dont vivent ceux qu’on appelle les « grandes personnes ». Elle imagine des matins sans mensonge, des après-midi nues, des semaines que n’emplira nulle sottise. Qui donc oserait, en échange, lui refuser le droit sévère de juger une femme maladroite à vivre et qui ne cesse de se plaindre d’un homme qu’elle ne voit plus jamais ? Et le savant tous poils et lorgnons, qui répète, tant qu’il peut, que le salut est dans le travail, comme s’il avait besoin de l’affirmer à chaque instant, pour ne point cesser d’en être sûr, et cette vieille femme qui rage de savoir qu’une autre a été préférée à sa fille. L’enfant ne peut croire que des individus qui ont le droit de se promener dans la rue à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, ne s’intéressent à rien, ni à personne, en dehors d’une Cynthia et d’un gendre, qu’ils limitent, arbitrairement, aux mauvais instincts et à la frivolité.

Un hiver, un printemps. Sonne l’heure des lampes : au lieu de se lever, d’aller jusqu’au bouton électrique, une petite fille accepte la nuit qui fait illimitées les chambres de l’enfance. Songes sans images, chanson sans paroles, l’obscurité enfin balaie toutes les poussières sordides, et c’est une porte à même l’insondable profondeur.