Carnet de guerre

Dernière photographie de Louis Pergaud (au centre, en veste claire) à Fresne-en-Woëvre le 6 avril 1915.
Louis Pergaud
Carnet de guerre
Édition établie par Françoise Maury
suivi de
Un tombeau
pour Louis Pergaud
par Jean-Pierre Ferrini
Mercure de France
FRANÇOISE MAURY, membre de l’association des Amis de Louis Pergaud, est l’auteur de nombreux articles dans le bulletin annuel qu’elle a coordonné de 1983 à 2005.
JEAN-PIERRE FERRINI est écrivain, il a notamment publié en 2007 aux éditions Gallimard, dans la collection « L’un et l’autre », Bonjour monsieur Courbet.
© Mercure de France, 2011
ISBN 978-2-7152-3226-6
NOTE DE L’ÉDITEUR
Le Carnet de guerre de Louis Pergaud est conservé à la bibliothèque littéraire Jacques Doucet (cote MS 28163). On n’en connaissait que des extraits (Mélanges, textes choisis par Eugène Chatot, Mercure de France, 1938) avant son édition intégrale en 1994 dans le bulletin numéro 30 de l’association des Amis de Louis Pergaud par Françoise Maury après un long travail de déchiffrement et l’aide rigoureuse de Patrick Ramseyer pour identifier les personnes citées.
Bernard Piccoli a proposé une deuxième édition de ce Carnet en suivant le parcours et la vie de Pergaud au front à l’aide de la correspondance et d’archives historiques (Les Tranchées de Louis Pergaud, Connaissance de la Meuse, 2006).
À l’initiative et avec la collaboration de Jean-Pierre Ferrini, grâce à l’accord de Claude Duboz, le Carnet de guerre paraît enfin au Mercure de France, l’éditeur de Pergaud qui publia entre autres De Goupil à Margot (prix Goncourt 1910), La Guerre des boutons (1912) ou Le Roman de Mirant (1913).
CARNET DE GUERRE [1]
3 août 1914
Au soir, arrivée à la gare de Verdun : pluie, boue pour monter à Chevert, les projecteurs courent perçant les nuages. 4 km à faire dans la nuit, dans un chemin montant, boueux. Voyage avec Montandon [2] qui rejoint comme moi la 29e. Chevert la nuit – le poste – bu avec délice 2 quarts d’eau. Un camarade nous dirige sur le casernement de la Cie. Rien n’est constitué. Nous sommes le bat[aill]on [3] de dépôt, le 166e et le 366e sont partis, occupent les tranchées. Nous couchons sur des matelas avec des couvertures – harassé de fatigue, je dors bien.
4 août
La plupart des hommes arrivés durant la nuit – habillement des réservistes – la Cie s’organise – ça va bien. Les camarades, les officiers Thomas lieutt, Rivière lieutt, Bergis ss-lieutt, ce dernier peu sympathique. Le panorama de Chevert est magnifique. Verdun à nos pieds, les champs, la ceinture de forts, le parc d’aviation. Nous n’avons vu la ville que de nuit.
Les jours suivants, la Cie s’organise tout à fait – exercices, promenade avec Montandon aux alentours. Nourriture échauffante – WC odorants. Enfin tout rentre dans l’ordre assez vite – séance de piano à la S[ection] H[ors] R[ang].
Proclamation de Poincaré lue par Montandon (très bien) [4] – enthousiasme de tous – exercices – les compagnies, les repas en commun. Le départ pour Jardinfontaine. Regret du vieux Chevert.
Marche sous le soleil sur Jardinfontaine. Les paquets individuels sont dans une voiture – arrivée au casernement. Inexprimable désordre et saleté repoussante du bâtiment où nous allons loger. Quantité de régiments de réserve et de territoriaux s’y sont formés et, dame, ont laissé des traces plus ou moins malodorantes de leur passage. Pillage.
On se met de tout coeur au nettoyage et 3 heures après, le casernement est propre. Chambre à 3 : Genlis, Montandon et moi. Raveton avoué [5]. Les autres sergents : Bournat chemisier – Dun contremaître – Drain instituteur] – Millot instit[uteur] libre – Herbin ouv[rier] parisien électricien – Quesnoy cultivateur du Nord – Corda de la Meuse – Copin Lillois – Pabst quincaillier à Sainte-Menehould – Dastis de Rouen – plus tard Dauphin. Bauer.
Nous nous installons dans la petite chambre. La vie à trois s’organise. Achats divers. 1re sortie dans Verdun, bain – café et chocolat le matin. Les petites manies de chacun : Pétrole Hahn de Genlis – la couture de Montandon – mes lavages – les facéties de l’avoué Raveton : « la belle Amélie », etc. – on joue au tonkinois, vie agréable.
Départs partiels – conduite des hommes à Chevert et retour dans la nuit.
Je dois me tenir ainsi que Montandon prêt à partir ; finalement nous ne partons pas.
L’attente des nouvelles – la désignation des adjudants – crise de foie – coliques – attentions des camarades.
Les corvées à la gare – accidents.
Le peloton spécial se forme.
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