Il veut nous punir Braconnot et moi pour avoir quitté le cant[onnement] qui nous est assigné. C’est la faute de ces rossards de cuisiniers. Nous les balançons. Arrivée de colis – je n’ai ni celui de Laval, ni celui de Rocher, ni celui de Martinet – énervé – pas de nouvelles.

Dimanche 6 [décembre]

Je suis de jour ; la barbe ! Les malades, les mandats, les lettres – bombardement à midi – le vaguemestre parti quand j’arrive : grâce à la complaisance du vag[uemestre] de l’artillerie du 59, elles partent tout de même. Billet, notre ancien cuisinier, nous fait un excellent repas – bonne nuit où j’ai très chaud dans mon sac sous ma paille et ma couverture. Dans la nuit, un pan de mur s’écroule à l’extrémité de la grange – café, café, thé. On pisse, on pisse, on pisse – et toujours rien me concernant, mais je suis beaucoup moins énervé qu’hier.

Lundi 7 et mardi 8 [décembre]

Rien de particulier – repos et bombardement. Billet nous fait une excellente cuisine – repas abondants. L’histoire de Nicaisse « à moi les copains » – il part tous les jours aux tranchées chargé comme un baudet et arrive à laisser en route les trois quarts de ce qu’il avait emporté. Embourbé, on est obligé de le pousser. C’est lui qui, sentinelle à 10 pas de la tranchée, s’est égaré au retour, erra une heure devant la ligne, faisant cliqueter sa baïonnette, criant France, hé les copains tirez pas, c’est moi.

Mercredi 9 [décembre]

Nous couchons à Riaville. Il faut une heure pour franchir le km qui sépare Pintheville de Riaville et nous couchons dans la grange près de l’église – café, chocolat : le jour, cave de l’école – chocolat, corvée de quartier avant de gagner la tranchée. Comme Legouis est malade, c’est moi qui commande la section.

Jeudi 10 [décembre]

Nuit obscure – pas d’eau – il fait assez humide dans la nuit – Oudin vient se coucher dans mon abri durant le jour, le boyau qu’il occupe est entièrement plein d’eau. C’est celui-là que j’occuperai après-demain. Crépuscule, nuit obscure, rentrée à Riaville, Cie de garde, nous couchons dans une écurie humide qui sent la pourriture.

Vendredi 11 [décembre]

Legouis rentre – nuit atroce sous la pluie, dans l’eau, la boue et la merde. Au petit jour, dans l’abri de Guillonneau-Desprez, je me sèche un peu – narré cela tout au long à Delphine – le soir du samedi 12, départ pour Ronvaux sous les rafales de mitrailleuses.

Dimanche 13 [décembre]

Mauvaise impression en arrivant. Crotté, vanné, couché dans la grange d’Oudin – maigre litière – j’ai presque froid la nuit – popote très convenable et abondante – on nous donne de la paille.

Lundi [14 décembre]

Malade, fièvre, courbaturé – je reste toute la journée dans la paille. Très déprimé, très abattu, rêvant du foyer de Landresse [29] et de Delphine – tiendrai-je jusqu’au bout – j’ai peine à rester sur mes jambes.

Mardi 15 [décembre]

Passé une bonne nuit, cependant que les camarades jouaient aux cartes jusqu’à 2 h du matin – au matin encore un peu de fièvre, je ne vais pas à la marche, mais à midi, je mange bien et le soir, je me sens tout à fait remis. Repas pantagruélique servi par Billet. Bonne lettre de Delphine – colis de Laval et Rocher. Endossé le chandail dont je suis très content.

Mercredi 16 [décembre]

Cela va tout à fait bien – déjeuner avec tout le monde. Je fais raser ma barbe – plaisanteries d’usage. À 2 h j’apprends que j’ai 15 jours d’arrêts pour ne pas connaître qui a volé des poules dans un poulailler voisin de notre cantonnement – il importe peu qu’au moment du vol toute la section était là et que j’étais malade, incapable de faire un mouvement – il faut une tête quelconque à offrir en holocauste aux civils de Ronvaux. On est tombé sur moi – entrevue avec le colonel – si ce n’eût été moi, c’était la cassation ou 30 jours de prison. Ça me flatte !!! Je suis écoeuré d’une telle injustice et je l’écris à Hennique [30]. Le soir, départ pour la tranchée – le long de la route un homme est tombé, les autres passent indifférents ou presque. Pataugeage habituel de Pintheville à Riaville où l’on ne cantonnera plus. Il faut porter des claies – interminable procession des hommes fatigués dans ce chemin boueux.

La mauvaise tranchée de droite. Entrée dans l’eau jusqu’aux genoux – recherche de coins habitables – sans Drouin, j’enfonçais jusqu’au ventre – près de l’endroit où Gautier fut blessé, je fais installer ma demi-section perchée, ne sais trop comment, sur de vagues fascines. L’eau court sur nos pieds – le parapet n’a pas un mètre – nous sommes pris d’enfilade par les balles.