Heureusement ils tirent peu et il ne pleut pas – un vague abri surbaissé, dans le toit duquel les souris trottent, est là et je m’y glisse une partie du temps en attendant le jour – 3 petits postes fournis laissent un peu de place à ceux qui restent. Au jour on doit se replier – j’ai les pieds trempés, je suis transi.

Jeudi 17 [décembre]

Une escouade doit rester dans le boyau avec un sergent et c’est moi – je case comme je peux mes malheureux poilus transis, navrés, pour qu’ils ne soient pas visibles des Boches et je rentre sous l’abri humide où j’essaie vainement de dormir – engourdissement – je pense longuement et avec émotion à ma bien chère petite gosse, à notre chez nous, à ce bon petit nid où nous avons été si heureux – et pas moyen de sortir, de se lever, les balles sifflent – chaque jour il y en a là qui sont blessés. De mon trou je supplie mes poilus de ne pas se montrer – pas de malheur heureusement – au soir enfin, après avoir mangé un peu de pain avec du saucisson et du chocolat, je sors de mon trou et je bats la semelle dans l’eau de la tranchée jusqu’à l’heure de la relève. Cet animal de Drouin, bavard comme une pie, nous retarde parce que son petit poste au moment de la relève fait la causette avec la 6e. Enfin on se rassemble. Ce c… de Mathieu trouve le moyen de dégringoler dans le boyau d’où on le déterre couvert de boue. Nous cantonnons à Pintheville dans une cave abondamment pourvue de paille. J’ai toujours les pieds mouillés, mais je n’ai plus froid. Après avoir décrotté mes souliers, mangé un riz au choc[olat] préparé par Billet – je me couche les jambes dans la paille et dors sans souffrir du froid. Lettre d’Hennique qui a fait des démarches pour moi.

Vendredi 18 [décembre]

Réveil à 7 h ½, écrit à Delphine et à Hennique. Nous déjeunons à midi et le bombardement nous coupe notre repas. Cela ne dure pas. Toute la section dans notre cave. Après-midi tranquille. Le soir départ pour la tranchée. Le chemin est moins boueux, une corvée a enlevé les 15 cm de boue dans laquelle on pataugeait. On prend des gabions [31] et nous occupons la tranchée de droite à demi pleine d’eau, elle aussi. Les hommes sont resserrés sur un espace très étroit – je passe la nuit dans un abri de la 3e où un brasero nous rôtit les genoux – il pleut. Impossible de poser des réseaux de fil de fer – le petit jour arrive brumeux et triste.

Samedi 19 [décembre]

Je regagne l’abri de ma section que je partage avec Legouis – pas dormi – très fatigué, il y a des gouttières – la 3e section tue une buse – les Boches tirent peu – nous apprenons au soir que nous ne repartirons pas demain mais après-demain – la raison : la relève du 303 coïnciderait avec celle du 166e et cela ferait trop de mouvement sur la route. Pas de conversation avec les Boches comme il est arrivé avant-hier à la 12e entre les tranchées – nous couchons dans la petite écurie de Riaville, route du Nord – au matin, il nous pleut sur la tête – nous gagnons l’abri de l’école.

Dimanche 20 [décembre]

J’ai un peu mal à la tête malgré une nuit excellente mais trop courte. Vanné ! Vanné ! comme dirait Toréano. La perspective de cette nuit supplémentaire de tranchées ne m’enchante pas outre mesure bien que cela nous permettra de réveillonner en paix à Ronvaux – journée dans la cave de l’école.

Lundi 21 [décembre]

Rien de particulier sinon qu’on veut me faire travailler encore au très très vain arrangement du boyau. J’y conduis mes poilus. Jusqu’à Riaville ce n’est que boue et eau – je les attelle à un vague escalier et je viens en écraser sous l’abri près du brasero où je sommeille et brûle mon falzar. Legouis vient et recommande de redoubler de vigilance. Pluie et vent – nous sommes glacés – fusées et tirs des Boches. Au petit jour je laisse l’abri aux hommes et vais dans mon abri où je m’endors sous la pluie qui me dégoutte sur le nez du plafond. Dans l’après-midi on se tasse près du brasero. Enfin la relève.

Marche folle sur Ronvaux [32]. Les hommes ne peuvent pas suivre – Romain furieux – cantonnement meilleur que la dernière fois.

Nuit dans le foin, on glisse mais il fait chaud – pas de pluie – le temps s’éclaircit.

Lundi [mardi] 22 [décembre] [33]

Gros colis de Delphine, moult provisions de choix – joie émue – bon déjeuner – excellent dîner – quartier consigné, ce qui est stupide car les hommes ne peuvent pas se nettoyer – douche délicieuse dans un établissement simple mais assez pratiquement installé – à 8 h on nous avertit qu’il y aura demain matin revue de Boucher de Morlaincourt sur le plateau de Blusses – départ à 7 h ½ – rien n’est prêt et les hommes sont encore crottés.

Mardi [mercredi] 23 [décembre]

Je suis de jour – 37 malades qui marchent quand même à la revue où la Cie se fait engueuler – nouvelle histoire à propos des tonneaux brûlés – plus de suppléments à l’ordinaire – quartier consigné – revues de propreté – nous allons toucher les 20 sous supplémentaires alloués par Joffre aux ss-off des troupes en campagne.