Préparatifs pour le réveillon. Pas moyen de trouver de poule ni de lapin.
Mercredi [jeudi] 24 [décembre]
Excellente nuit malgré l’épouvantable poussière qui monte du foin. Vaccination antityphique à laquelle je n’assiste pas – paquets surprises aux hommes et effets chauds avec lettres des donatrices – quelques-unes sont roulantes. Le soir réveillon à 8 h. Un litre de Byrrh comme apéritif – saucisson beurre pâté – tripes à la mode de Caen – filet de boeuf sauce piquante – jambon aux choux – salade – gâteaux – champagne – café – liqueurs rhum Cointreau – salade d’orange – les amendes – la cagnotte. Le refrain « Lâchez-les », valse leste – ça dégénère un peu. Bougies soufflées, etc. Je me couche à 2 h avec un violent mal de tête – mon bonheur eût été complet si j’avais reçu avant le dîner une lettre de ma gosse, voici deux jours que je n’ai rien reçu. Je m’endors et je rêve d’elle, de ses tendresses. Réveil à 9 h
Jeudi [vendredi] 25 [décembre]
Un peu mal à la tête, mais après m’être débarbouillé ça se dissipe. Reçu colis de Mme Martinet – journée de gel et de beau soleil – déjeuner extra, copieux, avec les restes d’hier. Retour du capitaine : amabilité. Vu Raveton dans sa nouvelle tenue d’adjudant. Dans la nuit 2 incendies provoqués par des imprudences d’hommes saouls ; celui de Manheulles a brûlé 6 chevaux et un artilleur aurait également disparu. Départ à 4 h 10 – en route on m’annonce que je prends la garde avec une escouade au château d’Aulnois. Je garde avec moi l’escouade de Machu et nous nous installons sous le pont où est le poste. Des planchers sur pilotis, un brasero, le pont fermé par des planches du côté des Éparges, des chaises et fauteuils de jardin, composent un ensemble assez pittoresque. Nous nous installons autour du feu et nous devisons en faisant du thé et du vin chaud – les hommes vont chercher du combustible au château qui n’est qu’une ruine. Il n’y a guère que de vieilles caisses qu’on casse pour en bourrer le brasero. Pas de lettres de Delphine – pourtant le courrier de Paris fonctionne – je suis un peu inquiet – un peu sommeillé durant la nuit.
Vendredi [samedi] 26 [décembre]
Au petit jour je visite mes sentinelles et vais faire un tour dans les ruines du château – beau parc, installation pour tennis et jeux divers – ses murs sont démantelés, plus de planchers, il ne reste guère que les objets en fer dont quelques-uns très beaux, encore que tordus par le feu et rongés par la rouille. Chirat notre cuisinier nous fait un excellent jus. Le cycliste Connore passe à 8 h et nous annonce que nous allons prendre l’offensive – ce sera peut-être aujourd’hui l’attaque de Marchéville. Les Cies de réserve dont la nôtre sont déjà aux tranchées paraît-il et nous serons sans doute relevés dans la journée. Allons voici peut-être un grand jour. Je pense à toi plus fort petite femme bien aimée – j’aurais tant voulu avoir hier soir quelque chose de toi – peut-être faudra-t-il me battre avec l’incertitude de ce que tu fais et l’appréhension que tu sois malade ou qu’un accident ne te soit arrivé. C’est égal, on y ira carrément. Je regrette presque de ne pas être avec les autres, pourtant j’avais accepté ce poste de garde parce qu’il était plus pénible que les autres, les camarades des autres escouades devant se reposer dans une grange de Riaville. Ah ! le Destin est notre maître, nous ne pouvons rien contre ses arrêts.
Samedi [dimanche] 27 [décembre]
Arrivée dans la tranchée vers 10 h ½. Je coupe au travail du boyau et je fais travailler les hommes de la tranchée – c’est gelé et on peut battre la semelle – au petit jour on se replie dans les abris, pendant la journée dégel. Je me repose dans un petit abri où il y a de la paille.
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