Et toujours pas de vaguemestre, naturellement. L’après-midi tout en avant le long du ruisseau, attente – froid – cantonnement d’alerte à Manheulles. J’achète un litre de vin 3 frs (au bar) – Mesnil est bombardé – pas de distribution – ceinture pour demain.
7 octobre
Départ à 4 h ½ – nous occupons une tranchée à l’est de Fresnes-en-Woëvre [9] bombardé – vers 3 h du soir je reçois le baptême du feu – une bonne demi-douzaine d’obus éclatent sur nos tranchées et un éclat tombe à 10 cm de ma tête, me la couvrant de terre. Comme il est trop lourd, j’en ramasse un autre morceau. À 3 h attaque de la cote 233 [10]. Je prends le commandement de la section – serre la main à Raveton au passage – la fusillade dans la nuit, le clair de lune – le bourdonnement de mouches des balles. Nous bivouaquons à 10 h ½ du soir dans un champ de blé à 400 m de Fresnes après avoir mangé un peu de viande de conserve avec du pain récemment touché et de l’eau de vie. À minuit, réveillé par les balles et le froid. Un froid glacial – rosée blanche. Les hommes harassés dorment en se plaignant. À 2 h je me lève pour faire creuser une tranchée par une équipe de 9 hommes qui se met courageusement au travail – distribution de 120 cartouches par homme – à 4 h marche en avant.
8 octobre
Nous reprenons nos emplacements de combat, mais dès 5 h l’artillerie des Boches nous envoie des obus. Nous sommes à peu près à 500 m d’eux. On entend dans le matin pur, sous le soleil qui se lève radieux, les commandements gutturaux. Des rafales nous pleuvent dessus sans discontinuer. Nous sommes abrités dans un petit bois de saules dont les branches craquent, mais en vérité, personne ne songe à avoir peur, c’est à peine si quelques-uns mettent la tête derrière le sac. Un caporal est blessé au talon, il n’est pas de notre section ; mais à 8 h mon caporal de la 3e escouade, ce brave Hue, parti en patrouille, revient avec une balle dans la joue au-dessous de l’oeil droit dont il ne voit plus – notre sollicitude – oh ! ce n’est rien, dit-il, et seul il se rend dans Fresnes bombardé pour se faire panser.
Petite femme chérie [11], j’ai bien pensé à toi hier et cette nuit et ce matin, je n’ai pas le temps de t’écrire et cependant si je dois rester sur le champ de bataille où ça chauffera dur, je tiens à ce que tu saches que tout ce que j’ai de meilleur dans le coeur est monté vers toi à cette heure grave. Je souhaiterais que tu n’eusses pas plus peur que je n’ai. Je griffonne ceci sous la volée des obus et je ne lève même pas le nez pour voir où ils éclateront, il est vrai qu’au sifflement particulier de chacun on devine tout de suite s’il sera pour soi ou pour les camarades d’avant ou pour ceux d’arrière. Ça continue, je lâche le crayon pour le flingot et Vive la France !
Vendredi 9 octobre
Qu’est-ce que nous avons reçu : plus de 100 obus percutants ou fusants – le lieutt blessé, 4 hommes atteints, la marche en retraite avec des hommes qu’il fallait soutenir, guider, encourager comme des enfants. Nous reculons à peine de 300 m et le terrain sera réoccupé le soir. 3 chefs de section sur 4 sont blessés – une balle est tombée à 10 cm de ma tête – 3 obus percutants ont éclaté un à droite un à gauche, et un en avant à 3 m de moi – pendant ce temps, un autre éclatait juste au-dessus de ma tête et je n’ai rien vu. Mon lieutt est blessé au bras et à la cuisse, me voilà chef de section.
À la crête que nous occupons, je rassemble une vingtaine d’isolés que je garde en attendant de pouvoir leur faire rejoindre leurs compagnies. Le soir bivouac devant Fresnes en feu. Le clocher d’Hennemont flambait, des soldats sont allés cuire leur viande au feu de l’incendie. J’ai bu ¼ d’eau avec délices. Une pomme est un régal. Hier soir nous avons pris le jus.
Ce matin nous venons réoccuper la tranchée de l’est de Fresnes – il y a en avant de nous quelque chose qui empoisonne – homme mort ou bête crevée – de l’eau dans la tranchée – les hommes vont pour leurs besoins dans un petit coin en retrait à notre droite et l’odeur qui vient n’est guère plus réjouissante. Le bombardement à midi a été moins intense qu’hier. Ce soir nous prenons les avant-postes. Reçu quantité de lettres – bombardement – le soir nous couchons sur les positions.
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