Je veille toute la nuit, causant avec ce bon Dastis. Il fait froid – demain la compagnie est évacuée sur le camp du Tillat près [de] Chevert. Il y a des cas de typho et des diarrhées suspectes ! Dommage de partir car la journée promet à tous points de vue d’être chaude.

Samedi 10 octobre

Départ à 3 h ½ dans le brouillard et la nuit à travers champs – nous ne sommes qu’à 1000 m des canons allemands qui exécutaient hier sur nous des tirs directs, d’ailleurs inefficaces. Il pleut. Tout le monde est harassé – marche exténuante sous la pluie. Nous arrivons au camp – sous les tentes – le ciel s’éclaircit – on a de la paille – installation des cuisines – feuillées – 1re nuit sous la tente – repos délicieux.

11 octobre

Corvées de toutes sortes dans la journée – douche. Que c’était bon de se laver après 8 jours passés dans la crasse. Revue des effets à changer – au campement – travail continuel – tables, lavabos – nous faisons enfin des repas. Les nuits sous la tente sont fraîches malgré tout.

Lundi 12 [octobre]

Suite des corvées de la veille. Il faudra demain aller porter des pancartes et semer de la chaux aux endroits occupés par la Cie précédemment. Avec 3 hommes, j’irai à Bonzée. Dans la journée installation des lavabos : 2 piquets, une perche en travers et des boîtes de singe percées d’un trou. Nuit fraîche – fusillade dans la nuit. Le moteur du Fleurus [12] s’entend.

Mardi 13 [octobre]

Départ à 4 h 45. Itinéraire par le Rozelier, Haudiomont, Villers-sous-Bonchamp – attente 2 h du capitaine – les villages bombardés – les batteries de 120 installées dans la cour du château. Retour exténuant – 36 km – il paraît que la 1re Cie est montée à l’assaut de Riaville – elle est réduite à une soixantaine d’hommes. Qu’est devenu Raveton – en examinant ma capote, je m’aperçois que j’ai deux trous – éclats d’obus – le soir sous la tente les sergents chantent – mélancolie du soir, brume. Il y a 2 nouveaux évacués de l’infirmerie, à l’hôp[ital] pour typho.

Mercredi 14 [octobre]

Le gosse recueilli à Étain par la Cie s’appelle François Pierrat – il était dans les champs quand les Boches sont arrivés incendiant le village – ses parents ont fui, lui a rejoint les premiers soldats qui passaient du 364e – puis le 166e. Pluie – partie de cartes – mon sommier s’effondre à demi – j’ai un peu mal à la tête et de l’embarras gastrique. Pas de lettres.

Jeudi 15 [octobre]

Pas vu le vaguemestre – toujours mal à la tête – le lavoir et les sécheries – nous construisons une table avec des planches ainsi que deux bancs – corvées – temps brumeux – les arbres rouillent – la boue – le soir partie de cartes – l’adjudant Remiché demande l’infirmier pour prendre sa température.

Vendredi 16 [octobre]

Le lavoir est construit – beau soleil – je reçois 4 lettres et 4 colis – joie – partage des provisions – commencé la préface au Journal du capitaine [Condamy] [13]. L’ineffable Chaudoye rencontre en corvée régulière le sergent Weiss à Chevert et le menace du Conseil de Guerre s’il entre dans le casernement, rien que ça. Oudin et Drouaillet sont 2 boute-en-train très joyeux qui chantent et parodient tout. Bonne nuit – mes chaussettes me vont admirablement, elles sont chaudes et douces – bonne petite gosse. Le soir mangé 2 boîtes de pâté avec les camarades – demain je prends la garde.

Samedi 17 [octobre]

À la désignation de la garde un rossard de la 16e escouade proteste et je le punis en le désignant encore de garde pour la prochaine fois – donné une chemise à laver – engueulé ce salaud de Malatré qui refusait de quitter les cuisines. Renaud se fait prendre son fusil par l’adjudant – motif de punition. Nuit pénible dans la tente du poste – plaintes, gémissements, ronflement des dormeurs – les uns prennent 4 h parce que les autres oublient de les relever – un maigre bout de bougie pour tout éclairage – légères coliques.

Dimanche 18 [octobre]

Reçu 2 bonnes lettres de ma Delphine – temps brumeux – par le cadre étroit de l’ouverture de la tente, le paysage automnal présente une mélancolie pleine de douceur – rouilles chaudes au premier plan – bois jaunâtres – puis grisâtres et la brume lointaine des profondeurs de la Woëvre. Mes coliques s’accentuent, Dieu que c’est emm… !

Le soir, allé à Chevert avec le capitaine – causerie à propos de son journal – retour par la route boueuse, dans les bois noirs jusqu’au camp – mauvaise nuit.

Lundi 19 [octobre]

Je me mets à la diète – intestins inquiets – jusqu’à midi je ne sors pas de la tente. Je n’ai pas de fièvre heureusement. Nous apprenons aujourd’hui le 2e cas de décès de typho de la Cie – c’est un nommé Regnault, un réserviste, très brave garçon, père de deux enfants. Aujourd’hui précisément, il est venu une carte pour lui.